La mer à boire …

Grand absent du projet de texte présenté lors de la Cop 21 qui s’est tenue en décembre 2015 à Paris, l’océan a bien failli passer à la trappe.

« Ce qui n’est pas nommé n’existe pas ! », dénonce Françoise Gaill, directrice de recherches au CNRS, présidente du Conseil stratégique de la flotte océanographique de recherche française et coordinatrice du comité scientifique de la Plateforme océan et climat (1). S’il a fini par être mentionné in extremis dans le préambule de l’Accord de Paris signé par 175 pays, c’est grâce au travail obstiné de diffusion des connaissances réalisé par cette plateforme. Née en 2014, elle réunit près de 70 acteurs de la société civile et de la recherche, ainsi que l’Unesco, œuvrant pour intégrer l’océan dans les questions relatives au changement climatique. Ensemble, ils ont aussi convaincu le GIEC(2), réuni en avril à Nairobi, de consacrer un rapport spécial à ce sujet. De sorte à construire, pour la première fois, une vision intégrée des impacts des changements climatiques sur l’océan, et du rôle de l’océan sur le système climatique lui-même.

Un gisement de ressources

« L’océan, en particulier la haute mer [ndlr : qui représente 50% de la surface du globe], joue un rôle primordial de régulateur du climat, confirme Françoise Gaill. L’excédent de chaleur résultant de l’augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre est absorbé à 90% par les océans, qui emmagasinent également 30% du dioxyde de carbone émis par les activités humaines. » Temporisateur des fluctuations climatiques, la haute mer regorge aussi de ressources qui pourraient devenir bientôt indispensables à l’humanité.

En poissons bien sûr; mais aussi en organismes marins (éponges, coraux…), dont sont tirées des applications en pharmacopée, en cosmétique et dans l’agroalimentaire, et en gisements de minerais (cuivre, cobalt, nodules polymétalliques…), d’hydrocarbures, de gaz sous-marin, etc.

La richesse des abysses, bien qu’encore difficile d’accès, s’annonce d’autant plus prometteuse que seuls 10% des fonds marins seraient connus avec précision. Mais « le plus grand environnement inexploré actuel », selon Françoise Graill, moins bien cartographié que la planète Mars, est également extrêmement fragile, le rythme de développement y étant beaucoup plus lent que dans les écosystèmes de surface.

Un univers sous pression

« On a compris que les océans sont essentiels à notre avenir, car on y découvre des ressources que l’on ne trouve plus, ou de moins en moins, à terre, note Catherine Chabaud, première femme à avoir accompli un tour du monde en solitaire et sans escale dans le Vendée Globe 1996, nommée en mars Déléguée à la mer et au littoral. « En même temps, ils subissent des pressions formidables. Pendant longtemps, on a imaginé qu’ils captaient et recyclaient tout. Aujourd’hui, on se rend compte que, si on ne met pas en œuvre des actions pour les préserver; c’est notre capital assurance vie que l’on entame. » Les océans doivent, en effet, faire face à de nombreux périls. « À cause du changement climatique, le réchauffement des eaux entraîne des modifications dans les écosystèmes, qui se traduisent par des remontées d’espèces potentiellement invasives de la mer Méditerranée vers le Nord. Cela constitue une menace importante pour la biodiversité, explique l’océanologue Laurent Debas. À côté des rejets de déchets et de substances chimiques, les pollutions aux micro-plastiques, qui découlent de la dégradation et la fragmentation de déchets plastiques de plus grande taille, contaminent le milieu marin et les zones côtières. Non seulement ils sont ingérés par les organismes, mais ils transportent à leur surface des substances toxiques et des micro-organismes potentiellement pathogènes. Enfin, l’acidification des océans par l’excès de dioxyde de carbone ingéré est un danger pour toute la chaîne alimentaire.»

Un nouveau Far West

Méconnue, menacée, la haute-mer souffre aussi de n’appartenir à personne. « Plus de la moitié de l’océan est sans aucune gouvernante, souligne Françoise Gaill. Le premier arrivé est le premier servi ! » A la différence des minerais, qui font l’objet de permis d’exploitation délivrés par l’autorité internationale des fonds marins, affiliée à l’ONU, les ressources biologiques des abysses sont considérées comme patrimoine commun de l’humanité. Pourtant, jusqu’à présent, elles sont accaparées par les seuls États ayant les moyens de déposer des brevets. Selon un inventaire réalisé en 2010 par l’Ifremer et le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol, le nombre de brevets portant sur les organismes marins croît ainsi de 12% par an.

Sanctuariser des zones protégées

« Des négociations sont en cours, sous l’égide de l’ONU, pour essayer de poser un cadre juridique sur la haute mer », informe Catherine Chabaud. Elles porteront notamment sur le partage des ressources génétiques marines ou la réalisation d’études d’impact environnementales en amont des projets d’exploitation. Selon la navigatrice, cette nouvelle dynamique semble désormais irréversible. Toutefois, il reste encore des pays (États-Unis, Japon, Canada…) à convaincre de la nécessité d’instituer des zones marines protégées comme autant de sanctuaires inviolables. A ce titre, la France, qui détient la deuxième place mondiale en termes de puissance maritime avec ses 11 millions de km2 de zone économique exclusive, pourrait promouvoir, en parallèle, une cogestion des espaces, où chacun se mettrait autour de la table pour discuter de la façon dont on doit pêcher ou exploiter les ressources.

« Il faut élaborer une nouvelle gouvernance planétaire, à condition de mettre de côté la notion de propriété et de déplacer le terrain des négociations vers les droits d’usage », souligne Françoise Gaill. Une gouvernance dans laquelle la plateforme océan et climat entend peser de tout son poids.

« Ce n’est qu’au travers de la créativité de la société civile que pourront être levés les blocages au niveau des structures, des États et des procédures.» Pour que l’océan ne reste pas un vain mot, comme il a failli l’être lors de la Cop 21.


  1. (I) ocean-climate.org
  2. (2) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ipcc.ch).

MerAujourd’hui, qu’est-ce qui met en péril l’avenir des océans ?

Françoise Gaill (directrice de recherche au CNRS, président du conseil stratégique de la flotte océanographique de recherche française) : L’un des plus grands problèmes concerne l’interface entre la mer et le continent. Le littoral est le nouveau biome (1) qui cristallise l’ensemble des difficultés à concevoir un environnement naturel transformé sous l’action de l’homme. Il concentre à la fois des pressions démographiques et résidentielles, les pollutions dues aux déchets et aux activités industrielles, ainsi qu’une forte artificialisation.

Catherine Chabaud (déléguée à la mer et au littoral, ex membre du CESE) : Il y a aussi un vrai travail de pédagogie à mener au sujet de la préservation des océans. Par exemple, concernant les déchets, peu de personnes ont conscience que les détritus abandonnés sur la terre arrivent directement vers la mer via les cours d’eau. Prédomine également une vision utilitariste de la mer, y compris par ceux qui la pratiquent, tels les navigateurs qui la regardent comme un terrain de jeu et non comme un milieu vivant et dynamique. Ce manque de compréhension des océans se retrouve dans la question de l’exploitation de leurs ressources. Ainsi, alors que le prix du pétrole est orienté à la baisse, vaut-il mieux investir des moyens financiers dans la recherche de pétrole offshore ou sur le développement de l’énergie marine qui est une énergie renouvelable ?

Comment concilier la préservation des océans et les activités maritimes ?

C. C.: En adoptant une approche écosystémique et concertée. Les infrastructures doivent être éco-conçues, y compris lors des explorations, de façon à anticiper la résilience de l’écosystème. Comme à terre, il faut pousser au développement d’infrastructures à impact positif. Un champ d’éoliennes offshore perturbant le milieu marin est ainsi à concevoir de sorte, qu’à terme, il puisse devenir un possible champ de récifs artificiels.

F. G. : Cette vision écosystémique doit s’appliquer à toutes les dimensions de l’océan. Notamment les littoraux. Si le bétonnage des côtes est irréversible, il est nécessaire de réguler et de limiter les pollutions qui y sont déversées. Il faut également créer un réseau d’aires marines protégées, afin que l’océan conserve sa capacité à réguler les changements climatiques.

Quelles richesses inédites les océans sont-ils susceptibles de nous apporter ?

F. G. :L’étude de leurs fonds, situés au-delà de 2000 m, a révélé une grande biodiversité. Les écosystèmes des sources hydrothermales, découverts plus récemment dans les zones de forte activité tectonique, ont fait apparaître des conditions de vie improbables et extrêmes, dans des milieux dénués d’oxygène, extrêmement chauds ou acides. Preuve que les êtres vivants peuvent trouver des solutions dans toutes les conditions grâce, par exemple; à la chimiosynthèse ou encore à des associations avec les bactéries. Des adaptations existent également au niveau moléculaire, comme des formes très spéciales de collagène thermostable qui pourraient servir plus tard à soigner les grands brûlés.

 C. C.: Face aux crises à venir, les activités maritimes peuvent permettre de développer des emplois dans divers domaines : biomatériaux, énergies renouvelables, éco-conception… Surtout, la mer est porteuse de valeurs de responsabilité, de solidarité et de respect.


  1. Ensemble biologique regroupant une hétérogénéité d’écosystèmes.


    Dossier réalisé par Katia Vilarasau pour « Valeurs Mutualistes » N° 302

4 réflexions sur “La mer à boire …

  1. Honorat 26/06/2016 / 9h39

    Très intéressant. Merci .
    Protéger les océans est essentiel. Le président de la cop21 Fabius semble aussi léger dans l’environnement qu’en diplomatie.
    Est ce lui qui a crée la niche fiscale des œuvres d’art?

    • Libre jugement - Libres propos 26/06/2016 / 11h51

      Pour la dernière question, je ne sais pas mais sa famille est ddircetement ou indirectement dans la partie. Pour le reste concernant la COP 21, faut pas se raconter d’histoire … si il faut bien un signataire-dignitaire a tout accord en final, ce n’est pas FAFA qui a mit par écrit tout ce qui devait être discuté mais ses-des technocrates attachés ou détachés de lobby et de partis politiques. dans ce genre de reunions si les experts-savants sont sollicités, ils sont rarement ecoutés et leurs propos ne sont qu’exceptionnellement entérines et inscrits dans les textes … c’est bien connu savants-experts se trompent souvent (!!!!!)

  2. fanfan la rêveuse 26/06/2016 / 14h36

    Je crois rêver, il me semble lire entre les lignes qu’il est pensé « s’approprier et rentabiliser » la mer…
    Ne faudrait-il pas avant toute chose la préserver, j’ai honte de constater régulièrement, combien elle aussi est polluée…la mer est devenue une poubelle, notre poubelle…
    L’Homme est-il si idiot ? ! Quand allons nous penser à la sauvegarde de notre planète et nous à la rentabilité et la productivité et donc à l’argent ? !

    • Libre jugement - Libres propos 26/06/2016 / 14h52

      S’approprier, perso je le traduit par préserver mais aussi decouvrir un nombre incalculable de produits médicamenteux ou apportant une nutrition car n’en doutons pas la terre arabe dans plusieurs décennies ne pourra suffire a nourrir la population terrestre. Préserver la terre en cultivant le plus possible en bio est un exemple qu’il faut appliquer a la mer et arrêter d’y jeter des saletés

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