Réinventer la Terre grâce à l’innovation.

Des inventeurs travaillent à protéger la planète avec pour points communs le partage et la sauvegarde des ressources naturelles et le recours à l’open source.

Des tentes en toile beige parsèment les six cents hectares de terrain qui bordent le château de Millemont, dans les Yvelines. L’immense bâtisse en pierre blanche a été investie, du 15 août au 20 septembre, par les équipes de la POC21 – pour “Proof of Concept” (“Preuve de faisabilité”), sigle évidemment choisi en référence à la conférence sur le climat. Dans cette sorte de village de l’innovation, une centaine d’ingénieurs, designers, scientifiques et bénévoles ont travaillé d’arrache-pied pour monter douze projets eco-friendly.

Rencontres du troisième prototype

Parmi eux, Hugo Frederich est venu avec quatre acolytes construire Solar-OSE, un concentrateur solaire créé à base de miroirs qui génère de la vapeur pouvant atteindre jusqu’à 250° C. “Les volontaires de la POC21 sont venus apporter leur compétence”, raconte le jeune ingénieur, titulaire d’un doctorat en physique. “Ils nous ont d’abord aidés à réfléchir sur notre projet, puis on l’a construit avec eux à partir des plans qu’on avait développés.”

A l’origine de cette invention, il y a Open Source Ecology, un mouvement écolo américain dont Hugo a rejoint la branche française. Après cinq semaines passées à discuter, bricoler, manger, dormir et parfois braver le froid d’une fin d’été en demi-teinte, le prototype Solar-OSE est né. L’objectif à long terme : qu’une “grande partie des productions industrielles actuelles puissent être réalisées avec des énergies renouvelables et de manière locale” grâce à cette source de chaleur 100 % verte.

Un mois et demi après la clôture de la POC21, son co-organisateur Benjamin Tincq se félicite des résultats : “Sur les douze projets, la moitié au moins est bien partie pour entrer en phase de développement”. Les prototypes seront d’ailleurs exposés pendant la COP21, à plusieurs endroits de la capitale, pour sensibiliser le public à l’existence d’initiatives citoyennes en faveur de la transition énergétique. “On ne peut plus se contenter de rester à attendre que le changement vienne d’en haut, continue-t-il. Aujourd’hui, il y a des gens qui inventent des solutions dans leur garage.” 

Depuis quelques années, les initiatives qui émanent de la société civile prennent de l’ampleur, en France et dans le monde. A 24 ans, Matthieu Dardaillon a créé Ticket for Change, une entreprise qui encadre justement de jeunes innovateurs.

“Ces entrepreneurs du changement qui vont identifier un problème de société, trouver une solution pour le résoudre et développer un modèle économique derrière.”

Pour ce diplômé de la business school ESCP Europe, “la découverte des nouvelles technologies  donne un nouveau pouvoir au citoyen. On a des nouvelles armes au XXIe siècle, qui permettent de démultiplier l’impact des solutions aux problèmes sociaux et environnementaux.” Il insiste sur l’importance des inventions techniques – comme la démocratisation des imprimantes 3D –, mais aussi des outils numériques, qui permettent de s’organiser à grande échelle.

Réseaux sociaux et crowdfunding

Thanh Nghiem, ingénieure de formation, conférencière et professeure à HEC, explique que le rôle du community-building en ligne est devenu aussi important que l’innovation technologique elle-même : “Il faut commencer par créer une tribu, une petite communauté virale rassemblée autour de vous. Ensuite on crée une traction, via les réseaux sociaux. Il faut vérifier qu’au-delà des gens qu’on connaît on ait assez d’abonnés et d’adeptes pour que le projet puisse s’envoler.” 

C’est cette étape qu’Hugo Frederich est en train de franchir haut la main, après avoir lancé le 29 septembre une campagne de financement participatif en ligne (ici). “Le crowdfunding, ce n’est pas seulement récolter des fonds, c’est aussi s’assurer d’avoir une communauté qui nous suit”, souligne Thang Nghiem. Le 7 novembre, l’équipe avait récolté les 7 500 euros nécessaires à la construction d’un deuxième prototype de concentrateur solaire, plus grand – 16 mètres carrés contre 4 lors de la POC21 –, et d’un “atelier de montage collaboratif”.

La multiplication des FabLab

De l’autre côté de la Manche, l’architecte londonien Alastair Parvin a déjà réussi à passer tous ces paliers. Son invention, WikiHouse, est un kit de construction libre qui permet à n’importe qui de bâtir une maison, n’importe où, avec des matériaux écolo et de manière locale. Les intéressés peuvent éditer en ligne les plans de construction d’une petite maison, disponibles gratuitement, puis utiliser une imprimante dite “CNC” pour découper des pièces en bois ou en contreplaqué selon un tracé défini. Il ne reste ensuite plus qu’à les assembler.

La multiplication des “FabLab” – des lieux comme la Nouvelle Fabrique, à Pantin, qui mettent gratuitement des machines-outils à la disposition du public – a grandement facilité la prolifération de ces initiatives à la fois sociales et écolo. “Ces technologies abaissent radicalement les seuils de temps, de coût et de compétence. Elles distribuent massivement des capacités manufacturières vraiment complexes”, a expliqué Alastair Parvin dans une conférence TED (Technology, Entertainment and Design) de février 2013.

Au cœur de ces dispositifs novateurs, on trouve le concept de l’open source. “C’est l’esprit du partage des idées, façon Wikipédia, mais appliqué aux maisons, aux tracteurs, aux voitures, résume Thanh Nghiem. Pour chaque objet qu’on a dans notre vie, il y a des gens qui sont en train de les bricoler pour les ‘ouvrir’ et qui partagent ensuite les recettes avec les autres.” L’idée repose sur la mise à disposition des logiciels, techniques et savoirs au plus grand nombre et de manière gratuite, à l’opposé du système de brevets appliqué par les grandes entreprises depuis l’avènement du fordisme.

La transition énergétique passera par l’humain

“L’open source est très lié au développement durable”, continue Sandrine Roudaut, cofondatrice de l’entreprise de conseil en développement durable Alternité. “Le développement durable, c’est l’idée qu’on a un patrimoine commun (l’eau, l’air, les matières premières qui sont sur Terre) et que cela appartient à tout le monde. L’open source, c’est pareil, c’est le bien commun. Si une innovation est humaine et progressiste, elle doit appartenir à tout le monde.”  

Pour cette conseillère en stratégie, la succès de la transition énergétique viendra avant tout de l’humain. Et de prendre l’exemple de Rémy Lucas, un Français qui a inventé en 2011 un plastique d’origine naturelle entièrement biodégradable, façonné à partir d’algues, appelé Algopack. “Le moteur de son innovation, c’est son indignation. Il ne supporte pas que les océans crèvent”, lâche-t-elle. Selon elle, les jeunes diplômés sont de plus en plus nombreux à refuser d’intégrer des grandes entreprises, préférant “aller dans les start-up” ou participer à des initiatives citoyennes.

“Les jeunes diplômés ne veulent plus de cloison entre leur vie privée et leur vie professionnelle ; ils ont besoin de sens.”  

Les dangers du greenwashing

Certaines multinationales ne sont pourtant pas en reste en matière de recherche d’innovations vertes. Au sein de Ticket for Change, une branche appelée “intraprenariat” a même été montée pour soutenir les employés qui ont des idées pour innover au sein de leur compagnie. “On ne peut pas changer le monde si on ne change pas les grandes entreprises”, affirme Matthieu Dardaillon, qui travaille avec des sociétés comme BNP-Paribas ou Danone. Mais il prend garde aux stratégies de “green-washing” (ou “écoblanchiment”) de certaines entreprises, qui souhaitent avant tout se donner une image écologique.

“Evidemment, ces entreprises existent. Il a pu nous arriver d’être déçus, mais chez la grande majorité des acteurs avec qui on travaille, il y a une véritable envie de changer.” “En ce moment, deux camps sont en train de se dessiner et chacun va devoir choisir le sien, conclut Sandrine Roudaut. Entre ceux qui sont en train d’inventer un monde qui ne nuit pas aux autres – soit la définition du développement durable – et ceux qui continuent comme avant.” 

Marie Turcan – Les Inrocks – Source couv Inrocks 1042