Les affres de l’auto-entreprenariat.

Comédien et auto-entrepreneur, Loïc effectue des livraisons de repas pour une des start-up phares du secteur. (…)

(…) Loïc arpente les rues parisiennes en cette treizième journée de mobilisation contre la loi El Khomri. Pas pour manifester : le jeune homme, vélo rouge en main et smartphone attaché au poignet, est en plein travail.

Il est 14 heures 30, il pleut un peu, la buée envahit ses lunettes, cachant son visage jovial. Mais content, Loïc ne l’est pas vraiment aujourd’hui : “Je suis cramé.” A 24 ans, il est, comme deux mille autres coursiers en France, auto-entrepreneur pour le compte de Deliveroo, une entreprise de livraison de plats de restaurants via un système de commandes en ligne. “Auto-entrepreneur” et “pour le compte de” semblent, à première vue, deux expressions antinomiques. Et pourtant…

L’auto-entreprenariat, une sorte de salariat déguisé

Comme Loïc, nombreux sont les prestataires de services pour des sociétés telles que Deliveroo, Foodora ou encore UberEats – les services de VTC avec chauffeurs fonctionnant, à peu de choses près, sur le même principe. Un statut qui cache une réalité : c’est plus une sorte de salariat déguisé dont il est question pour ces simili-patrons de l’asphalte. Sans les avantages de l’employé lambda.

Une situation qui commence à “gonfler” Loïc. Bordelais exilé à Paris depuis sept ans, il a commencé à travailler pour Deliveroo en mai. Aujourd’hui, il a débuté ses livraisons à 11 heures 30, vient de “se taper dix-sept bornes” à vélo, s’apprête à repartir pour une heure et demie de boulot. Il n’a pas eu le temps de déjeuner et ne le fera pas de sitôt : à 16 heures 15, il enchaînera avec deux heures de baby-sitting, puis “retournera au charbon” jusqu’à près de 22 heures pour la start-up britannique – qui, en août, a levé 250 millions d’euros de fonds. Contactée par Les Inrocks, l’entreprise, qui emploie cent salariés en France, ne souhaite pas communiquer sur son chiffre d’affaires.

Le profil des livreurs et chauffeurs est varié : étudiants sur-diplômés, allocataires du RSA, intermittents ou encore passionnés de vélo et de voiture… Mais tous se retrouvent, globalement, sur un point : leur précarité. De l’avis d’un chauffeur de Heetch, “sans ces jobs, des centaines de personnes ne pourraient même pas survivre”. Loïc travaille environ 45 heures par semaine et gagne un smic (…)

Des auto-entrepreneurs… qui doivent constamment rendre des comptes !

C’est là toute l’ambiguïté de ces plates-formes : les livreurs ont le statut d’auto-entrepreneur – ce qui exempte les start-up de verser des cotisations sociales, d’allouer des congés payés, de tenir compte des arrêts maladie… – mais, parallèlement, ils doivent constamment rendre des comptes à ces mêmes sociétés.

Porter la tenue estampillée du logo de la boîte, par exemple – (…) Pourquoi accepter ? “Parce qu’on n’a pas le choix, explique un livreur de Deliveroo, rencontré en plein shift. Moi, quand j’ai perdu mon statut d’intermittent, je me suis retrouvé sans rien. Deliveroo m’a sorti de la panade.” S’il est satisfait de la flexibilité permise par ce job et de son salaire, à près de 50 ans, il n’est pas dupe.

 “Notre économie libérale profite de cette opacité pour faire cravacher les gens” Un livreur de Deliveroo

“Je ne suis pas sûr que les jeunes se rendent compte qu’ils n’ont pas de protection sociale, qu’ils ne toucheront pas d’allocation chômage, que le régime d’auto-entrepreneur n’est pas du tout avantageux pour les cotisations retraite… Notre économie libérale profite de cette opacité pour faire cravacher les gens. C’est le retour du XIXe siècle, quoi !” (…)

Bruno Teboul dénonce “l’hypocrisie des néolibéraux, qui disent « regardez, on crée des jobs ! », alors que l’on est dans le mirage entrepreneurial par excellence”. Lui qui appelle de ses vœux “une évolution du droit social” (…) estime que “ tout cela relève plus du sous-salariat déguisé que de l’auto-entreprenariat”.

Et de rappeler les charges élevées payées par ces auto-entrepreneurs, aux horaires de travail souvent conséquents. “ Ces gens travaillent parfois 70 heures par semaine et ils ne gagnent même pas le smic alors qu’il font le double du temps de travail. (…)


Amélie Quentel – Les Inrocks – Source  (Extrait)


 

4 réflexions sur “Les affres de l’auto-entreprenariat.

  1. fanfan la rêveuse 13/10/2016 / 9h20

    De l’esclavage à l’état pur en sorte, mais au bonheur pour ces start-up avec consentement de « leurs employés ». Quelle régression salariale que ce style de travail… 🙁

    • Libre jugement - Libres propos 13/10/2016 / 11h00

      Se mettre un joug pour essayer de survivre; n’étais-se pas la condition de serfs au moyen-âge ?.
      Voilà l’héritage du libéralisme à tout va, l’exploitation voulue d’une faille dans la législation et permise par la destruction du code du travail, décidée-proposer par (entre autres) un Macron comme espoir de sortir du chômage … sans grand espoir réel en bout de course de s’en sortir.
      Cela me fait penser a ces « tireurs » de pousse-pousse indien qui doivent posséder le matériel (que certains leurs concèdent a crédit) pour espérer trouver quelques piécettes qui permettront à une famille de survivre une journée.

  2. Ô Bonheur des Dames ! 13/10/2016 / 13h05

    Ce statut est une escroquerie légale. Y compris pour les petits artisans qui, eux, payent plein pot leurs charges.

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