Le déclin industriel est le terreau du FN

Président du conseil de surveillance de Peugeot SA, Louis Gallois, grand patron (…), est à l’origine du tournant économique pris fin 2012 par François Hollande en faveur des entreprises. Interview -bilan, quatre ans après (…)

La politique de l’offre, notamment via le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), peine à produire des résultats, tout en faisant perdre à la gauche son identité. Comment le vivez-vous, en tant qu’auteur du rapport qui a initié cette politique, mais aussi en tant qu’homme qui se réclame de la gauche ?

Louis Gallois  – Je suis plutôt keynésien, donc favorable à une politique de la demande. Mais j’ai constaté qu’en France, ce n’était pas la demande qui était la plus malade, mais l’offre. Et qu’il fallait donc traiter cette dernière. Quatre ans après, je pense que ce diagnostic est toujours pertinent.

Sur quelles bases avez-vous établi ce diagnostic ?

Louis Gallois  – L’appareil industriel s’effiloche et la balance commerciale des produits manufacturés est déficitaire depuis 2007, c’est-à-dire que l’offre française ne répond plus à la demande intérieure. Dans ces conditions, toute relance de la demande se traduit par un afflux d’importations : augmenter la demande de 1 % fait progresser les importations de 3 %. Ce constat allait contre ce que j’ai longtemps pensé, mais c’est la réalité. (…)

A entreprise comparable, la recherche industrielle est plus élevée en France qu’en Allemagne. Nos start-up sont dynamiques. L’enjeu, c’est d’entretenir ce mouvement. Les effets sur l’emploi sont lents à venir, mais il y aura cette année plus de 130 000 créations nettes d’emplois en France. (…)

Si cette politique tarde à produire ses effets, sur le plan idéologique, vous avez gagné : tous les candidats de droite proposent de nouveaux allégements pour les entreprises. Alors qu’au niveau du Smic, il n’y en a presque plus…

Louis Gallois  – La question du coût du travail au niveau du Smic ne sera jamais réglée. Tout un courant d’opinion considère que même sans les charges, il est trop élevé. Je n’en fais pas partie : vivre avec le Smic est déjà très difficile et c’est une question de dignité du travail. La France ne doit pas jouer la carte des jobs à prix cassés, comme certains pays. Quant aux nouveaux allégements de charges proposés par la droite, je pense qu’ils vont être très difficiles à mettre en œuvre. Les ménages ont été beaucoup plus matraqués fiscalement que les entreprises et vont demander que les allégements portent désormais sur eux. D’autre part, j’attends de voir sur quoi vont porter les économies sur la dépense, compensant ces allégements. Je suis attaché au modèle social français. (…)

Investi dans la lutte contre l’exclusion, comment voyez-vous la société française ?

Louis Gallois  – En France, le taux de pauvreté est plutôt inférieur à la moyenne européenne et les inégalités y ont moins crû que dans d’autres pays du continent. Ce qui frappe, en revanche, c’est l’enkystement des inégalités et de la pauvreté. Les pauvres sont de plus en plus pauvres, les inégalités sociales se reproduisent de génération en génération ; elles se doublent maintenant d’inégalités territoriales préoccupantes. La France se divise entre ceux qui bénéficient de la mondialisation, de l’évolution de l’économie, du numérique, et qui habitent le plus souvent dans une quinzaine de métropoles, et le reste du pays qui se sent abandonné.(…)

La désindustrialisation de la France a joué un rôle clé. Mais ce phénomène de concentration sur les métropoles se fait dans le monde entier. C’est un des fruits de la globalisation. (…) … ce déclin, c’est le terreau du Front national. (…)

Dans cette France des territoires en déclin, les personnes en difficulté sont stigmatisées. Que pensez-vous du climat politique ?

Louis Gallois  – Traiter les démunis d’«assistés» crée de vrais traumatismes. Est-ce que l’on s’est mis à la place de ces 8,5 millions de Français à qui l’on colle cette image de fainéants ou de fraudeurs ? Il faut au contraire jouer la solidarité. (…) Je suis convaincu que la solidarité est un vrai projet républicain. (…)


Interview réalisé par Grégoire Biseau, Tonino Serafini et Luc Peillon, Libération –Source (Extrait)


 

4 réflexions sur “Le déclin industriel est le terreau du FN

  1. Honorat 08/11/2016 / 12h04

    Tres bonne analyse de Louis Gallois. Dans le modèle économique actuel il a 100% raison
    Pour équilibrer notre balance commerciale il faut d’une part que les français soient plus « citoyens » en privilégiant l’achat de biens faits en France. D’autre part il faut être moins dépendant de l’étranger pour les produits manufacturés, ce qui veut dire relancer la filière des biens intermédiaires à haute technologie (machines outil, métallurgie fine, soudure, oxycoupage, laser industriel, matériel médical…etc). C’est faisable si on met en place une suspension provisoire des régles européennes qui bloquent toute politique économique volontariste et interventioniste.

    • Libre jugement 08/11/2016 / 12h06

      En fait c’est le produire français de Montebourg

  2. Honorat 08/11/2016 / 13h36

    Pas que de Montebourg.
    Le problème avec Montebourg c’est qu’il croit pouvoir le faire sans un moratoire de l’UE et sans revoir la politique bancaire et la composition des conseils d’administration. Il aurait d’abord du légiférer sur cette composition en donnant la parité salariés/capital (comme en Allemagne). Pour moi Montebourg = beaucoup de bruit pour rien.
    On a bien vu que rien n’a été fait pour pérenniser et aider les scop et les coopératives.

    • Libre jugement 08/11/2016 / 17h36

      Presque d’accord, toutefois il était dans un gouvernement et n’a pu faire ce qu’il voulait …
      Mais demain, s’il devient président, faudra-t-il lui donner crédit ?
      Pour 2017, j’ai beaucoup de mal a croire possible un candidat de l’orientation « de gauche », présent au 2e tour.

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