Un bien social français, envié de par le monde.

«La propriété privée, qui est l’institution juridique de base de notre société capitaliste, ne peut pas résoudre les problèmes du vivre-ensemble et de la survie de l’humanité. 11 faut faire prévaloir un droit pour tous à l’usage des biens et des services.»

La Sécurité sociale relève fondamentalement de la logique du commun.

Des ressources sont mises en partage pour protéger des risques économiques et vitaux : se soigner et se reposer. Ce principe a été en partie dévoyé par l’étatisme, puis l’institution elle-même a été confisquée par des logiques de rationalisation gestionnaire relevant, non plus du principe de solidarité, mais des principes de rendement et de compétitivité, le fameux « coût du travail ».

Sauver la Sécurité sociale comme institution du commun suppose de mener deux combats, celui du gouvernement démocratique et celui de l’égalité sociale devant les risques. L’objectif de l’égalité ne peut être atteint que par une nouvelle fondation de la Sécurité sociale, sous la forme, par exemple, d’un « parlement social », dans lequel associations, syndicats, collectivités locales, représentants directs des citoyens auraient le pouvoir de délibération et de décision.

Le néolibéralisme est hostile à la perspective d’une solidarité et d’une redistribution assimilées à un « assistanat » déresponsabilisant. Tout au plus faudrait-il aider les « pauvres méritants » comme les qualifiait au XIXe siècle Herbert Spencer, l’un des ancêtres du néolibéralisme. Parfois, on veut bien admettre qu’un mince filet de sécurité est nécessaire, mais l’essentiel des risques reste couvert par des individus dits « responsables », se dotant d’assurances privées et épargnant sagement pour bénéficier d’une rente pour leur retraite. Que chacun se débrouille sur le marché pour saisir les opportunités les meilleures ! Friedrich Hayek, le chef de file du néolibéralisme d’après-guerre, expliquait que la justice sociale était un mythe dangereux et que les dispositifs de la Sécurité sociale conduisaient au totalitarisme.

Les politiques néolibérales individualisent la couverture du risque en fonction de caractéristiques supposées « personnelles », alors qu’il s’agit en grande partie de propriétés des individus. Les mécanismes de la Sécurité sociale, par définition, socialisent les risques au lieu de les individualiser, et donc établissent un lien intergénérationnel fort qui vient relayer, renforcer et compléter des liens qui existent dans les systèmes de parenté. La tendance actuelle consiste à « privatiser » ce lien intergénérationnel, avec pour effet d’accroître les inégalités.

Les assurances vie et décès sont devenues un formidable « gâteau » que se disputent les assureurs. Les parents sont conduits à aider de plus en plus leurs enfants qui ont du mal à entrer dans l’emploi. Renverser cette orientation, qui va finir par détruire les institutions de solidarité, est fondamental. Réorganiser la société autour d’un principe commun, c’est la réorganiser autour de l' »inappropriable ». La propriété privée, qui est l’institution juridique de base de notre société capitaliste, ne peut pas résoudre les problèmes du vivre-ensemble. Il faut faire prévaloir un droit pour tous à l’usage des biens et des services, ce que nous définissons comme un « droit du commun ».

L' »inappropriabilité » signifie concrètement la décision que la solidarité ne doit pas être confisquée par des institutions privées qui font du profit sur un besoin fondamental; cela signifie que la culture ne doit pas être confisquée par des groupes particuliers qui se réservent les œuvres d’art ou les savoirs en les retirant de la circulation sociale; que la santé ne doit pas être le privilège de ceux qui possèdent les moyens de se payer une « médecine de riches ». Une société a le pouvoir de décider de retirer du domaine de la propriété privée des moyens matériels ou immatériels pour les mettre au service de tous.

Christian Laval, Professeur de sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Il est Co-auteur, avec Pierre Dardot, de « Commun, essai sur la révolution au XXIe siècle », éd. Poches/ La Découverte, 2015 – Lu dans la revue du SPF – Convergence Janv/fèv. 2016