Qui est Frédéric Lordon !

Penseur du mouvement Nuit debout avant d’en être un des acteurs, Frédéric Lordon, économiste et philosophe, refuse d’être présenté comme leader ou porte-parole.

Dans la foule de la place de la République à Paris, il est introuvable. Nous sommes mardi #36 mars (le 5 avril dans le calendrier Nuit debout, commencé le 31 mars), il est 22 h 30 et son ami Xavier Mathieu, militant CGT et comédien, ancien délégué syndical à l’usine Continental de Clairoix, tente de le retrouver près de la cantine de fortune installée depuis que la place est occupée.

Pourtant, on le sait de source sûre, Frédéric Lordon est là. Debout, dans la nuit, au milieu de ses milliers de compagnons de lutte, il a souhaité de nouveau faire partie du tout. Soudain, sa voix nasillarde résonne : on était passés devant Frédéric Lordon, sa gouaille et sa parka noire sans le voir.

Marre des médias et de leurs constructions de symboles à la noix

Pas très étonnant : l’économiste et philosophe ne souhaite pas être mis en avant. La personnification de Nuit debout, mouvement horizontal et populaire, cet intellectuel dégarni et sympathique la refuse. Alors, il nous le dit tout de suite, “c’est non”, il ne nous parlera pas. (…) « La peopolisation, il s’en fout complètement ! », nous avait prévenus Daniel Mermet, créateur de l’émission de radio Là-bas si j’y suis et ami de Frédéric Lordon depuis douze ans. Ses tribunes enflammées depuis l’émergence de Nuit debout, à la fois érudites et simples, légères sur la forme et substantielles sur le fond, tranchent avec la complexité de ses livres ou de ses textes publiés sur son blog hébergé par le site du Monde diplomatique, La Pompe à phynance.

Comment cet universitaire, petite star de ce qu’il appelle ironiquement la “gauche folle” (en opposition à la gauche gouvernementale), s’est-il retrouvé au cœur du mouvement social français le plus important depuis les manifs contre le CPE, en 2006 ?

Né en 1962, il voulait “gagner plein d’argent”

Rien dans ses origines familiales ne le prédisposait à une telle trajectoire. Né en 1962 d’une famille plutôt bourgeoise (un père chef d’entreprise), il veut au départ “gagner plein d’argent”, comme il l’expliquait en 2013 au micro de France Culture. Ecole nationale des ponts et chaussées, Institut supérieur des affaires puis un MBA à HEC : le jeune homme est ambitieux.

Jacques Sapir vante son “très grand humour” et son intelligence

Mais très vite, tout ça lui semble “un peu vain” : il choisit alors “de prendre la voie des livres”. Grand admirateur de Spinoza et de Bourdieu, l’économiste – par la suite devenu atterré – rallie les sciences sociales en intégrant l’EHESS. Il est aujourd’hui directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne. (…)

Lordon abhorre le parti de Marine Le Pen. Il est proche des milieux de gauche – “Il ne fréquente plus, grosso modo, que des gens qui pensent comme lui”, (…) et croit en la lutte des classes.

Frédéric Lordon souhaite ainsi, comme il l’affirmait le 31 mars à République sous les hourras de la foule, “que toutes les luttes locales, condamnées la plupart du temps à l’invisibilité, deviennent désormais visibles de tous”, comme lui-même l’est devenu avec Nuit debout.

“Il a contribué à préparer cet événement”

Pourtant, selon son amie Judith Bernard, (…) son engagement public ne date pas d’hier : “Il a pris une position visible car c’est un appel qu’il fait depuis des années et il a contribué à préparer cet événement. Mais, en soi, ce sont des choses qu’il dit depuis des années. Il suffit de lire ses textes dans Le Monde diplo, il termine presque tous ses articles par un appel à prendre la rue.” (…)

“Il avait un discours trop compliqué pour les ouvriers comme moi” Xavier Mathieu, syndicaliste CGT

Ce qui a changé, c’est la façon dont Frédéric Lordon s’exprime en public. Xavier Mathieu se félicite de cette évolution : « Je lui ai assez souvent dit qu’il avait un discours trop compliqué pour les ouvriers comme moi. Il a appris à parler à tout le monde. A Amiens, c’est la première fois que je l’ai entendu parler et que je me suis dit : ‘J’aurais pu utiliser les mêmes termes’. » (…)

Amélie Quentel – Les Inrocks – Source (Extrait)