Après les attentats du 13 novembre, une union de façade

Les réponses de l’État aux attentats qui ont ensanglanté Paris, soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de solutions.

Il est peut-être un peu tôt pour monter sur ses grands chevaux et crier à l’atteinte aux libertés fondamentales. Et il suffit de lire un nouveau témoignage d’un rescapé du Bataclan pour se retrouver soi-même dans un drôle d’état, une balance indécise entre une tristesse qui ne s’épuise pas, une dépression teintée de colère et l’intuition que quelque chose ne tourne pas rond, qu’il y a quelque chose de forcé dans ce bel unanimisme sécuritaire et guerrier.

Tout le monde a bien compris le partage des rôles, assez sommaire, il est vrai : Valls donne les coups de menton, lui qui aura décidément construit toute sa carrière sur l’illusion sécuritaire, sans paraître craindre de nous affoler encore un peu plus quand il évoque “le risque d’armes chimiques et bactériologiques”, tandis que Hollande arrondit les angles et rappelle que nous ne sacrifierons pas nos valeurs républicaines sous la menace de Daesh.

Le FN savoure la situation

Il ne manquerait plus que cela, en effet, et heureusement que quelques voix s’élèvent pour rappeler que trois mois d’état d’urgence, c’est déjà beaucoup, sans doute trop, et que l’état d’urgence permanent n’est guère compatible avec l’exercice démocratique.

Asphyxiée, et mal aiguillonnée par un Sarkozy particulièrement calamiteux et à côté de la plaque, la droite manque d’espace idéologique et aura bien du mal à tirer un quelconque bénéfice de la séquence. Si c’était le but, c’est très réussi, et totalement dérisoire, d’autant que le FN, lui, n’a plus qu’à savourer. Mais pour tout le reste, c’est-à-dire pour l’essentiel, la réponse politique de l’exécutif ne brille pas par sa pertinence et donne l’impression d’une compilation de vieilles recettes qui ont déjà toutes échoué.

L’implacable constat de Marc Trévidic

Dans sa désormais fameuse interview à Paris Match de septembre dernier, l’ancien patron du pôle judiciaire antiterroriste, le juge Marc Trévidic, mettait en garde : “L’évidence est là : nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme par le passé. On ne peut plus les empêcher. Il y a là quelque chose d’inéluctable.”

Mais il ne se contentait pas de jouer les Cassandre et ajoutait ces remarques essentielles : “Le pouvoir exécutif veut avoir des services de renseignements tout-puissants sur lesquels il a la main. Les juges spécialisés et leur liberté d’agir ont été écartés. C’est confortable pour un gouvernement, dangereux pour la société. Je crains que l’on en arrive de plus en plus à des méthodes extra-judiciaires, administratives, sans recours, arbitraires. Comme l’ont fait les Américains à Guantánamo.” Marc Trévidic ajoutait : “Ce chemin ferait selon moi le jeu de ceux que nous combattons en nourrissant les sentiments anti-occidentaux et anti-français.”

Quelle cohérence accorder à notre politique étrangère ?

A ce réquisitoire implacable s’ajoutent les leçons de l’histoire : où et quand des bombardements redoublés ont-ils fait plier un ennemi ? et a fortiori quand il s’agit d’un ennemi aussi fluide et mouvant que Daesh ? Comment imaginer qu’un spectaculaire retournement d’alliances avec la Russie de Poutine et une coalition internationale forcément boiteuse parviendront à éradiquer une attraction apocalyptique qui trouve preneur au cœur même de notre société ? Et quelle cohérence accorder à notre politique étrangère, écartelée entre une realpolitik de marchands d’armes et notre propension à l’intervention désastreuse sous couvert de morale universelle ?

Toutes ces questions, et beaucoup d’autres, encore plus embarrassantes, à propos de nos fractures sociales et territoriales, jureront chaque jour davantage dans notre décor d’union sacrée.

Frédéric Bonnaud – Les Inrocks n°1043. – SourceCouv Inrocks N°1043