Macron, l’homme qui dérange la gauche

Permettez qu’en préambule à cet article sur Emmanuel Macron, soit posée une question : « prendre » une carte au parti socialiste en fait-il pour autant un homme de gauche ? MC

  • Et si Emmanuel Macron était en train de devenir un problème pour François Hollande ?
  • Et si l’élève était en train de dépasser le maître ?
  • Dans l’esprit de nombreux hollandais, l’intense campagne médiatique dont bénéficie le jeune ministre de l’économie commence à faire beaucoup.
  • « La fusée Macron », titrait L’Obs au début du mois de mars.
  • « Macron, ce que je veux pour 2017 », renchérit L’Express.

Comme si une partie de la presse tentait de faire émerger, sur les ruines de la gauche, une candidature nouvelle capable de bousculer le jeu lors de la prochaine présidentielle. Ce n’est certes pas la première fois que des hebdomadaires se prêtent à ce jeu, mais le fait est que la période, marquée par une profonde décomposition politique, crée la possibilité d’un autre. Or, M. Macron n’est pas le moins bien placé : l’homme a beau être énarque et inspecteur des finances, il incarne le renouveau à cause de ses idées et d’une trajectoire en forme de boulet de canon : en quatre ans, ce « même pas élu » couvé par François Hollande est passé de l’ombre à la lumière en étant promu ministre après avoir été secrétaire général adjoint de l’Élysée.

Au passage, il est devenu la coqueluche des milieux d’affaires, la fierté de l’inspection des finances, l’espoir de tout un pan de la gauche, le porte-drapeau des strauss-kahniens orphelins. Surtout, il s’est installé dans les sondages tout en haut de l’affiche, alors même que le couple exécutif essuyait une impopularité croissante. Et tout cela à même pas 40 ans.

Même à droite le phénomène interpelle. « Macron, c’est un peu agaçant », concédait, il y a peu, Alain Juppé. Plan d’urgence pour l’emploi Macron candidat ? L’intéressé ne le dira évidemment pas, lui qui a toujours clamé « aimer beaucoup François Hollande » et « ne jamais le trahir ». Dans aucun des écrits du ministre, on ne trouve signe d’une quelconque déloyauté à l’égard du président de la République qui continue de porter un regard bienveillant sur son jeune poulain. Dans aucune de ses déclarations, on ne trouve trace de l’une de ces périphrases dont usent les politiques pour dire leur disponibilité.

En revanche, l’homme a une vision pour le pays et des idées bien arrêtées qu’il défend au grand jour. Et cela indispose un nombre croissant de ses collègues qui, de Michel Sapin à Bernard Cazeneuve en passant par Marisol Touraine, n’apprécient guère ses fréquentes incursions sur le territoire des autres.

A plusieurs reprises, le chef de l’État l’a gentiment tancé en lui expliquant qu’il devait « rester dans son couloir ». Ces derniers jours, le couloir s’est considérablement élargi. « Je n’ai pas d’agacement, il faut juste jouer collectif », soupirait, il y a quelques semaines, Manuel Valls, lui aussi indisposé par « la fusée » Macron. Car le fait est que le premier ministre et son ministre de l’économie sont entrés en concurrence frontale sur le terrain de la rénovation de la gauche. Pendant que Manuel Valls occupait le volet sécuritaire au risque de s’enliser dans le long débat sur la déchéance de nationalité, Emmanuel Macron a investi le champ économique, social et européen. Et il l’a fait avec d’autant plus de détermination qu’en interne on le bridait : au lendemain des attaques terroristes du 13 novembre 2015, à la faveur de l’unité nationale qui régnait alors, le ministre de l’économie a défendu, dans deux lettres adressées au président de la République, l’idée d’un plan d’urgence pour l’emploi. Y figuraient notamment une relance de la formation professionnelle, des mesures de soutien à l’entrepreneuriat et une réforme du marché du travail d’inspiration libérale.

Mais le tout était couplé à la réouverture du débat budgétaire en Europe pour tenter d’obtenir un soutien accru à l’investissement, ce qui pouvait aussi entraîner la gauche. Pour M. Macron, il existait alors la possibilité d’une union transpartisane permettant de prendre à bras-le-corps le fléau du chômage qui mine le quinquennat. Il n’a pas été suivi. Un peu plus tard, François Hollande et Manuel Valls ne lui ont pas laissé la possibilité de défendre dans une loi propre les mesures de libéralisation de l’économie qu’il préconisait, de peur de déclencher une nouvelle foudre dans la majorité.

A présent que le projet de loi El Khomri est dans l’œil du cyclone et que ce sont ses mesures à lui, celles qui ont trait au licenciement, qui se trouvent les plus contestées, Emmanuel Macron se sent en droit de déployer la pédagogie qu’on lui a refusée. Disciple de Rocard, le jeune ministre n’aime rien tant que « déplier les problèmes » pour tenter de vaincre la défiance qui paralyse le pays. Son projet ? « Faire réussir la France dans un monde ouvert », et pour cela changer « le rapport des Français au monde, à l’Europe et à l’innovation ».

Dans la foulée d’un Jacques Attali, M. Macron pourfend la rente, défend le risque, veut être un accélérateur de mobilité. Cela suppose des réformes profondes et surtout un récit collectif, celui qui a manqué au quinquennat. Emmanuel Macron l’a sur le bout des lèvres et c’est là qu’il devient un problème. « Une folie » Les vieux de la vieille, ceux qui ont suivi le président de la République tout au long de sa vie politique, ont en tête le scénario noir de l’année 2006. François Hollande était alors premier secrétaire du Parti socialiste (PS). Il était à ce titre candidat naturel à la candidature pour la présidentielle prévue l’année suivante. Mais affaibli par le résultat du référendum européen de 2005 qui avait profondément divisé le parti, il était resté tapi, laissant sa compagne Ségolène Royal occuper le terrain pour bloquer les autres candidats.

Manque de chance, la fusée Royal était si bien partie qu’il avait été dans l’impossibilité de l’arrêter. Et si tout recommençait aujourd’hui ? Au fond, ce qui rend fous les hollandais, c’est que François Hollande ait pu décider, il y a deux ans, en avril 2014, lors d’un déplacement à Clermont-Ferrand, de lier sa candidature à l’inversion de la courbe du chômage. « Une folie », s’étaient exclamés en chœur Stéphane Le Foll et François Rebsamen. « Une folie », renchérit aujourd’hui un haut dirigeant socialiste inquiet de la dévitalisation présidentielle et du bal des prétendants que le phénomène a enclenché : « Aubry cogne pour barrer la route à Manuel Valls, Macron sort du bois, tout le monde part en vrille », se lamente-t-il.

Vendredi, Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, a indiqué sur i-Télé qu’il allait demander « à chaque dirigeant du Parti socialiste » de dire s’il est « favorable à la candidature de François Hollande » en 2017. Le temps du suspense n’a que trop duré.


Fressoz Françoise, Le Monde.