Dans un livre sous forme à la fois d’enquête journalistique et de réflexion théorique, Antoine Peillon appelle à la “résistance” dans une République crépusculaire. Une colère sincère et étayée, nourrie de nombreuses lectures, qui invite à une nécessaire conversion intellectuelle et morale.
Parce qu’il est tellement chargé symboliquement, tellement ancré dans les pratiques politiques depuis des siècles, le mot “résistance” invite à une certaine prudence dans l’usage qu’on en fait.
- Qu’est-ce qu’être en résistance aujourd’hui ?
- Contre quoi, contre qui, avec qui, pour quoi ?
(…) … [Avec ce] troisième livre, il prolonge ce diagnostic inquiet des mœurs politiques et économiques devant lesquelles un sursaut républicain s’impose, ou plus radicalement encore, un “esprit de résistance”. (…)
“Aujourd’hui, contre quoi faut-il résister ? Il faut résister contre deux barbaries. Une barbarie que nous connaissons tous, qui se manifeste par les attentats, par les fanatismes les plus divers. Et l’autre barbarie, qui est froide, glacée, qui est la barbarie du calcul, du fric et de l’intérêt. Dans le fond, face à ces deux barbaries, tout le monde devrait, aujourd’hui, résister”.
Fixer “un cap à la Résistance actuelle”
Ce qu’il faut défendre aujourd’hui, ce sont des zones, comme on parle de “zones à défendre” (ZAD). Des zones que, déjà, les Résistants français de la seconde guerre avaient circonscrites dans leur fameux programme du Conseil National de la Résistance publié en mars 1944 sous le titre “Les jours heureux” : accueil des étrangers, progrès social, solidarité économique, démocratie, non-violence, écologie. “Les lignes de fond de l’idéal et de l’action du Résistant perpétuel étaient clairement tracées afin d’orienter les citoyens d’aujourd’hui”, estime Antoine Peillon.
L’auteur (…) dessine, (…) “un cap à la Résistance actuelle à la mondialisation de la guerre civile, au totalitarisme financier et néolibéral, à la destruction de la nature et à la domination impériale et inhumaine des peuples”. Ce qu’il défend avec ses pairs, ce sont “la liberté personnelle, refondée par l’individuation ou la subjectivation, la responsabilité fraternelle vis-à-vis de tous les êtres humains, sans discrimination d’origine, la sauvegarde de la planète entrée dans l’âge de l’anthropocène…”
L’art renouvelé de la résistance intellectuellement armée
(…) Pour Antoine Peillon, résister n’est pas affaire d’héroïsme, “mais bien plus de fidélité à soi-même, de présence à soi, d’obligation vis-à-vis d’un idéal et d’une éthique, souvent reçus en héritage”. La Résistance est une “tradition”, rappelle-t-il. Surtout pas une tradition figée dans des souvenirs stériles, mais une tradition “qui vit dans toutes les dissidences, objections de conscience et désobéissances civiles plus ou moins organisées qui resurgissent dans l’histoire chaque fois que la liberté et la dignité sont trop menacées pour que la vie demeure encore vie humaine”. (…)
Faire émerger l’exigence du commun
En cette époque d’effondrement démocratique, de “politique au crépuscule”, un premier chantier s’impose : réinventer la République. L’une des pistes qu’il propose de suivre pour échapper à la ruine démocratique de nos régimes actuels se trouve dans “la tradition de l’associationnisme civique” : une tradition oubliée qui a constitué l’une des matrices principales de la pensée politique et des sciences sociales du 19e siècle et du premier tiers du 20e en France et aux Etats-Unis. Une évidente résistance civique s’étend en effet aujourd’hui sous différentes formes partout dans le monde, observe-t-il. Cette “commune intelligence” lui semble ainsi le signe rassurant de la sauvegarde possible d’une “délicate essence de la cité”, comme le disait Marcel Mauss.
Cette délicate essence s’incarne aujourd’hui dans la catégorie politique largement réinvestie du “commun”. (…) Le commun constitue la nouvelle raison politique qu’il faut substituer à la raison néolibérale. Afin de lutter contre la remontée des nationalismes, les fermetures des frontières, les exaspérations xénophobes, communautaires et fondamentalistes… (…)
Jean-Marie Durand – Les Inrocks (extrait) – Source