Face au silence assourdissant des penseurs de gauche, il est temps de raviver des valeurs progressistes. Car il n’est ni honteux ni ringard de soutenir les déshérités et les populations démunies.
Il n’est désormais plus possible d’ignorer l’omniprésence envahissante des intellectuels de droite, avec leurs fantasmes identitaires, sécuritaires, leur obsession du déclin et leur goût apeuré de la » catastrophe » annoncée. Ils envahissent l’espace public. On ne voit qu’eux.
Est-ce à dire que les intellectuels de gauche se sont effacés du paysage, qu’ils se sont tous reniés ou qu’ils ont déserté ce qui, pendant des décennies, cimentait les idéaux, les convictions et les engagements de ce qu’on appelait encore le » peuple de gauche » ? Les questions pourtant n’ont pas disparu.
L’actualité terrible de ces derniers mois rappelle plus que jamais l’urgence de raviver les valeurs d’égalité, de fraternité et de solidarité constitutives de leur histoire. Leur absence, leur silence sont donc assourdissants. Est-ce le signe d’une rupture qui renverrait aux oubliettes de l’histoire tous ceux qui se réclament encore de ces » valeurs » pour résister à l’invasion médiatique des thématiques, des provocations sémantiques de l’extrême droite et de ceux et celles qui braconnent sans vergogne sur ses terres empoisonnées ?
Etre de » gauche » aujourd’hui – non pas de cette gauche de gouvernement qui n’a que faire de cet héritage, mais de cette gauche qui garde la conscience aiguë des luttes qui lui importent et des affrontements qui font son identité –, cela fait-il de celui qui le confesse un fossile ou un dinosaure ?
Ces questions sont le signe d’une crise qui a deux raisons majeures.
- La première est que les intellectuels de gauche, après la victoire historique de 1981, ont déserté le terrain idéologique, comme si la partie était définitivement gagnée. Ils ont manqué de vigilance, minimisant ce vieux fond raciste, xénophobe, sécuritaire, haineux et revanchard qui continuait (qui ne cesse jamais) de fermenter dans la société. Ils n’ont pas fourbi leurs armes pour s’opposer à cette rhétorique nauséabonde d’une » identité » régressive qui impose sa loi. Croyance indéracinable
- La seconde est que, comme le rappelait Péguy aux socialistes de son temps, avant la première guerre mondiale, une politique, quelle qu’elle soit, ne saurait rassembler, unir, fédérer ceux et celles qui sont appelés à la soutenir, si elle ne s’appuie pas sur un socle de croyances qu’elle prend soin d’entretenir. A défaut de le garder vivant, elle laisse une place vide.
Or, la politique a horreur de ce vide qui se trouvera toujours quelque aventurière pour l’occuper. C’est ce qui nous arrive aujourd’hui ! C’est ce qui nous menace !
Les mots, les valeurs, les idées qui cimentaient ce » peuple » – tout ce qui témoignait d’une attention soutenue aux déshérités, aux démunis, aux laissés-pour-compte et qui constituait pour eux tant bien que mal un principe d’espérance –, grâce à la voix de ces » intellectuels « , ont cessé de s’imposer comme le socle d’une croyance indéracinable. Ils l’ont cessé d’autant plus que les politiques dites » de gauche » s’en sont détournées.
Jamais, au demeurant, le sentiment d’une trahison n’a été aussi fort que ces dernières années. Plus personne ne s’y retrouve. Mais il est impossible d’en rester là ! On pourra dire tout ce qu’on veut de l’évocation » nostalgique » de ce peuple de gauche et de ses intellectuels, il n’en demeure pas moins que sa présence forte sur la scène politique, ses interventions, ses coups de gueule étaient un facteur d’équilibre et qu’ils constituaient un rempart.
Lorsque le Front national atteint des scores qu’on n’aurait jamais imaginés au temps où la voix des intellectuels de gauche savait encore porter, il apparaît urgent qu’elle sache de nouveau se faire entendre et qu’on lui en donne les moyens.
Marc Crépon – Le Monde, Titre original « Face à l’hégémonie droitière, retrouvons les valeurs de progrès ! » –Source