Golshifteh Farahani est quoiqu’il en soit aujourd’hui une artiste épanouie, musicienne, chanteuse, comédienne, bien établie et « heureuse » en France, suite à son exil imposé par les autorités iraniennes.
Elue meilleure actrice au festival de Fajr pour son premier film à l’âge de 14 ans, et déjà dix-neuf films à son actif en dix ans, dont quelques grands succès cinématographiques internationaux comme « A propos d’Elly » ou « Pierre de patience ». A posteriori, cette artiste accomplie pourrait endosser l’étendard de la liberté de l’expression des femmes iraniennes… C’est le but de cette photo d’elle, nue dans la très sélecte revue « Égoïste » (le 17e N°)
« Les gens, ici, aiment bien me victimiser »
Dans l’entretien à Serge Bramy réalisé et publier dans la revue, Golshifteh Farahani confie qu’elle « ne connaît plus l’Iran d’aujourd’hui ». Elle décide de réaliser il y a deux ans cet acte rebelle à son échelle. Elle artiste, aujourd’hui française, européenne, et non voilée, comme certaines de ces femmes précédemment mentionnées. Et contrairement à d’autres qui ne sont pas artistes, qui sont-elles voilées, et ne possèdent qu’un passeport iranien.
Mais le long entretien de plusieurs pages A3 de Golshifteh Farhani réalisé par Serge Bramy dans ce 17e numéro d’Egoïste ne semble pas intéresser les commentateurs. Pour preuve, la seule et unique citation extraite de l’entretien et reprise dans la majeure partie des articles n’est pas même éclairée de son contexte – que voici :
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Serge Bramy « Tu aimerais faire de la politique » ?
Golshifteh Farahani : Non, surtout pas. A quoi bon ? Regarde la France, qu’on dit un pays libre. Tu prononces un mot de travers, tu es fichue. C’est le royaume du conformisme, de l’hypocrisie. […] Dans les dictatures, on surveille aussi ses paroles, mais il y a une raison. […]
Les gens, ici, aiment bien me victimiser. Je ne suis pas une victime, mais à force d’entendre que je l’étais, de le lire dans les journaux, je commençais à y croire. Il fallait que je sorte de ce rôle.
L’exil, c’est ma force, tout va bien. […] En attrapant le meilleur des deux côtés, c’est comme ça qu’on se libère. Parce que Paris, en même temps, est le seul endroit de la planète où les femmes ne sont pas coupables. En Orient, tu l’es tout le temps. […] J’ai découvert tellement de choses ici sur ma féminité. Si j’étais partie en exil aux Etats-Unis, j’aurais été fichue. Los Angeles aurait été le pire endroit possible. La vulgarité, le puritanisme. Je serais devenue horrible. »
« Vous m’entendrez si je pose nue ? »
Les mots de Golshifteh sont clairs, dans un monde où l’on ne parle pas librement, elle préfère se taire. Son acte appelle d’abord à la réflexion, comme l’explique la philosophe Geneviève Fraisse dans un article de Libération paru le 8 février :
« La nudité apparaît aussi comme la nécessité d’interrompre le bavardage médiatique, dans une société comme la nôtre où on vit dans un flot d’images. Ces femmes qui choisissent de se dévêtir disent : dans ce flot, vous ne m’entendez pas, mais vous m’entendrez si je pose nue. »
Ce qui est à craindre face à ce nu silence est la manipulation de cet acte de défiance, où la nudité est mise en scène, au risque de créer la confusion entre cet acte de défiance et un acte de libération féminine fantasmé.
Golshifteh Farahani, étendard de la cause des femmes en Iran, à l’heure où les réprimandes pour mauvais port du voile sont de plus en plus récurrentes avec la nouvelle campagne de respect du hijab mise en place sous Rohani ? Pourquoi pas, mais depuis quand ? Depuis que certains commentateurs des médias en ont décidé ? Elle en a la carrure ; elle se tait ; candidate parfaite au « parlons à sa place », à une trahison collective d’un acte isolé et silencieux.
Banalités et amalgames
Outre le fait que de nombreux commentateurs aient négligé d’anticiper les conséquences de la viralité de leurs creux articles avant de broder sur une affaire de ce genre, il est également intéressant de constater que certains utilisent le buzz de l’affaire pour débiter des banalités sans pareille, parfois même vraiment tirées par les cheveux. Ils sont les premiers complices d’amalgames dangereux, de raccourcis mal placés et de catégorisations grossières.
Banalités publiées une dizaine de jours après la sortie officielle de la revue et plus d’un mois après la diffusion sur les réseaux sociaux de la une représentant Golshifteh Farahani.
Banalités déjà débattues en Iran depuis plus d’un mois, sur les réseaux sociaux, dans les familles, dans les cafés.
Banalités qui ont engendré leur propre lot de rumeurs iraniennes tirées par les cheveux, mettant en scène par exemple le prétendu assassinat de Golshifteh Farahani pour impudeur, son faux enterrement dans une église, la répudiation de la fille par son célèbre père (via un post Facebook, évidemment) pour cette action amorale.
Banalités qui desservent toutes le combat des femmes et des hommes qui se battent pour la liberté d’expression en Iran notamment.
Via ce traitement médiatique, Golshifteh Farahani devient l’héritière forcée de centaines de manifestations qui ont eu lieu en Iran et dans le monde dès le 8 mars 1979, quand déjà plus de 15 000 femmes hurlaient « Nous n’avons pas peur » face aux tirs des milices de la Révolution, sans dévoiler cependant leurs corps, camouflés parfois sous un tchador.
Elle, héritière forcée du message inaliénable, clair, précis, qui ne laisse de place au doute ni à l’amalgame ni à la manipulation médiatique, de celles qui s’écriaient « Nous sommes des femmes iraniennes et nous voulons la liberté » dès les premières heures de la Révolution jusqu’à aujourd’hui.
Golshifteh Farahani, héritière forcée
Elle, victime non plus du voile islamique, mais du « voile médiatique », ce voile qui fausse les intentions, les actions, par l’abondance de mots, de bavardages, de raccourcis, et qui trahit non seulement la voix de leur propre « élue », mais réduit également celle de milliers d’autres au silence, en leur accordant moins d’importance.
Pour reprendre la solide argumentation de l’article de Hamid Dabashi publié en 2012 suite à « l’incident du sein » de Golshifteh, il y défie quiconque de se vanter de défendre la liberté d’expression de Golshifteh Farahani s’il ne défend pas avec la même vigueur le droit des citoyennes musulmanes à rester voilées en public, dans une Europe où l’islamophobie est latente.
Ces mêmes défenseurs de la liberté d’expression qui, animés pourtant par la volonté de se rallier à la lutte et à la « bonne cause », condamnent malgré eux ces combattantes infortunées et polarisent un débat déjà sclérosé.
La surmédiatisation de cet acte isolé devient alors paradoxalement l’une des plus grandes menaces à l’avancée même de la cause de la liberté des femmes en Iran.
D’autres actions pour la liberté de la femme
La surmédiatisation virale de l’acte de Golshifteh Farahani ne doit pas occulter les autres actions entreprises pour défendre – ouvertement cette fois – la cause de la liberté de la femme en Iran :
- quid de l’avocate Nasrin Sotoudeh, qui a survécu à trois grèves de la faim spectaculaires en prison, symbole de la lutte pour les droits des femmes et des enfants maltraités ?
- Quid de la journaliste Ghoncheh Ghavami, arrêtée de longs mois pour avoir protesté face à l’interdiction aux femmes à accéder à des stades en Iran ?
- Quid de Newsha Tavakolian, artiste iranienne qui refuse un temps le prix Carmignac qui restreint sa liberté d’expression en France alors même qu’elle est lauréate de ce prix artistique prestigieux ?
- Et de Mahdieh Golroo, arrêtée de nombreuses fois pour avoir participé à des marches contre les attaques à l’acide sur les femmes, ainsi que pour l’égalité des droits universitaires pour tous ?
- Et de l’architecte Zahra Rahnavard, première femme rectrice d’université après la Révolution, aujourd’hui en résidence surveillée aux côtés de son époux Mir Hossein Mousavi ?
- Sans oublier feu le médecin Shahla Farjad, fondatrice de l’organisation des Mères pour la paix ;
- ni l’héritage de la poétesse féministe Simin Behbahani, qui nous a également quittés il y a quelques mois ;
Note personnelle : L’article relate des faits récents en Iran. Ils pourraient aussi bien se passer dans tous les états ou « règnent » les extrémistes de la religion musulman. MC
Source divers