Le duel qui oppose le ministre de l’Économie au PDG de Renault/Nissan est aussi politique : archétype du patron sans complexe et maître chez lui, Carlos Ghosn offre un marqueur de choix pour un Macron jugé trop libéral par la gauche.
Emmanuel Macron s’en va-t-en guerre. Ces dernières semaines, le ministre de l’Économie a sorti ses griffes contre Carlos Ghosn, le PDG de Renault-Nissan. « Contre-vérités », « déstabilisation », « conflit d’intérêts », « agendas cachés »… Les mots claquent, bien loin des circonvolutions habituelles dont on peut être capable à Bercy. « Carlos Ghosn est PDG, pas actionnaire » lâchait il y a quelques jours le bouillant ministre dans « Les Echos ». Il est rare qu’un patron du CAC 40 soit recadré de la sorte… Il faut dire qu’en face, les couteaux sont tirés. Furieux du renforcement de l’État – l’exécutif a relevé en avril sa participation au capital de Renault pour s’assurer de l’obtention de droits de votes doubles -, Nissan et son patron, soutenus par le conseil de Renault, menacent de rééquilibrer l’alliance au profit du groupe nippon.
Depuis son arrivée à la tête de Renault en 2005, Carlos Ghosn n’avait pas été habitué à être ainsi bousculé par l’État actionnaire. Le double PDG a certes été chatouillé sur des sujets sociaux, comme sur la délocalisation de la Clio IV en Turquie, qui lui avait valu en 2010 une convocation à l’Élysée pour s’expliquer devant Nicolas Sarkozy. Mais sur le fond, l’État ne s’est jamais opposé au repli de l’empreinte industrielle de Renault (la production française du groupe a été divisée par deux sur les dix dernières années). Sur les sujets de gouvernance, l’exécutif a toujours été très prudent. Carlos Ghosn n’avait pas été inquiété lors de la fausse affaire d’espionnage de 2011. Et les pouvoirs publics ont été discrets sur sa rémunération, jusqu’au plafonnement récent des émoluments des patrons d’entreprises où l’État est minoritaire. Des ménagements dus à la position clef de Carlos Ghosn, à la fois patron de Renault et de Nissan et maître d’œuvre d’une alliance qui a sauvé les comptes de la firme au losange, déversé de substantiels dividendes en direction de l’État et évité finalement à l’ex-Régie de connaître le sort des deux autres généralistes européens, PSA (recapitalisé par le chinois Dongfeng et par l’État) et Fiat (marginalisé au sein de FCA).
Pourquoi diable Emmanuel Macron a-t-il décidé de mettre fin à ce fragile statu quo ? Le ministre met en avant sa doctrine de l’État actionnaire, qui veut être un investisseur « de long terme » tout en refusant un statut d’actionnaire « passif ». Chez Renault-Nissan, cette approche se cristallise sur la dépendance de l’alliance à un homme, Carlos Ghosn, seul dirigeant capable de conduire à la fois le constructeur japonais (qu’il a redressé au début des années 2000) et son allié français. Incontournable, au point que les actionnaires ont modifié cette année les statuts afin de lui permettre de rester président de Renault jusqu’en 2022. Si le ministre salue les résultats opérationnels du dirigeant, il entend garder une minorité de blocage tant que Carlos Ghosn ne donne aucune indication sur la destination finale de son attelage franco-japonais, et, donc, sur l’avenir à long terme de Renault.
En s’attaquant frontalement au grand patron, Emmanuel Macron se livre à l’un de ses exercices favoris : la chasse aux tabous. Dans la même veine que ses propos sur les 35 heures ou sur le paiement des fonctionnaires au mérite. L’ancien banquier d’affaires joue à fond le rapport de forces, en avertissant Carlos Ghosn de la montée au capital de l’État seulement la veille au soir de l’opération. Moins d’un mois avant l’assemblée générale de Renault, la manœuvre, digne d’un fonds activiste, n’est toujours pas passée du côté de Billancourt. Pas de quoi refroidir l’ancien élève de l’ENA, qui laisse même suggérer l’hypothèse d’une fusion entre Renault et Nissan – là encore un totem – avant d’évacuer l’idée sous la pression de Manuel Valls. Constamment à l’attaque, Emmanuel Macron vit l’affrontement comme une partie d’échecs où il s’agit de faire plier le roi adverse. A la différence de Carlos Ghosn, adepte du jeu de go où la confrontation, moins frontale, se joue dans le temps, en enveloppant patiemment son adversaire grâce à l’allié Nissan.
Le duel est aussi politique. A l’heure où la France perd nombre de fleurons – Alstom, Alcatel, Lafarge… -, il s’agit, pour Bercy, de donner l’impression de reprendre la main. Et tant pis – ou tant mieux ? – si l’affrontement se fait sur une figure du capitalisme mondialisé, archétype du patron sans complexe et maître chez lui. Carlos Ghosn offre finalement un marqueur politique de choix pour un ministre souvent jugé trop libéral par la gauche. « Macron est en campagne », s’agace-t-on chez Renault-Nissan. Le jeune loup chercherait-t-il à « se payer » le patron français le plus connu dans le monde ? Les ego sont, en tout cas, de sortie.
D’un côté, le plus jeune ministre de l’Économie (trente-sept ans) depuis Valéry Giscard d’Estaing. De l’autre, un dirigeant qui a toujours été son propre patron et pilota 40 % des ventes de Michelin à trente-cinq ans (lorsqu’il accéda à la direction de Bibendum aux Etats-Unis en 1989) avant de prendre la tête de Nissan à quarante-cinq ans, en 1999.
Si Emmanuel Macron pose les questions qui fâchent, il prend aussi le risque de parasiter une alliance, en grande partie fondée sur la confiance entre deux partenaires, où la fierté des Japonais a toujours été respectée. Bien que détenant 43,4 % de Nissan, Renault ne consolide pas les résultats de son allié nippon. Dans les jours à venir, les deux stratèges vont devoir trancher entre un affrontement direct ou la recherche d’une sortie de crise acceptable. Qui devrait faire, quoiqu’on en dise, un perdant et un gagnant…
Amiot Maxime, Les Echos – Source
Les points à retenir
Depuis son arrivée à la tête de Renault en 2005, Carlos Ghosn n’avait pas été habitué à être bousculé ainsi par l’État actionnaire. En s’attaquant frontalement au grand patron, Emmanuel Macron se livre à l’un de ses exercices favoris : la chasse aux tabous. A l’heure où la France perd nombre de fleurons – Alstom, Alcatel, Lafarge… – le ministre de l’Économie veut aussi donner l’impression de reprendre la main.