Flexibilité du travail : lire précarité

François Hollande affirme que la réforme du Code du travail élaborée dans le cadre de la loi El Khomri a vocation à « poser un modèle social » pour la France, fondée sur une plus grande flexibilité dans le rapport au travail.

Le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, ne dit pas autre chose quand il explique que le but est de casser la dualité entre les insiders et les outsiders sur le marché du travail, c’est-à-dire entre ceux qui, ayant fait des études supérieures et ayant accédé à un CDI, sont bien protégés, et ceux, souvent pas ou peu qualifiés, qui sont coincés dans la précarité.

Un rapport de forces en faveur des entreprises

Il est indéniable que cette dualité de situation sur le marché du travail existe. Toutefois, le gouvernement ignore certaines des raisons de cette situation. De plus, si l’objectif est de poser un modèle social, le gouvernement devrait s’atteler d’abord à modifier l’ensemble des autres structures sociales, car le fait est que la situation sociale d’une personne dépend de manière prépondérante de sa situation sur le marché du travail. Je suis d’abord ce que mon emploi me permet d’être.

Tout d’abord, le gouvernement semble omettre que s’il y a des outsiders sur le marché du travail, c’est que la dynamique et la structuration du marché le permettent. C’est parce que les conditions d’embauche, d’utilisation et d’abus des contrats courts et précaires existent dans une société de chômage de masse que les entreprises peuvent se permettre de pourvoir des postes stables, nécessaires et permanents par une multitude de statuts précaires, du CDD reconduit (3 fois et non plus 2 grâce à ce gouvernement), à l’intérim ou au stagiaire.

De fait, c’est d’abord et avant tout le rapport de force sur le marché du travail, clairement en faveur des entreprises, qui permet un recours à la précarité de l’emploi. On observe d’ailleurs une précarisation croissante, puisque les nouvelles embauches se font très majoritairement en CDD, souvent en déqualification (on embauche un diplômé de master sur un poste théoriquement de niveau licence par exemple), qui touche donc y compris les diplômés du supérieur (qui restent cependant plus protégés). (…)

La logique d’opposition entre insiders et outsiders, critiquée par Antoine Lyon-Caen, (…) masque en réalité la structuration du marché du travail. (…) La valeur ajoutée produite par les entreprises sert à rémunérer cinq grands acteurs participant à l’activité économique: l’État, les banques qui prêtent, les travailleurs, le capital technique (investissements) et les actionnaires.

Or, depuis de nombreuses années, les impôts stagnent voire baissent, le coût du travail également, l’investissement stagne, l’endettement augmente peu, notamment car les banques sont frileuses. Seuls explosent les dividendes, y compris dans des entreprises obtenant des résultats faibles et/ou licenciant massivement.

La tendance lourde du management actuel aligne la rémunération des dirigeants sur la rentabilité de l’action pour les actionnaires, soit en les payant directement en actions, soit en leur fixant cet objectif premier. Cela enferme les entreprises dans une logique de rentabilité financière pure, qui vise d’abord et avant tout à verser des dividendes sans cesse en augmentation.

L’entreprise se retrouve alors dans un cercle fermé: augmenter les dividendes pour attirer de nouveaux investisseurs, en vue d’augmenter l’activité dans le seul but de faire grimper le dividende. La pression à la rentabilité actionnariale prend le pas sur les autres facteurs de production, et pousse à limiter ou baisser la masse salariale, les investissements, les impôts via l’optimisation fiscale…

Si réforme de modèle il doit y avoir, elle doit s’attaquer à cette logique, dominante, qui réduit l’entreprise à un outil d’optimisation de la rentabilité pour le compte de quelques actionnaires, sans regard pour le facteur social.

Une flexibilité qui cache une précarité inavouée

Mais le point central de l’hypocrisie et de l’incohérence du gouvernement vient de sa prétention à construire un modèle social par cette réforme. Cette flexibilité, qui cache une précarité inavouée, n’est pas du tout adaptée à la société française.

En effet, quiconque a déjà tenté de louer un appartement en n’étant titulaire que d’un CDD ou d’un contrat d’intérim sait que la précarité d’emploi entraîne une précarité sociale. Obtenir un prêt bancaire, envisager de fonder une famille, s’investir dans « la vie de la cité» là où l’on vit, autant d’aspirations sociales impossibles à réaliser si l’on ne sait pas où l’on en sera et où l’on sera dans 3 mois. Ce sont autant d’objectifs inatteignables sans une stabilité dans l’emploi, car celle-ci prédétermine aujourd’hui le statut social.

Si le gouvernement souhaitait réellement mettre en place un nouveau modèle social, assis sur la flexibilité pour aider les outsiders, il devrait d’abord s’attaquer à toutes les structures sociales qui les excluent aujourd’hui: réforme du logement, des banques, de la protection sociale…

(…) Sur le plan de la protection sociale, si la mise en place du Compte personnel d’activité est une avancée à souligner (dans la mesure où il ne sera pas vidé de son contenu d’ici sa mise en œuvre), l’action du gouvernement va à rebours des adaptations qui seraient nécessaires à un accompagnement de la flexibilité. En effet, à l’instauration de la Sécurité sociale après-guerre, l’accès à la protection sociale est assujetti à la situation de travailleur, actuel ou passé (retraites), vite rejoint par les travailleurs en formation (étudiants).

Depuis, devant l’évolution du marché de l’emploi et de la répartition des richesses (captation toujours plus grande par le capital), la gauche porte une logique de dépassement de ce lien à l’emploi pour définir l’accès à la protection sociale comme un droit universel. C’est notamment le sens de la création de la CMU, sous Lionel Jospin.

Or, l’action du gouvernement actuel s’inscrit à rebours de cette logique, en choisissant de réaffirmer le lien entre emploi stable et protection sociale, lorsque l’accès à une complémentaire santé d’entreprise obligatoire est instauré sans penser d’équivalent pour les étudiants, chômeurs, précaires, retraités… Si le besoin est réel, le gouvernement a fait le choix de n’apporter ce droit qu’aux insiders, et pas aux outsiders qu’il prétend vouloir aider!

Dans la même logique, une série de mesures d’austérité amenuise la protection sociale universelle: dégressivité de certaines aides pour en exclure une partie de la population, allongement de la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite, purement incompatible avec les périodes de chômage que nous promet la flexibilité à venir, raccourcissement des durées d’indemnisation chômage…

La protection sociale, et la dynamique des réformes que lui apporte ce gouvernement, va dans le sens d’un accroissement du clivage entre insiders et outsiders, et non pas de son dépassement.

Enfin, le dernier camouflet envers les précaires et les chômeurs, la réforme des prud’hommes. En plus du manque de moyens, le gouvernement a modifié les méthodes de désignation des juges salariés. Auparavant, ils étaient élus par l’ensemble des salariés et des chômeurs. À présent, ils ne seront plus élus mais désignés sur la base de la représentativité syndicale, c’est-à-dire sur les seuls votes des insiders dans les entreprises. Moins de droits et moins de représentation, voilà ce que le gouvernement propose aux outsiders. (…)

Julien Ballaire, militant de la Ligue des droits de l’homme (LDH) Paris. Lu dans Revue du projet N° 56 (Extrait)

7 réflexions sur “Flexibilité du travail : lire précarité

  1. isoptech 27/04/2016 / 8h48

    tout a fait d’accord, et en plus on essaye de nous culpabiliser. cela se passe déjà ainsi en Angleterre et au Japon. en fait, ils veulent développer le travail ponctuel et temporaire en fonction de leurs commandes et nous virer sans problèmes et vite fait. et surtout nous devons garder le sourire et merci patron. c’est de l’esclavage déguisé. a bientot

    • Libre jugement - Libres propos 27/04/2016 / 11h16

      Un retour a une société de domination, nous n’en sommes pas encore a la situation que denoncait Hugo (quoi que a certains endroits …) mais si personne n’y prend garde, nous y allons droit. Dire que les élus ne font rien ou mieux ne peuvent pas faire correctement de la politique est essentiellement du a cette Ve République aujourd’hui dévoyée devenue une royauté bananière, que peut diriger a sa guise une fois élu n’importe quel gugusse … les preuves Sarkozy et Hollande.

  2. Lou.p 27/04/2016 / 22h02

    Le salarie n’est plus un être vivant, un être humain mais une simple marchandise et comme toutes les matières premières les entreprises veulent pouvoir les exploiter à flux tendus.

    • Libre jugement - Libres propos 28/04/2016 / 10h16

      C’est vrai mais je ne peux me résoudre a accepter d’être tout comme tous les salariés, le serf du 21 e siècle.

      • fanfan la rêveuse 28/04/2016 / 14h34

        Encore en accord avec vous Lou.p et Libre jugement, hélas…
        Pour que cela n’arrive pas, il faudrait qu’un mal qui ronge notre société qui est l’individualisme soit banni. Car c’est lui qui empêche pas mal de choses d’avancer positivement, celui-ci a le pouvoir de disperser au lieu de rassembler…

  3. fanfan la rêveuse 28/04/2016 / 8h09

    Je suis en accord avec vous isoptech et Libre jugement
    Un questionnement me vient, pourquoi donc nos dirigeants vont toujours à l’encontre de ce qu’il faudrait faire ? !
    Faut-il être sot pour être politicien ?
    Pauvre France !

    • Libre jugement - Libres propos 28/04/2016 / 10h30

      Peut-être que des paramètres dont l’accès nous sont interdits … replongeons-nous a l’exemple du TCE, si le « decorticage » de ce traiter européen n’avait pas été effectué par un certains nombres de partis et d’associations, le vote (sous influence) aurait été en faveur du OUI … par conséquence et en se basant sur cet épisode, lorsque la population électrice s’empare de la teneur d’un texte l’engageant, elle sait prendre ses responsabilité … après il y a des élus issues du choix des électeurs !! (certes le résultat a été détourné ensuite par des intérêts « dits occultes », je l’accorde)

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