L’état d’urgence va-t-il durer ?

L’état d’urgence a été prolongé jusqu’à fin février 2016. La loi prévoit notamment la possibilité d’assigner une personne à résidence, dès lors qu’« il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

D’ici à trois mois, une révision de la Constitution devrait aussi inscrire un « régime civil d’état de crise » – sorte d’état d’urgence modernisé et durable. Ces mesures inquiètent Henri Leclerc, avocat et ancien président de la Ligue française des droits de l’homme et du citoyen.

  • Quels problèmes l’élargissement de l’assignation à résidence pose-t-il ?

Henri Leclerc – Il s’agit quasiment d’une rétention administrative, sans aucun contrôle du pouvoir judiciaire sur cette restriction de la liberté individuelle. On pourra imposer un bracelet électronique à des gens qui ont été condamnés par le passé, mais qui ont purgé leur peine, parfois depuis des années [cela concerne ceux qui ont fini d’exécuter leur peine depuis moins de huit ans, NDLR]. Cela pose un énorme problème de droit pénal : quand la peine est finie, elle est finie, c’est l’un de nos principes essentiels.

  • Que pensez-vous de la révision constitutionnelle annoncée ?

H.L. C’est une procédure lourde, nécessairement et légitimement complexe [elle doit être acceptée par les trois cinquièmes du Parlement réuni en congrès, NDLR]. Le chef de l’État pourrait la soumettre au référendum, mais ce serait vu comme un coup politique, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Pour ma part, je serais favorable à une suppression des articles 16, donnant des pouvoirs exceptionnels au président de la République, et 36, prévoyant l’état de siège et le renforcement de l’autorité de l’armée. Mais je ne vois là rien d’urgent

  • C’est la prolongation de l’état d’urgence qui vous préoccupe ?

H.L. Le décréter pour douze jours au lendemain des attaques me semblait justifié pour agir très rapidement. Le prolonger, et d’emblée pour trois mois, pose la question suivante : qu’est-ce qui justifiera qu’on en sorte ? On ne peut raisonnablement espérer que le terrorisme soit éradiqué dans trois mois ; comment dès lors imaginer la situation qui permettra de revenir à nos lois régulières ?

H.L. L’état d’urgence est un régime d’exception. Je crains que nous entrions dans un cycle de prorogations répétées, et finalement dans un état d’urgence permanent, évidemment attentatoire aux libertés.

Propos recueillis par Juliette Bénabent – Télérama