Conditions

Il y a, espérons-le, des personnes qui entrent dans ce parking jardiné à l’aspect propre et à la flore accueillante, avec la joie de retrouver un de leurs proches.

Ce n’est plus mon cas depuis quelques mois, cette résidence m’est devenue un pensum, une obligation filiale et juridique.

L’entrée est de type administratif, parfaitement anonyme, sans aucun signe permettant une identification de la destination du bâtiment. Quelques plantes vertes, des miroirs au-dessus d’une faïence et d’un revêtement de sol neutre à souhait, complètent le décor offrant une certaine sérénité.

Passez les portes vitrées coulissantes latéralement, un hall climatisé en ces temps de chaleur, vous accueille.

À gauche trône une banquette-comptoir où dépasse la tête d’une jeune employée, censée renseigner les visiteurs, recueillir leurs doléances mais uniquement aux strictes heures administratives.

À droite vaquent tant bien que mal, des personnes en fauteuil roulant, déposées là par du personnel ayant pris soin de former un cercle entre patientes, sans doute dans le but de faciliter d’hypothétiques échanges oraux, à moins que ce soit sur la demande de la personne afin d’être au plus près d’une attendue visiteuse ou visiteur.

Si le passant-visiteur lance avec assurance un joyeux « bonjour Mesdames, belle journée », c’est un silence de plomb qui vous répond et s’il n’y avait des petits yeux vous scrutant en suivant votre progression, vous pourriez penser être en présence de statues à taille humaine régnant dans cet espace.

Ensuite un petit couloir vitré vous propulse dans une immense pièce-salle de restaurant-cantine-boudoir-confessionnal, pièce servant également de réception des familles et de leurs proches résidents. Une de ces pièces nécessaires mais au combien traumatisante à traverser aux heures de repas.

De longs et monotones couloirs sillonnent les bâtiments donnant accès aux chambres des résidants. Chacune des chambres-cellules disposant d’une salle d’eau-toilettes et d’un placard, est assez grande pour recevoir quelques meubles provenant du domicile du résident, ultimes attaches d’un passé que beaucoup savent avoir perdu en pénétrant dans cet univers, univers prémices de leur dernière demeure.

C’est dans ce décor où les heures s’écoulent à l’envers que je pénètre. Notre génitrice y passe ses journées enfermées dans sa vieillesse et la maladie d’Alzheimer. Elle n’a plus aucune notion du jour, de l’heure, pense que c’est la nuit dès l’après déjeuner, ferme ses volets, se vêt d’habits de nuit et se couche. Les heures de visite en sont ainsi réduites aux heures où des soignantes l’emmènent en salle de repas. Il faut alors l’extraire de la grande tablée où sont installés de réels grabataires plus handicapés physiquement que notre mère.

Le dialogue n’est plus possible, aux souvenirs depuis longtemps disparus avaient fait place un temps à des inventions de situation n’ayant jamais existé. Aujourd’hui un mur nous sépare, seul, de temps à autre j’ai l’impression de discerner une lueur de vie dans ses yeux bleus délavés. Quelques balbutiements, des mots susurrés à peine audible, plus de phrases construites, plus aucune logique, la raison déraisonne. Le temps a fait son œuvre et le physique en pâtie, la motricité n’est plus et seule la chaise roulante permet le déplacement.

À 94 ans, « c’est beau d’arriver jusque-là » disent certains, à chacun son avis. De voir ainsi l’un des siens décliné lentement, emmuré dans ses doutes et certainement ses inquiétudes, sans qu’il soit possible à quiconque de lui apporter une aide, est extrêmement déprimant. Ainsi m’est-il très difficile de ressortir intacte de ces visites auprès de notre mère, difficile de retrouver une sérénité morale.

À l’heure actuelle se pose la question de légitimiser la fin de vie, je ne sais pas si c’est la solution pour tous, mais si un jour, en connaissance de cause, j’ai la possibilité de choisir, je pense que je prendrai cette option.

7 réflexions sur “Conditions

  1. laurent domergue 19/08/2016 / 17h27

    De tout mon gros cœur avec toi et les tiens …!!!

  2. fanfan la rêveuse 20/08/2016 / 8h33

    Bonjour Michel,
    Voilà déjà quelques années que l’on parle de cela. Un sujet bien délicat, dérangeant pour beaucoup. Qui aura le courage de le légitimer ? !
    En Belgique et en Suisse cela est. Mais avant d’en avoir le droit, il faut faire un sacré parcours et répondre à certaines obligations. Dernier détail et pas des moindre il faut être quelque peu aisé…
    J’aimerai beaucoup que ce projet aboutisse, ceci afin que chacun puisse terminer sa vie comme il l’entend. Je vous dirais que mes dernières volontés sont prêtes depuis maintenant plus de 15 ans, mais je n’ai pas pensé à ce cas. Je vais y penser, c’est important. Le dire autour de soi et une chose mais le mettre par écrit est mieux, ainsi il n’y a pas à tergiverser le cas échéant. Merci Michel 😉
    Ce que vous vivez est difficile, c’est une épreuve pour ceux qui entourent le malade. J’ai visionné, il y a quelques années, un film sur ce sujet qui mettait en place la situation et la vision de chacun face à cette maladie…Il faut beaucoup de courage pour accompagner les siens en pareil cas.
    Bonne journée à vous et les vôtres Michel !

    • Libre jugement - Libres propos 20/08/2016 / 10h00

      Merci Françoise.
      Sujet délicat s’il en est. Tant de tabous, la religiosité comprise, d’argumentations et de lois juridiques et comme dit, là aussi se mêle la question d’argent.
      Reste la solution personnelle, l’auto-euthanasie-suicide … immorale pour certain, intellectuellement difficile, voire inaccessible. Sans doute est-ce là la base argumenté, le frein empêchant de mettre en place une loi légalisant la fin de vie assistée. Reste qu’ intellectuellement, moralement, « déléguer » a un tiers un acte que certaines personnes n’osent pas se réaliser, n’est-il pas une forme de lâcheté, et comment la/le « délégué-e » peut-elle/il vivre après cette/ces action-s ?
      Des cas d’euthanasies pratiqués par de médecins, des infirmières existent (du moins ceux qui sont révélés) et en dehors des cas résultant de folie meurtrière (qui semble des actes tout a fait à la marge), les personnes inculpées ont toutes dit avoir réalisé leur acte avec le consentement de la personne ou par charité devant l’acharnement thérapeutique de certains médecins.

      Malgré tous les arguments je suis pour légaliser sous certaines conditions et parfaitement encadré

      Changeons de sujet, l’après 15 août comme d’habitude a détraqué le temps pour quelques jours dans notre région, encore quelques périodes de ciel bleu azur avant l’équinoxe de septembre puis reviendra pour 2 a 3 semaines l’été indien – temps et climat bines, la flore accrochant l’automne et ses multiples couleurs, suivra les « phénomènes » cévenoles et les trombes d’eau, les passages de bourrasques déclenchant des crues sur le sud est et un cycle saisonnier qui se terminera par une tombée des temperature annonçant de plus grand frimas hivernaux et des problèmes de circulation en montagne. Ouf, quelle phrase pour dire que la météo va changer avec la saison !
      Bonne journée dans les « hauts de France ».

  3. fanfan la rêveuse 20/08/2016 / 11h37

    « Malgré tous les arguments je suis pour légaliser sous certaines conditions et parfaitement encadré »
    Encore un sujet qui nous rassemble Michel 😉
    Ici aussi, le temps change après le 15 août, une fraicheur s’installe, un peu de brume le matin, pas mal d’humidité qui persiste jusqu’après le repas de midi. L’automne s’installe doucement mais surement…
    Merci Michel !
    🙂

  4. isabelle 21/08/2016 / 20h11

    Laisse encore un peu Mamie parmi les vivants car la tristesse de son départ sera totale !!!!!! biz

    • Libre jugement - Libres propos 22/08/2016 / 10h23

      Ma fille. C’est un triste constat, rien d’autre.
      La vie fera son œuvre et je n’entend en rien intervenir, bien évidemment.
      Je situe simplement les choses.
      Je ne sais qui est le plus déboussolé des deux à l’issue de toutes les rencontres, votre grand-mère ou moi.
      A l’issue de ces visites, je n’arrive pas à me détacher moralement-intellectuellement devant l’impossibilité d’apporter une aide quelconque.

      D’ou ma question -qui ne me fera pas changer l’ordre des visites fautes aux manques de réponses de quelques sens qu’elles soient-, ne lui fais-je pas plus de mal en venant la voir régulièrement ?

      À titre personnel, je refuse de me retrouver dans ces conditions de vieillesse, préludant à la fin de vie.
      Si cela devait être je prendrais toutes les dispositions.
      Je n’oblige personne à suivre mon raisonnement pas plus que je le conseillerai ou l’imposerai à quiconque.
      Ceci est affaire personnelle et ne saurait être réglée que par la personne concernée.

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