Alain Juppé, un portrait !

Quel esprit intime et personnel se cache derrière l’image de l’homme public “droit dans ses bottes”, considéré comme austère, impatient et limite cassant ?

“Un fantasme nommé Juppé”, d’Anna Cabana (éd. Stock, 211 pages) sorti le 26 octobre 2016.

Sur 200 pages, la rédactrice en chef politique du Point (Anna Cabana est mariée depuis 2009 à Yves Cabana, qui a été directeur de cabinet du Premier ministre Alain Juppé) dresse le portrait de celui que les sondages donnent favori à la victoire de la primaire de son camp.

Le livre peut se diviser en trois thèmes.

  • premier tiers consacré à sa rivalité sans merci avec Nicolas Sarkozy ;
  • deuxième tiers consacré à sa traversée du désert de dix ans, entre sa condamnation à un an inéligibilité en décembre 2004 dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris, son exil au Canada et ses larmes sur le plateau de Des paroles et des actes en novembre 2014 ;
  • troisième tiers sur l’intimité d’Alain Juppé : sa relation avec ses parents (…) et celle, plus secrète de sa relation plus que tumultueuse avec son “père politique” Jacques Chirac.

Juppé et Sarkozy : l’histoire de 30 ans de haine

Le duel entre les deux principaux prétendants de la droite pour 2017 prend ses racines il y a 30 ans. Depuis, ces deux-là ont appris à se connaitre par cœur. “Ils sont tous nuls, il n’y en a que deux, toi et moi !”, raconterait régulièrement Sarkozy à Juppé, sans que ce dernier ne conteste. Ils ne manquent pourtant pas d’anecdotes pour se justifier d’une détestation réciproque. (…)

Sarkozy un “tueur sans foi ni loi”

A en lire ce livre, Juppé accuse Sarkozy de tous les mots et tous ses maux. On apprend par exemple que le maire de Bordeaux suspecte l’ancien de Neuilly d’être responsable de ses ennuis judiciaires. (…) … “Nicolas est capable de tout pour se débarrasser de moi, confiait-il à Anna Cabana, au cœur de l’hiver 2009. Je connais le bonhomme, c’est un tueur sans foi ni loi.”

Juppé n’est pas en reste. Il adore se moquer de celui dont il estime qu’il lui “faudrait vingt centimètres de plus”, pour être crédible. (…)

Les coups bas, les politiques y sont habitués. C’est la règle du jeu. Mais lorsque le combat verbal dévie sur le plan judiciaire, il faut être solidement caparaçonné. (…)

Ce désert, l’exil qui s’en suivit, permit à Alain Juppé de prendre du recul, de réfléchir, voire de s’affranchir. (…)

Les humiliations de Chirac

Anna Cabana évoque à la toute fin du livre, l’élection présidentielle de 1995 (…).  C’est le début de la confrontation avec Nicolas Sarkozy. Jamais Juppé ne pardonnera à Chirac de ne rien avoir fait pour freiner le maire de Neuilly dans son ascension. “Ceux qui aujourd’hui se lamentent parce Nicolas est le candidat incontournable devraient regarder l’histoire avec un peu de recul et s’interroger sur ce qui s’est passé. C’est Chirac qui lui a servi ça sur un plateau !”, vitupère-t-il.

En épilogue du livre, le directeur général de l’Ipsos tente cette métaphore pour résumer l’enjeu de la primaire des LR : “Est-ce qu’il peut y avoir des couples heureux qui ne font pas l’amour ? Juppé ne fait pas vibrer, il ne suscite pas des sentiments aussi puissants que Sarkozy, mais on peut vivre avec lui pendant cinq ans. Oui je crois qu’il peut y avoir des couples heureux qui ne font pas l’amour.” Si la formule plaira sûrement à Nicolas Sarkozy, la conclusion risque plutôt de dérider Alain Juppé.


Julien Rebucci – Les Inrocks – Source (Extrait)