Les jeunes ne veulent plus de faux espoirs

Yánis Varoufákis – Moi, ce qui m’inspire aujourd’hui, c’est de voir ces jeunes gens descendre dans la rue et s’intéresser à la politique à nouveau, un mot qui pour eux était encore un gros mot il y a quelques années. Les jeunes ne veulent plus qu’on leur donne de faux espoirs, ils veulent qu’on leur dise ce qu’on peut faire ou ne pas faire. Ce qu’on a fait en Grèce avec Syriza ces dernières années a contribué à faire naître un espoir chez eux.

Après la signature du troisième mémorandum par Aléxis Tsípras, 80 % des jeunes qui avaient rejoint Syriza ont fait leurs valises…

Je les comprends, j’ai quitté le navire aussi. Les jeunes se sont sentis trahis, et ils ont raison. 62 % des gens ont voté “non” au référendum, c’est énorme, et je comprends que la signature du troisième mémorandum les ait déçus. Les Grecs ont voté pour Tsípras comme vous avez voté pour Mitterrand en 1988, ou pour Chirac en 2002, sans conviction, ou alors parce que vous étiez obligés.

Est-ce qu’il y a des similitudes entre Tsípras et Mitterrand ?

(…) Comme Mitterrand, Tsípras voulait bien faire après avoir fait naître un immense espoir. Ils ont vécu la même aventure. En 1981, alors qu’il voulait réaliser des réformes de gauche, Mitterrand s’est heurté au reste de l’Europe, et en particulier à l’Allemagne. Idem pour Tsípras avec la troïka. Ce que tout cela veut dire, c’est qu’on ne peut agir seul en Europe, il faut que des pays se coordonnent s’ils veulent aboutir à un changement.

En Grèce, des militants de Syriza nous ont dit que Tsípras avait justifié votre départ en disant que “vous êtes un excellent économiste, mais un piètre politique”

Pour moi, c’est un compliment majeur… Quand je me suis présenté aux élections en janvier, j’ai dit que je me présentais à contrecœur, et que je craignais le moment où je me comporterais comme un homme politique, où je ferais des compromis… Etre un bon politique, c’est adapter sa narration au moment, j’en suis incapable…

Vous êtes plus radical que Tsípras, ce qui vous confère presque un statut de rock-star, même si vous n’aimez pas ce mot…

Pas la peine de venir me voir pour un selfie, je suis loin de tout ça. Et je ne pense pas que ceux qui s’intéressent à moi viendront me voir pour ça d’ailleurs…

(…)

Vous avez fait vos études en Angleterre fin 70, début 80. Qu’est-ce que vous avez retenu de cette période marquée par les grands débuts de l’austérité en Europe…

C’est une période qui m’a profondément marqué, j’ai même été éduqué politiquement très sérieusement par cette période. Au départ, je pensais que l’arrivée de Thatcher allait être une bonne chose pour la gauche anglaise. Ça n’a pas été le cas, l’exact opposé même : leçon numéro 1… Néanmoins, je me disais qu’en installant une politique d’austérité, Thatcher pourrait faire baisser le chômage au prix de sacrifices. Ça été le contraire, le chômage a augmenté : leçon numéro 2… Leçon numéro 3, j’ai vu la classe ouvrière se diviser : d’un côté ceux qui ont gardé leur job, qui sont prêts à tous les compromis pour le garder ; et de l’autre ceux qui l’ont perdu et se radicalisent… Enfin, leçon numéro 4, j’ai vu les services publics d’un pays s’affaiblir les uns après les autres, alors que c’était pourtant l’une des forces du Royaume-Uni. Pour résumer, j’ai vu ce qui se passe dans toute l’Europe depuis des années se produire avant l’heure…

Parlons un peu de Michel Sapin… C’est quelqu’un qui vous a beaucoup déçu lors des discussions de l’Eurogroupe (la réunion des ministres des Finances de la zone euro – ndlr)

J’ai eu beaucoup de discussions privées avec Michel Sapin, il était d’accord sur tout, la France, la Grèce, l’Europe… Et puis nous avons fait une conférence de presse, et il a dit tout l’inverse, je suis sorti sonné, je lui ai dit : “Mais qu’est-ce qui t’a pris, Michel…” Il m’a fait comprendre que la France n’était plus ce qu’elle était, en Europe notamment, et qu’il n’avait pas les mêmes latitudes en public qu’en privé, notamment à l’égard de Berlin… (…)

David Doucet et Pierre Siankowski – Les Inrocks (Extraits) – Source