QUELLE AMBITION POUR L’ÉCOLE DE DEMAIN ?

5 PROPOSITIONS

Citons quelques chiffres :

  • Environ 130 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification.
  • 20 % des élèves ne lisent ni n’écrivent correctement à l’entrée du collège. 20 % des élèves quittent le collège sans maîtriser les savoirs fondamentaux.
  • Les tests PISA (1) montrent que les performances des élèves en français, en mathématiques et en sciences se sont dégradées depuis 2000, année de la première enquête. À cette dégradation des performances s’ajoute, toujours selon les résultats des enquêtes PISA, un accroissement des inégalités : entre 2000 et 2012, l’écart entre les élèves issus des catégories socio-économiques les plus favorisées et les plus défavorisées s’est nettement creusé. La corrélation entre « élèves les plus performants » et « élèves issus des milieux les plus favorisés » s’est accentuée. Ces deux derniers indicateurs font de l’école française l’une des écoles les plus inégalitaires, malgré les moyens financiers conséquents que l’État consacre à l’éducation.
  • Dans le second degré, le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement privé a augmenté depuis dix ans : à la rentrée 2014, un collégien et lycéen sur cinq était inscrit dans un établissement privée (2).

    Force est de constater que l’école va mal.

Elle est, pourtant, depuis quatre décennies, l’objet d’une succession de réformes. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements, ces réformes participent d’une même logique diminution des horaires consacrés aux enseignements fondamentaux, mutilation des savoirs disciplinaires, abandon des humanités, baisse du niveau d’exigence soumission de l’école aux demandes et aux pressions sociales. Ces réformes n’ont pas seulement déstabilisé l’institution scolaire, elles ont aussi affaibli le modèle républicain de l’instruction. Il ne s’agit plus d’instituer des sujets-citoyens en donnant à chacun les moyens de son autonomie et de la culture de ses talents, mais de former, au moindre coût, des individus adaptés à un état de la société.

Les réformateurs partagent un même préjugé : la démocratisation de l’école serait incompatible avec le modèle républicain de l’instruction, supposé favoriser la reproduction sociale. Au nom de « l’égalité des chances », les réformateurs ont baissé le niveau d’exigence, en particulier dans les établissements implantés dans les quartiers populaires. Un exemple récent montre l’emprise de ce préjugé plutôt que de proposer à tous les collégiens un enseignement substantiel des langues anciennes, on préfère supprimer partout le grec et le latin, options supposées élitistes.

Il aurait fallu, au contraire, maintenir et généraliser le modèle républicain de l’instruction. L’école ne peut être vraiment démocratique qu’à condition d’instruire tous les élèves et de garantir, partout le même niveau d’exigence. Elle cesse de l’être à partir du moment où elle règle le contenu des enseignements e le niveau d’exigence sur les déterminismes sociaux. Dire, comme on a pu l’entendre parfois dans la bouche des réformateurs, qu’on ne peut enseigner dans un lycée de Sarcelles ce qu’on enseigne à Henri IV, revient à « clouer » les élèves à ce qui les détermine socialement et à les priver des moyens de leur émancipation.


L’ambition pour l’école de demain sera donc de renouer avec le modèle républicain de l’instruction. Nous formulerons en ce sens cinq propositions.

Proposition 1 : on abandonnera les critères comportementaux; ou adaptatifs. Priorité sera donnée à l’instruction par des programmes nationaux; disciplinaires.

Cette première proposition contient deux implications : premièrement l’abandon du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » qui asservit les savoirs disciplinaires à des « compétences » floues et qui dilue, sans aucun souci d’ordre ni de progressivité, les savoirs stratégiques dans une liste exorbitante d’« items » ; deuxièmement, l’abandon de la logique consistant à laisser aux établissements de plus en plus d’autonomie dans la détermination des contenus d’enseignement. Ceux-ci n’ont pas à être décidés localement. Pour que le principe d’égalité d’instruction soit garanti, ils doivent être déterminés nationalement.

Proposition 2 : Les professeurs seront libres de leurs méthodes, dans le respect des droits d’autrui. On les recrutera sur concours nationaux appréciant le degré de merise des savoirs qu’ils enseignent.

Une école qui imposerait aux maîtres une pédagogie officielle risquerait d’être tributaire des modes et des discours idéologiques. Il revient aux maîtres de juger (sous le contrôle de leurs inspecteurs) de la manière la plus appropriée d’exposer le savoir qu’ils enseignent, car ils sont les plus à même de déterminer les résistances et les obstacles qu’ils peuvent rencontrer chez les élèves. Mais encore faut-il que les professeurs soient des « maîtres », qu’ils maîtrisent les savoirs qu’ils enseignent. Or seuls des jurys nationaux, composés de spécialistes dans une discipline donnée, peuvent évaluer le degré de maîtrise du candidat et la clarté avec laquelle il expose ce qu’il sait.

Proposition 3 : La formation pratique sera principalement assurée dans les classes auprès de professeurs chevronnés. Elle sera approfondie par un travail intra-disciplinaire sur la didactique de la discipline enseignée.

La formation universitaire et disciplinaire ne suffit pas. Les professeurs ont aussi besoin d’une formation pratique, grâce à laquelle ils pourront s’approprier l’art d’enseigner ce qu’ils savent. Aussi ont-ils besoin d’être accompagnés durant leur première année d’enseignement par un collègue expérimenté qui jouera le rôle de « tuteur »(3). La formation pratique sera donc intra-disciplinaire : elle portera sur la didactique de la discipline enseignée. La didactique est l’art de transmettre une discipline en la déployant degré par degré selon l’ordre des raisons, en dénouant les difficultés que les élèves peuvent rencontrer et en clarifiant ce qui peut être confus. Ce travail intra-disciplinaire, qui doit se poursuivre après la première année d’enseignement dans le cadre de la formation continue, permet d’éviter deux écueils : l’esseulement du professeur, d’une part et, d’autre part, l’imposition d’une didactique autoritaire et officielle.

Proposition 4 : On rétablira dans chaque établissement scolaire le calme et la sérénité nécessaires à l’étude.

L’institution doit renouer avec l’idée, chère à Kant, que la discipline est la condition de la liberté, et non son contraire. Car la liberté ne consiste pas à faire ce qu’on veut (ce qui reviendrait à être le jouet de ses pulsions) mais à accéder à la position d’un sujet autonome, capable d’agir en connaissance de cause. La discipline, donc, doit à nouveau régner dans les classes. On ne peut apprendre dans le bruit et l’agitation, qui favorisent la dispersion (4).

Proposition 5 : On proposera, en plus des cours, un soutien de l’étude encadrée par un personnel qualifié, en insistant sur les zones où fleurissent les « ghettos scolaires ».

La fonction de l’école est de faire en sorte que les savoirs soient universellement répandus et accessibles à tous, en évitant qu’ils soient a priori réservés à une portion de la population. Démocratiser l’école revient donc à étendre l’instruction et à en élever le niveau. C’est là une exigence d’égalité. Mais l’égalité ne se confond pas avec l’égalitarisme. Il ne saurait s’agir, sous prétexte d’égalité, d’abaisser le niveau d’exigence. Le principe d’égalité scolaire ne suppose en aucune manière qu’on renonce à la transmission des savoirs ou qu’on affaiblisse le contenu de ceux-ci. L’école doit donner à chacun les moyens d’atteindre son point d’excellence. La démocratisation de l’école ne s’oppose pas à l’« élitisme républicain », à l’égalité méritocratique, mais elle s’oppose à tout élitisme social. C’est pourquoi il faut concentrer les moyens dans les établissements qui en ont le plus besoin pour combattre la ségrégation sociale (5).

Il s’agit là de propositions minimales et de bon sens. En revenir au minimalisme (cesser de tout demander à l’école et se concentrer sur l’essentiel) et au bon sens (s’en tenir à des propositions claires et intelligibles) est sans doute la plus grande ambition qu’on puisse avoir, aujourd’hui, pour l’école de demain.


Dossier UFAL – Revue N° 66 Sept 2016


  1. Acronyme de « Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves », ensemble d’études menées par l’OCDE pour mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. Leur publication est triennale. La première étude fut menée en 2000.
  2. Source : «Géographie de l’école 2014» n°11, revue éditée par le Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Direction de l’évalua­tion, de la prospective et de la performance, Paris, 2014.
  3. Encore faut-il que le jeune professeur soit déchargé d’une partie de son service pour pouvoir se rendre dans les classes de son tuteur, préparer ses cours avec lui, échanger à propos de ses expériences.
  4. L’institution doit renouer avec un discours clair en la matière: il n’est pas acceptable de dire aux professeurs, comme on l’entend parfois dans la bouche de certains formateurs, voire de certains inspecteurs, qu’une classe bavarde et bruyante est une classe « vivante ». Il n’est pas acceptable non plus que les professeurs ne puissent plus exclure de la classe, pour la durée du cours, les élèves agités qui empêchent les autres de se concentrer.
  5. Ces moyens doivent être conséquents. Cette proposition suppose donc que les financements publics soient exclusivement consacrés à l’enseignement public Pétain, par la loi du 2 novembre 1941, avait rétabli les financements public de l’enseignement catholique (et supprimé, par la même occasion, les écoles normales d’instituteurs). Ce sera ensuite une longue suite de reculs : loi Marie et Barangé, loi Guermeur, loi Debré, accords Lang-Couplet, loi Carle, l’État français n’a eu de cesse en dépit du serment de Vincennes, de faire des cadeaux à l’enseignement privé.