La charge d’Aubry contre le gouvernement.

Avec d’autres personnalités, la maire de Lille fustige la politique du gouvernement sans clarifier ses intentions

C’est une charge au -vitriol et à l’arme lourde à la fois.  » Sortir de l’impasse  » : tel est le titre de la tribune publiée dans Le Monde par plusieurs intellectuels ou responsables socialistes et écologistes, au premier rang desquels la maire de Lille, Martine Aubry. Si l’avant-projet de loi de réforme du code du travail a fourni à l’ancienne finaliste de la primaire socialiste de 2011 l’occasion de -sortir de sa relative réserve, et ce de façon éclatante, c’est pour l’ensemble de leur œuvre aux commandes de l’exécutif que François Hollande, mais surtout Manuel Valls, sont pris à partie.

Sans -ménagement aucun.  » Trop, c’est trop « , fulminent ainsi Mme Aubry et ses cosignataires, qui l’assurent :  » Les motifs d’insatisfaction sur les politiques menées depuis 2012 n’ont pas manqué  » et, dans les derniers mois,  » se sont mués en une grande inquiétude « , ajoutent-ils.  » Ce n’est plus simplement l’échec du quinquennat qui se profile, mais un affaiblissement durable de la France qui se prépare, et bien évidemment de la gauche, s’il n’est pas mis un coup d’arrêt à la chute dans laquelle nous sommes entraînés.  »

Après l’opposition, désormais mécanique, des frondeurs du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, après la grogne des syndicats, y compris réformistes, après les réserves exprimées par le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, et les doutes de plusieurs ministres quant à l’éventualité d’utiliser le 49-3, c’est donc Martine Aubry, l’une des meilleures ennemies du président de la République et du premier ministre, qui vient accentuer encore un peu plus l’offensive. La contestation du texte préparé par la ministre du travail, Myriam El Khomri, gagne chaque jour en intensité. Mais pas seulement.

Car c’est le bilan du quinquennat, ou plutôt des deux dernières années, pendant lesquelles M. Valls a dirigé l’équipe gouvernementale, qui est revisité par les signataires, pour la plupart situés dans l’orbite politique et intellectuelle de -l’ancienne première secrétaire du PS : l’ex-ministre de l’éducation nationale Benoît Hamon, le leader de l’aile gauche du PS, Christian Paul, plusieurs proches de la maire de Lille, comme Jean-Marc Germain, Gilles Pargneaux, François Lamy ou Laurence Dumont ; pour les chercheurs, l’économiste -Daniel Cohen, le sociologue Michel -Wieviorka, le généticien Axel Kahn ; ou encore des personnalités d’obédience écologiste, comme Daniel Cohn-Bendit et Yannick Jadot.

Pas franchement à l’avantage de M. Hollande, et encore moins de M. Valls.

Tout y passe, en un cinglant -réquisitoire. Le pacte de responsabilité de janvier 2014,  » pacte avec le Medef qui se révéla un marché de dupes « . Le  » désolant débat sur la déchéance de nationalité  » :  » Aller au Congrès de Versailles dans ces conditions serait une fêlure profonde pour la gauche et d’ailleurs aussi pour certains démocrates. Evitons-la.

 » Les récentes déclarations sur l’accueil des réfugiés, -faites en Allemagne par Manuel Valls, fustigé pour  » la meurtrissure de l’indécent discours de Munich  » :  » Se revendiquer d’une liberté de ton n’autorise pas tout. Non, Angela Merkel n’est pas naïve, monsieur le Premier ministre. Non, elle n’a pas commis une erreur historique. Non, elle n’a pas mis en danger l’Europe, elle l’a sauvée.  »  » Alimenter le débat  » Il y a bien sûr le projet de réforme du code du travail, qui  » a provoqué non plus de la déception, mais de la colère !

C’est toute la construction des relations sociales de notre pays qui est mise à bas en renversant la hiérarchie des normes (…). Pas ça, pas nous, pas la gauche ! « , hurlent les signataires. Il y a, enfin, la menace, implicitement évoquée par l’exécutif, de recourir au 49-3 :  » La démocratie est atteinte. Et puisqu’on nous parle du serment de Versailles, rappelons-nous celui du Bourget, mis à mal une fois de plus, et qui pourtant fonde la légitimité au nom de laquelle le pouvoir est exercé depuis 2012. «  Le président de la République appréciera, tout comme il goûtera cette assassine conclusion :  » Que restera-t-il des idéaux du socialisme lorsque l’on aura, jour après jour, sapé ses principes et ses fondements ? «  L’addition, incontestablement, est lourde.

Mais quelle pourrait être l’exacte opérationnalité de cette adresse à l’exécutif, que ses promoteurs entendent transformer en pétition ? En l’absence de véritables propositions alternatives, qui demeurent à préciser, c’est évidemment la violence de la charge qui sera retenue. La liste des signataires recoupe celle des soutiens de la maire de Lille lors de la primaire socialiste de 2011. Mais également celle des signataires en faveur d’une primaire à gauche en 2016.

Autant dire qu’ils n’ont pas toujours été favorables à François Hollande, et qu’ils le sont à l’évidence de moins en moins dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017. Officiellement, ces frondeurs au carré ne sont pas dans une stratégie d’empêchement du chef de l’Etat et jurent que leur appel est tout sauf la première pierre d’une candidature de Martine Aubry dans quatorze mois.  » On veut alimenter le débat et mettre en avant la remobilisation de la gauche plutôt que les candidatures « , affirme le député des Hauts-de-Seine Jean-Marc Germain.  » On est toujours dans une démarche positive pour que la gauche réussisse « , appuie son collègue de l’Essonne, François Lamy.

Leur objectif, à les croire, est seulement d’interpeller l’exécutif.  » Au congrès de Poitiers – en juin 2015 – , on a fait des propositions. Depuis, on a tout fait pour être utile mais, en face, au gouvernement, il n’y a aucun dialogue possible, il n’y a que des passages en force. On dit simplement au gouvernement et au président de la République “retravaillons ensemble pour éviter que la gauche n’explose” « , résume M. Lamy.  » Tétanie « 

Voilà qui ne manquera pas de faire réagir M. Valls. Le premier ministre s’est personnellement engagé, au cours des dernières -semaines, dans une exponentielle querelle idéologique présentée comme celle des anciens et des modernes au PS, entre des opposants  » qui sont encore au XIXe siècle « , d’une part, et, de l’autre,  » – lui – et – son – gouvernement – qui sont – au XXIe siècle « , comme il l’affirmait lundi 22 février dans le Haut-Rhin. «  Valls veut sortir du culte des anciens, il veut trancher le nœud gordien avec la gauche totémisée « , explique un de ses proches.

La bataille s’annonce rude après une telle charge des non-alignés -socialistes.  » Quand se présentent des avancées sociales un peu conceptuelles, il y a toujours des gens qui disent qu’il ne faut rien faire et lutter contre le capital « , contre-attaque le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen.

Ce soutien de M. Valls l’assure :  » Je mesure la tétanie et les craintes considérables de nos concitoyens sur le futur, ainsi que la volonté, au sein d’une certaine gauche, d’en découdre avec ce gouvernement. Mais il faut être lucide. Si on ne fait pas la flexisécurité à l’occasion de la loi El Khomri, on ne la fera pas du tout. Si on opte pour la France du grand gel, elle sera bousculée, non par le social réformisme, mais par une droite de revanche. Et là, il n’y aura plus de compromis, mais un effondrement des droits.

Chacun prendra ses responsabilités devant l’histoire. «  Une fois encore, comme à chaque crise interne à la majorité, depuis 2012, la réponse est entre les mains de M. Hollande.

A lire les signataires de la tribune, il ne reste plus que quelques mois au chef de l’État pour choisir son camp. Soit  » sortir de l’impasse «  et espérer encore un possible rassemblement de tous les siens, soit opter pour la poursuite obstinée de la clarification et prendre le risque d’un divorce fatal


Bonnefous Bastien, Titre original  » La charge d’ Aubry contre Hollande et Valls » Le Monde – Source