Pauvrophobie

(…) « On sent un vent mauvais, un effritement des valeurs d’hospitalité et de solidarité », témoigne Florent Gueguen, délégué général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars).

« On ne sait pas si les politiques relaient l’opinion publique ou s’ils l’alimentent, mais leurs discours culpabilisent les pauvres, les migrants, les bénéficiaires du RSA ou les sans-abri, tous confondus, et les désignent de plus en plus comme des assistés qui profiteraient du système », confirme Claire Hédon, présidente du mouvement ATD Quart Monde.

Ce regard de plus en plus dur sur la pauvreté, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) le mesure à travers ses enquêtes, menées deux fois par an depuis 1978 : « En temps normal, les opinions sont très sensibles au contexte économique. Lorsque le taux de pauvreté monétaire augmente, les Français font majoritairement preuve d’empathie envers les plus démunis, considérant que ces personnes “n’ont pas eu de chance pour s’en sortir”. C’était, par exemple, le cas lors de la précédente crise économique de 1993-1995 », observe Sandra Hoibian, directrice du pôle évaluation et société du Crédoc.

Mais la crise de 2008 a été, de ce point de vue, atypique : l’opinion se montre plus sévère envers les catégories modestes, enjointes de prendre en main leur destin, à surmonter elles-mêmes leurs difficultés. « Mobilier urbain hostile Ainsi, 36 % de la population (enquête de juin auprès de 3 000 personnes) considèrent que « les personnes pauvres n’ont pas fait d’effort pour s’en sortir », alors qu’ils n’étaient que 25 % en 1995, dans une période où le taux de pauvreté était comparable à celui d’aujourd’hui ».

Le Crédoc note, cependant, depuis 2015, une inflexion de cette opinion, un retour à de meilleurs sentiments qui se confirme en 2016. La « pauvrophobie » prend des formes très concrètes. Certaines villes font preuve d’imagination pour décourager ceux qu’elles considèrent comme « indésirables », rendant, par exemple, le mobilier urbain hostile dans les rues et les transports, comme Angoulême et ses bancs grillagés, qui ne peuvent plus accueillir personne. (…)

Quelques jours plus tôt, le 9 octobre, dans le 14e arrondissement de Paris, la tente de neuf sans-domicile-fixe était brutalement évacuée et détruite par la police, comme l’a relayé l’association Les Enfants du canal. « Même sur le trottoir, les SDF ne sont plus tolérés », constatent Florine Siganos et Frédérique Kaba, respectivement chargée de mission et directrice des missions sociales pour la Fondation Abbé-Pierre.

(…) Depuis juin 2015, de nombreuses fermetures de bains-douches à Rouen, Reims, Lyon ou Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), ajoutent aux difficultés des personnes à la rue. Et ceux qui, localement, protestent contre ces actes qu’ils jugent anti-pauvres, comme à Reims l’Action catholique ouvrière ou à Lyon un collectif d’habitants des Pentes de la Croix-Rousse, ont du mal à se faire entendre. (…)

Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde – Titre original « Face à la pauvreté, on sent un vent mauvais ». Source

9 réflexions sur “Pauvrophobie

  1. Honorat 02/11/2016 / 12h25

    Difficile de faire la « part des choses ».
    Nous sommes un pays oú l’irresponsabilité règne en maître, aussi bien en haut qu’en bas de l’échelle sociale. Pour les uns il faut toujours plus de profits, pour les autres toujours plus d’aides. Mais dans notre société, in fine, c’est toujours celui qui paie qui décide parce qu’il possède une arme imparable: aller ailleurs.
    La vraie question est: peut on éradiquer la misère, je ne dis pas la pauvreté, parce qu’en France un pauvre mange à sa faim et reçois un logement social, son problème est de voir l’étalage d’une opulence qui lui échappe.
    La pauvreté existera toujours, et pour certains c’est un choix de vie.
    La vraie question c’est la misère. Et je pense, qu’en France, on a les moyens de l’éradiquer, mais il faut aussi que les miséreux y « mettent du leur », et que les politiques prennent conscience qu’elle est inacceptable.

    • Libre jugement 02/11/2016 / 12h37

      Holà !
      Pour de telles paroles je ne pense pas que vous ayez un jour « côtoyer » ce qu’est la pauvreté et encore moins la misère et c’est tant mieux pour vous.
      Si j’en parle c’est parce que nous l’avons côtoyer alors que nos cursus professionnels étaient loin de le laisser présager.
      D’autre part nos occupations et responsabilités dans des milieux associatifs tant durant nos vies d’actifs (en dehors de nos obligations professionnels) que depuis notre retraite, nous font toucher de très près, la misère et pauvreté.
      Certes la misère pour certains est plus belle au soleil (c’est le pensum universel mais la réalité est tout autre) alors que dans le monde rurale ou nous sommes, (et entre nous il y a plus de ruraux en France que de citadins), les retraites de 4 à 600€ mois pour un ménage, sont hélas plus que courantes. Comment ferait-il ces gens sans aides ?
      Pour rappel il y a 4,9 Millions de personnes vivant en dessous ou a égalité du seuil de pauvreté situé en France métropolitaine, quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 840 euros (ou 1 000 euros après impôts et prestations sociales (Insee, données 2014)).

  2. Ô Bonheur des Dames ! 02/11/2016 / 12h57

    « Un choix de vie »… j’en reste sans voix.
    Je ne crois pas à la pauvrophobie. Mais une chose est certaine : les Français en ont assez d’être sollicités. Ils sont pourtant généreux ; ils donnent sans compter. Mais la crise est passée par là. Le chômage crée de l’anxiété et engendre des situations compliquées pendant qu’une minorité, sans vergogne ni honte, profite de notre système social ou fraude en col blanc. ASSEZ ! Cela suffit.

  3. Honorat 02/11/2016 / 19h54

    Peut être faut il le préciser: la misère c’est en dessous du seuil de pauvreté. Ceux là doivent être pris en charge. Mais il serait vain de donner des illusions on ne peut distribuer ce qu’on a pas. Notre société est de plus en plus individualiste, celà signifie qu’il faut d’abord compter sur soi. Mais se plaindre de la pauvreté en refusant d’aller chercher l’emploi où il est revient à accepter sa pauvreté. Trés peu de mes collègues étudiants ont trouvé du travail chez eux. Nous avons du nous expatrier, ce n’est pas facile mais c’est la condition piur sortir de la pauvreté.

    • Libre jugement 03/11/2016 / 10h03

      Je comprends un peu mieux l’écrit précédent.
      Le vécu fait souvent relativiser les affirmations et certitudes péremptoires.
      Pour autant je n’ai rien contre le jeunisme, c’est la force de la France d’aujourd’hui et de demain.
      Pour moi, dans l’automne avancé, je commence a voir combien est nécessaire d’aider les plus démunis.

  4. fanfan la rêveuse 03/11/2016 / 8h34

    Pas facile !
    Une chose est certaine, il ne faut pas tout mélanger. Il y a ceux qui sont dans la misère et qui très souvent sont ceux qui ne jamais se plaignent et ceux qui profitent du système, ceux là hélas, sont de plus en plus nombreux.
    Le trop tue ! Trop de social tue le social !
    J’ai le désagréable sentiment de voir se mettre en place, de plus en plus nettement un hiver bien connu, l’hiver 54, pourtant cela ne devrait plus être. C’est inconcevable, des travailleurs vivent à l’hotel car ils ne peuvent se payer un logement, pire encore d’autres vivent dans leurs voitures pendant que d’autres mangent dans des cuillères en or et se remplissent les poches sur le dos de notre société…c’est honteux !

    • Libre jugement 03/11/2016 / 10h14

      Hélas Françoise, ton commentaire est réaliste.
      Juste pour moi un petit bémol.
      Certes il y a des « profiteuses-profiteurs » du système mais sur le lot des « aidés absolument nécessaires », combien réellement sont-ils : 1,10, 50 ou 80 %; personnes ne répondra (1) valablement a cette question.

      Oui, nous avons tous dans notre entourage une, des personnes qui bénéficient d’avantages (2), ou « touchent » des aides auxquelles, elles n’ont pas droit ou continues de les percevoir alors que leurs situations c’est améliorées, mais franchement est-ce la majorité des aidés ?

      (1) Sur la fraude avérée aux aides: Aucun organisme, il n’y a aucun sondage valable (si toutefois il y en a un), les seuls chiffres ne traduisant pas pour autant « l’ampleur possible de la fraude » sont issues du secteur des vérifications et des mises en accusations juridiques, moins de 10% actuellement. Même si cela est trop, nous en sommes d’accord, ce n’est pas une fraude généralisée comme certains veulent le sous-entendre et en fond le lit d’une politique.

      (2) Je pense à des logements sociaux ou de fonctions, parfois obtenus grâce a d’obscures passe-droits …, auxquels ils n’ont pas, ou plus, droit.

  5. fanfan la rêveuse 03/11/2016 / 17h14

    Je me rappelle d’un temps pas si lointain, 40 ans, ou les valeurs de travail, de respect, de fierté de soi, d’honorabilité étaient majoritaire.
    Qu’en est-il de nos jours, si tu travailles et paies tes factures, a une vie avec ces valeurs d’antan, tu es regardé avec des yeux tout rond, j’ai même entendu une fois, « tu es bien c–, profites du système ! »
    Je suis peut-être c–, mais j’ai ma fierté, ce que j’ai m’appartiens, c’est le fruit de mon travail. Je ne dois rien à la société…
    Pauvre France…

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