Malgré l’essor des chaînes de vidéo sur Internet et la diversification des pratiques, vingt millions de Français regardent chaque soir un journal télévisé. Emblème d’une information conformiste et de formats toujours plus courts, la grand-messe du « 20 heures » a dû évoluer depuis une dizaine d’années. Une inflexion marginale mais lourde de sens.
En trente ans, pour « accrocher » les téléspectateurs, les journaux télévisés (JT) ont multiplié les sujets traités dans une même édition et émietté l’information qu’ils diffusent. Entre 1974 et 2004, le nombre de sujets a plus que doublé, et la part consacrée à l’actualité internationale a chuté de façon sensible, au profit des faits divers. A la manière des climatologues qui réalisent des carottages de glace au niveau des pôles pour déterminer l’état de l’atmosphère d’il y a des millions d’années, analyser plusieurs journaux télévisés à la même date permet de constater des évolutions flagrantes dans la manière de fabriquer l’information télévisée.
Le 1er février 1974, le « 20 heures » de TF1 comporte onze reportages, dont quatre relatifs à l’actualité internationale : Soudan (2 minutes 55), contentieux linguistique en Belgique (3 minutes 10), scandales pétroliers en Italie (1 minute 57), réunion des neuf chefs d’État et de gouvernement de la Communauté européenne à Copenhague (2 minutes 5). Les sujets économiques et sociaux occupent également une large place, avec un « point sur le charbon » de 5 minutes 28 et un reportage de 2 minutes 45 sur une réunion syndicale de la Confédération générale du travail (CGT).
Le 1er février 1989, TF1 a été privatisé. Le « 20 heures » compte désormais quatorze sujets, les « reportages » de moins de 2 minutes se généralisent, les brèves en images également. L’actualité internationale occupe encore 9 minutes 9, et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste français, est interrogé en première partie de journal durant 7 minutes 45. Mais des images spectaculaires ont fait leur apparition, comme une vidéo amateur relatant le sauvetage d’une plate-forme en feu en mer du Nord (47 secondes).
Ensuite, les journaux télévisés des 1er février 1994, 1999 et 2004 se ressemblent. Ils comportent entre vingt et vingt-cinq sujets en 40 minutes environ. L’Audimat a imposé sa loi : les éditions sont parcourues de brèves en images ; l’actualité internationale laisse la place aux reportages caritatifs et aux faits divers.
En 1994, le journal télévisé du 1er février ouvre sur l’abbé Pierre et compte 6 minutes 9 de faits divers pour 2 minutes 26 d’actualité internationale, composée notamment de trois brèves d’images d’agence : 17 secondes sur Alger, 14 secondes sur la guerre civile en Bosnie et 26 secondes sur l’Iran. En 1999, la bataille bancaire entre la Société générale et BNP Paribas est renvoyée en fin de journal (1 minute 30), après une série de reportages de faits divers, d’une durée totale de 11 minutes 25.
La rédaction de TF1 n’oublie pas les informations « positives » en ouvrant son « 20 heures » avec la remise d’un chèque de 1 million de francs à une association cherchant à soigner une petite fille aux Etats-Unis, et en accordant 5 minutes 43 d’interview au duo Christian Clavier – Gérard Depardieu pour la promotion de son dernier film. Le 1 février 2004, après avoir exposé aux téléspectateurs des informations « anxiogènes », avec une attention toute particulière à la santé (épidémie, campagne antitabac) et à la «sécurité» (menaces chimiques, contrôle de l’immigration et faits divers), le « 20 heures » de TF1 se conclut également par des nouvelles jugées positives : l’interview en plateau de M. Bernard Tapie, durant 4 minutes 6, pour la promotion de sa pièce de théâtre ; l’opération « pièces jaunes » pendant 4 minutes 27, dont un passionnant duplex avec Mme Bernadette Chirac.
- S’adapter à la multiplication des écrans et à la dilution des audiences -ou disparaître
Toutefois, on constate une relative inflexion, voire un renversement partiel, de cette tendance depuis une dizaine d’années… Les journaux télévisés comportent davantage de sujets présentés comme de l’« enquête» ou des sujets appelés « magazines », qui ont pour principales caractéristiques de présenter aux téléspectateurs un format plus long, soit plus de 2 minutes. L’influence grandissante d’Internet et le développement du nombre de chaînes de télévision (avec l’apparition de la télévision numérique terrestre en 2005) pèsent incontestablement sur l’information télévisée traditionnelle. En l’occurrence, même la grand-messe du « 20 heures » en France doit s’adapter à la multiplication des écrans et à la dilution des audiences en fonction des supports.
Ainsi, le la 1er février 2014, si le journal de TF1 -un JT de week-end- ouvre sur les intempéries en France et en Europe durant un peu plus 10 minutes avec quatre « sujets », un reportage « international » de 2 minutes 19 est te consacré à la remise en cause en Espagne de l’interruption volontaire de grossesse par les forces conservatrices, puis un autre de 2 minutes 31 à l’incarcération de deux pilotes français dans les Caraïbes détenus pour trafic de drogue.
- Une couverture de l’international qui focalise sur le sensationnel: catastrophes, conflits, fêtes et traditions
Mais, surtout, le journal propose ensuite une « enquête » de 3 minutes 43 sur le « mal-logement » pour illustrer la publication du rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur cette thématique. Si la journaliste expose des témoignages -comme un locataire d’un six mètres carrés pour 410 euros par mois-, elle présente, grâce au temps dont elle dispose, des chiffres précis ainsi que les problématiques liées aux politiques publiques dans le secteur. Elle questionne ainsi des élus, des avocats et des professionnels de l’immobilier pour constater de nombreuses irrégularités légales au niveau du marché de location, et les difficultés grandissantes qu’ont les habitants de la région parisienne pour se loger.
Bien sûr, l’autre reportage le plus long du journal -3 minutes 14- est consacré à un sujet plus « positif », sur un sport relativement peu populaire mais toutefois spectaculaire, le ski nautique. Reste que le JT de TF1 de ce 1er février 2014 compte désormais moins de sujets (quatorze pour 31 minutes), mais plus longs (huit de plus de 2 minutes), illustration des évolutions des JT traditionnels sur les chaînes historiques, confrontées aux nouvelles concurrences du marché médiatique.
Si ces tendances s’observent sur l’ensemble des grandes chaînes du paysage audiovisuel français (PAF), on se gardera d’en exagérer la portée. Comme le signale l’Institut national de l’audiovisuel (INA), « depuis 2010, c’est Arte qui propose la plus longue durée moyenne des sujets avec 1 minute 56 en 2014. Ensuite viennent TF1 et France 2 avec des durées moyennes quasi identiques (1 minute 43) suivies de France 3, qui se stabilise à 1 minute 32 depuis 2011 après avoir été la chaîne qui proposait les sujets les plus longs de 2003 à 2010 (1) ».
Dans sa dernière enquête statistique, l’INA constate également que la rubrique société reste la plus importante, avec 21,3 % des reportages pour M6, 21,1 % pour TF1, 19,4 % pour France 2, et 19,2 % pour France 3. Si l’international occupe généralement la deuxième place, les JT désormais se focalisent sur le spectaculaire (catastrophes et conflits) ou sur des aspects « sociétaux », écartant là aussi la politique internationale et la diplomatie. Les cénacles de la mondialisation restent donc ignorés par les journaux télévisés…
Marc Endeweld – Revue « Manière de voir », Titre original « Les JT au gré des époques », N° Avril Mai 2016 – N° 146
- « 20 ans de JT », InaStat, n° 38, Bry-sur-Marne, juin 2015.
TF1 ? Jamais !
France 2 ? Il est à pleurer.
L’arrivée du satellite fut un bonheur. De l’air !