Antagonismes raciaux aux États-Unis

Longue lettre à son fils de 14 ans, Une colère noire, le dernier essai du journaliste américain Ta-Nehisi Coates, est une plongée dans l’actualité des antagonismes raciaux aux États-Unis.

Le livre est une fresque sensible dans laquelle un père raconte à son fils son pays, une nation où la police tue les Noirs, où les meurtriers restent impunis et où les Afro-Américains vivent dans une intériorisation constante du racisme et de sa violence. Livre coup de poing, Between the World and Me, selon son titre original, constitue un nouveau pas dans la carrière de son auteur. Journaliste respecté, Coates est devenu une figure incontournable des milieux intellectuels afro-américains.

(…) Dans ces longs articles, Coates met en place une méthodologie mêlant analyses historiques et politico-économiques et reportages. L’idée est simple : pour parvenir à convaincre de la nécessité de débats complexes, polémiques et souvent désincarnés, il est nécessaire de confronter les idées à l’expérience vécue.

Ainsi, dans son article sur les réparations, il ne se contente pas d’évoquer les positions des militants engagés dans cette cause. Plus percutant, son texte s’intéresse à un quartier de Chicago dont les habitants ont été à plusieurs reprises dépossédés de leurs biens, et donne par ce biais un ancrage émotionnel et palpable à une question politique souvent rejetée pour son caractère prétendument irréaliste.

Plus poétique dans sa forme, Une colère noire met lui aussi en place un procédé permettant de décrire les effets du racisme depuis une perspective située. Mais, là où les articles de Coates se construisaient comme des reportages, Une colère noire fait le choix du récit autobiographique.

Dans cette lettre écrite à son fils, on suit le narrateur des ghettos de Baltimore où il a grandi à l’université noire de Howard, à Washington, où il fut un étudiant heureux. On le retrouve dans les rues de New York, où il devint père et journaliste. Dans ce parcours, Coates se décrit comme un enfant timide et révolté, un jeune homme curieux et engagé, et un père qui ne cesse d’avoir peur pour l’intégrité physique de son enfant.

En effet, ce que démontre l’expérience du narrateur c’est que, au-delà de l’idéologie qui le crée, le racisme est aux États-Unis une question d’agression physique. Pour Coates, être Noir, c’est avant tout avoir peur que son corps soit victime d’agression. C’est avoir peur d’être poussé, frappé, tué.

Les agresseurs sont multiples et s’inscrivent parfois au coeur même de la communauté afro-américaine. Il y a la police, bien sûr, mais aussi, dans les rues des ghettos, les simples passants qui peuvent être armés. Et, ailleurs dans la ville, il y a ceux qui « se pensent comme blancs » et qui, peut-être par la simple habitude du pouvoir, s’imposent au corps noir, le relèguent dans ses quartiers et l’en délogent avec la gentrification.

Face à cette crainte constante de l’agression, Coates montre comment le corps noir s’adapte, comment il incorpore des codes comportementaux pour rester dans le rang, et comment parfois aussi, par peur encore, il provoque. Être victime du racisme, c’est donc vivre la discrimination comme une expérience intérieure qui modifie votre corps et votre manière de penser. (…)

Pauline Guedj – Politis(Extrait) –Source