Éducation sexuelle au lycée !

Mais oui, inutile de jouer les autruches, nos chers rejetons filles ou garçons ne sont pas des anges hors de la vue des grandes personnes. Autant savoir ce qui se passe dans les lycées-collèges et ne parlons même pas des universités. MC

Drogue, sexe, sida, égalité homme-femme… autant de thèmes que Didier Valentin, animateur du Centre régional d’information et de prévention du sida (Crips), aborde auprès des jeunes de lycées professionnels et centres de formation d’apprentis d’Ile-de-France. Reportage.

Vendredi 24 avril, 8h30. Seine-et-Marne. Dans la salle des enseignants, la prof d’anglais salue Didier Valentin : “Vous avez les électricité 1re année ? Bon courage”. Quinqua aux yeux clairs, ancien salarié de Sol En Si (Solidarité enfants sida), Didier sourit : cela fait quinze ans qu’il est animateur au Centre régional d’information et de prévention du sida (Crips). Les élèves savent-ils de quoi vont-ils parler ce matin ? “Pas du tout”, répond la prof. Didier prend une grande inspiration et entre dans la classe : “On va s’amuser…

Tout le monde rit, sauf la prof d’anglais

Dix garçons entre 16 et 20 ans s’installent au fond de la classe. Didier se présente. Les élèves lèvent les yeux de leurs smartphones. L’animateur annonce le thème de la discussion : prévention sida, IST, contraception… “Déjà entendu”, se lamentent certains élèves:

“Peut-être que ça ne vous concernait pas à ce moment-là, oppose Didier, d’ailleurs votre vie sexuelle est plus ou moins active selon les cas”.

Hyperactive, m’sieur !” lance un petit malin, déclenchant l’hilarité générale. Didier reprend calmement : “Il sera aussi question de la relation à l’autre, avec une aventure d’un soir, ou avec la femme ou l’homme que vous aimez…”  Deux élèves l’interrompent : “La femme, m’sieur, la femme ! Y’a pas de gays, ici !”. Didier leur explique qu’ils n’en savent rien : “Vous croyez que c’est facile d’assumer son orientation sexuelle non hétéro dans un groupe de mecs comme le vôtre ?” Homophobie et sexisme sont systématiquement abordés par les animateurs du Crips depuis quelques années.

Est-ce que vous pensez que les femmes et les hommes sont traités à égalité vis-à-vis de la sexualité ?”, leur demande Didier. Un jeune homme répond calmement : “Non, une fille qui assume sa sexualité, on va dire que c’est une pute, un homme, ça va être bien vu. C’est complètement con.” Didier acquiesce, il montre ensuite des publicités mettant en scène des femmes aguicheuses ou en position de soumission et des hommes pleins d’assurance et de force. “C’est comme avec la téléréalité, y’a tout le temps des filles à poil”, commente un élève. Un autre lance haut et fort : “Mais c’est normal, la pub, c’est fait pour attirer les hommes, parce qu’on est tordus et qu’on a une bite à la place du cerveau !”.

Tout le monde rit, sauf la prof d’anglais, installée au premier rang, qui lui demande de surveiller son langage. Mais Didier la contredit : si l’idée est discutable, l’expression, elle, fait partie du langage courant. Didier leur explique ensuite que s’ils considèrent leur copine, ou une fille croisée dans une soirée, comme un objet sexuel, ils ne vont pas être dans une relation d’égal à égal. “Il s’agit, répète-t-il plusieurs fois, d’être dans la bienveillance.” Un élève rétorque avec assurance :

“Mais m’sieur moi à 6 h du mat’, quand je sors de boîte je suis pas dans la bienveillance, je suis une bête, dans ma tête, c’est Jacquie et Michel !”

“Y’en a qui aiment ça”

Didier aborde l’épineuse question du harcèlement de rue. Il parle du site Paye ta shnek, qui recense des phrases de harcèlement. Comment réagiraient-ils si on leur disait dans la rue “Paye ta bite” ? Ils éclatent de rire. Un élève affirme que ça ne le dérangerait pas. Comment imagine-t-il la fille qui lui dirait ça ? “Plutôt bonne”. Didier sourit : “Et tu penses que les filles trouvent les mecs qui font ça attirants ?” Un élève plus âgé s’énerve : “Y’ en a qui aiment ça, elles envoient des messages”. Lesquels ? “Comment elles sont sapées, comment elles bougent, c’est pas des filles bien”.

Un autre renchérit : “Une fille qui met une jupe ras la moule, faut pas s’étonner.” Mais les mecs c’est des chiens”, oppose un élève. “Mais y’ a des chiennes, mon frère ! rétorque un avant de conclure,  mon fils pourra sortir, mais ma fille restera à la maison jusqu’à ses 18 ans, je l’enferme direct parce qu’y a des daleux et que la société craint !”

L’animateur demande à un élève s’il offrirait une poupée à son fils. “Je ne veux pas qu’il devienne gay”, rétorque-il immédiatement. Didier explique qu’à la maternelle les enfants mélangent tous les jouets, mais qu’ensuite la société séparait les jouets pour filles et pour garçons. “C’est vrai, moi je jouais avec la poussette de ma sœur”, souffle discrètement un élève à son voisin.

“Des fois, on a envie de lui rentrer dedans”

Didier aborde la règle des “3C” : connaître ses désirs et besoins, s’assurer du consentement et communiquer. Comment sait-on que l’autre est consentant ? “Si on se met dessus, et qu’elle nous repousse, c’est qu’elle ne veut pas”, répond du tac au tac un élève. Un autre le contredit : “ouais, mais des fois on a envie de lui rentrer dedans”. Didier s’arrête sur cette expression: elle signifie que les filles subissent la sexualité, explique-t-il avant d’ajouter : “Se faire prendre, se faire défoncer, se faire rentrer dedans : il faut arrêter d’utiliser ces formes passives. Les femmes peuvent être actives, dans leur sexualité”. La classe reste silencieuse.

Le thème du consentement amène celui du viol. Didier évoque un viol collectif, perpétré par des lycéens sur une jeune fille qu’ils avaient fait boire. “C’est dégueulasse”, commente un élève. Mais vite viennent les “mais“. “Mais il fallait pas qu’elle boive, et y’a des filles qui cherchent“, “mais m’sieur si eux aussi étaient bourrés ?” Didier répond :

“Si vous commettez un braquage, après avoir bu, est-ce que vous allez vous présenter devant le juge et dire : ‘Désolé m’sieur mais j’étais bourré’? Saoul ou pas, vous êtes responsables de vos actes violents.”

“Si la région passe à droite, la prévention, c’est fini”

L’animateur, toujours souriant et énergique, leur recommande ensuite de télécharger une application, Sexposer, qui leur permet de calculer leur risque pour le VIH et les IST. Un élève le fait immédiatement : “Merde, je pourrais avoir la syphilis, et des clama-chais-pas-quoi, c’est flippant votre appli m’sieur !”

Quand l’animateur évoque les centres de planification familiale et l’avortement, un garçon s’énerve : “Faut pas aborder le sujet, m’sieur, c’est ma bête noire”. Ses camarades éclatent de rire, mais lui garde un air sombre : “Y’a trop d’accidents, m’sieur… J’oublie de la sortir au bon moment”. La majorité d’entre eux n’utilisent pas de préservatif.

La sonnerie retentit, ils se lèvent tous. Certains prennent des capotes offertes par l’animateur. Didier Valentin décompresse :

“Vous voyez, ça s’est bien passé ! Ils étaient sympas, et réceptifs, il y avait du dialogue. Et puis ils n’ont pas trop évoqué la religion, alors que d’habitude ça revient tout le temps.”

Le slogan du Crips est une citation de Georges Braque : “Contentons-nous de faire réfléchir, n’essayons pas de convaincre.”

“C’est une école d’humilité, ce métier, confirme Didier. Tu ne changes pas des personnes en deux heures. Par contre tu ouvres une fenêtre, et ils respirent un peu. Et c’est très précaire, la prévention, vous savez. Mais si nous on le fait pas, qui leur parlera de ces sujets ?”

Camille Emmanuelle – Les Inrocks – Source