À deux mois de la COP21, les députés de gauche ont mis le gouvernement en minorité lundi soir, en votant une augmentation de l’aide publique au développement et au climat. Ils s’appuient sur les déclarations de François Hollande pour motiver leur vote, lui qui a promis 4 milliards d’euros de plus d’ici 2020.
Ils ont pris François Hollande au mot.
Fin septembre, devant l’assemblée générale des Nations unies, le président français a annoncé une hausse substantielle de l’aide au développement de la France. Mais c’était d’ici 2020. Lundi, les députés ont voulu accélérer : ils ont voté, contre l’avis du gouvernement, une augmentation de ce budget. Les écologistes et plusieurs députés socialistes avaient déposé le même amendement : il s’agit d’affecter 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières à l’Agence française de développement (AFD). Ce qui rapporterait environ 260 millions d’euros l’an prochain et porterait à environ 50 % la proportion de la TTF dédiée au développement et au climat.
Pour le défendre, tous en ont appelé aux propos de François Hollande. « Il est important que l’aide publique au développement augmente substantiellement – c’est un engagement du président de la République », a expliqué le député socialiste Jean-Marc Germain. « Permettez-moi de rappeler les déclarations du président de la République française le 27 septembre devant l’assemblée générale des Nations unies : augmenter l’aide au développement de 4 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2020, soit 800 millions d’euros par an dès 2016 si nous voulons atteindre cet objectif », a abondé Benoît Hamon (PS). « Nous avons été très fiers d’entendre le président de la République en septembre à l’ONU. (…) À la veille de la COP21, ce serait formidable que la France fasse un geste, compte tenu de ses responsabilités en termes de droits humains », a encore dit la socialiste Monique Rabin.
Dans l’hémicycle, le compte est vite fait : les défenseurs de l’amendement sont majoritaires. Le secrétaire d’État au budget Christian Eckert le sait. Il s’agace : « Bien que certains se réclament de la parole du président de la République, le secrétaire d’État vous répond qu’il n’est lui-même pas le plus mal placé pour porter ici la parole du président de la République, défendant un projet de loi de finances qui a été adopté en conseil des ministres ! »
Le député PS Olivier Faure lui offre une porte de sortie en lui proposant de décaler dans le temps l’application de la mesure. Et il lui demande si le gouvernement redéposera un amendement pour annuler celui qui est débattu. Eckert : « Il n’en sait rien, le gouvernement ! » La séance est suspendue.
Dix minutes plus tard, malgré l’avis défavorable d’un Christian Eckert furieux, et de la rapporteure du budget Valérie Rabault, l’amendement est adopté.
Les ONG, comme Oxfam, Coordination Sud ou One, sont évidemment ravies. « C’est une belle surprise. Maintenant, il faut que ça aille au bout du débat parlementaire », savoure le socialiste Philippe Baumel, un des auteurs de l’amendement. C’est la deuxième fois en une semaine que dans le débat sur l’aide au développement, les députés (PS, EELV et Front de gauche) arrachent des victoires d’autant plus remarquables qu’elles sont bien rares. Vendredi 16 octobre, les députés avaient déjà voté l’élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières aux opérations « intraday ».
Ces achats-ventes d’actions se déroulant en moins de 24 heures, mais très souvent en moins d’une minute, échappent pour l’heure à la taxation, mise en place en 2012. Bercy y était farouchement opposé. Mais le ministre des finances Michel Sapin a finalement cédé, à condition de reporter l’application de la mesure au 1er janvier 2017. Et à condition que l’Union européenne suive.
François Hollande a été pris à son propre jeu.
Quand à New York, le 28 septembre, le président annonce 4 milliards d’euros de plus pour le développement d’ici 2020, dont deux milliards pour le climat, il ravit les ONG et les députés impliqués sur ces questions. Mais quand, deux jours plus tard, le gouvernement présente un budget où l’aide au développement est une nouvelle fois en baisse (de 170 millions d’euros), c’est la consternation.
Cela l’est d’autant plus que les annonces de François Hollande sont relativement floues : les 4 milliards d’euros supplémentaires sont des prêts, et non des dons. Ce n’est que quelques jours plus tard que le gouvernement précisera que ces derniers devraient quant à eux augmenter de 350 millions d’ici 2020.
Quant au budget pour 2016, face à la pression d’une partie de sa majorité (y compris Élisabeth Guigou, la présidente de la commission des affaires étrangères) et du quai d’Orsay, le gouvernement fait marche arrière et s’engage finalement à stabiliser le budget de l’aide publique au développement : dans le débat au parlement, il a déposé deux amendements, adoptés eux aussi, pour remettre 150 millions d’euros au pot. « Avec ce budget, on arrête l’hémorragie, et c’est une très bonne nouvelle », se félicite Annick Girardin, la secrétaire d’État au développement. Avant d’ajouter : « Cela a été un combat ! Je ne me le permets pas souvent mais, cette fois, j’avais envoyé des SMS au président de la République et au premier ministre… »
Cela dit, la France reste très loin de son engagement international de consacrer 0,7 % de son produit intérieur brut (PIB) à l’aide au développement. Aujourd’hui, la part française se situe entre 0,3 % et 0,4 %. Et si elle veut tenir les engagements pris par François Hollande devant l’ONU fin septembre, elle devra chaque année trouver de nouvelles ressources. N’en déplaise à Bercy
Bredoux Lénaïg, Médiapart – Titre original de l’article « Aide au développement : les députés infligent un camouflet au gouvernement » – Source