Peut-on jouir écolo?

L’association Générations cobayes enchaîne tour de France, apéros et conférences pour encourager les jeunes à mettre davantage de bio dans leur vie intime. Et mêler santé et sexualité n’est pas qu’une partie de plaisir…

Vous aviez prévu le coup : la chantilly était au frais depuis cet après-midi. Ce soir-là, il a suffi de la sortir du frigo pour faire déraper votre dîner romantique. En guise de dessert, voilà votre compagne allongée sur le canapé, le corps enduit de crème fouettée. Vous approchez votre langue et prenez une généreuse lampée. “Et là, c’est le drame, interrompt Thibault. Certaines chantilly sont pleines d’additifs, de colorants, d’édulcorants, qui peuvent se révéler cancérigènes. Certains ingrédients sont aussi produits par des animaux nourris aux OGM”. Et voilà comment, en un coup de langue, vous avez transformé votre partie de jambe en l’air gastronomique en jeu dangereux.

“J’aime bien commencer mes conférences par ce genre de saynettes, continue Thibault. Tout le monde peut s’y retrouver”. Depuis plusieurs années, ce jeune homme de 28 ans à la formation d’ingénieur a intégré l’association Générations Cobayes. Depuis, il enchaîne conférences, réunions et apéros pour populariser le concept qui les a fait connaître : “l’éco-orgasme”. En clair : même dans la vie intime, on est envahis par les perturbateurs endocriniens, les nano-particules et les additifs alimentaires. Un cocktail qui peut avoir de multiples résonances sur la santé : augmentation du risque de cancer, baisse de la fertilité, allergies ou maladies chroniques. Le week-end dernier, leur stand n’a pas désempli lors du rassemblement éco-citoyen Alternatiba.

Sept commandements

Pour atteindre le septième ciel en se protégeant – et en sauvegardant la planète – ils ont établi sept commandements, comme autant de préceptes pour jouir responsable : choisir des sextoys sans phtalates, hydrater sa peau avec une crème bio de préférence ou aérer sa chambre au moins dix minutes par jour, pour limiter la pollution de son air intérieur par les vernis et autres peintures industrielles. “Les fabricants se justifient en disant que leur produit contient les quantités limites fixées par la loi, explique Thibault. Mais c’est l’effet cocktail qui est dangereux”. Avec ses camarades, surnommés “les Obsédés”, ils sont même partis faire un tour de France, à bord d’une camionnette customisée d’autocollants et plumes rose bonbon. Le succès a été au rendez-vous. “Grâce à l’éco-orgasme, notre page Facebook est passée de 4000 à 10000 likes en quelques mois et beaucoup de bénévoles ont voulu nous rejoindre”, raconte Thibault.

Si l’initiative de Générations cobayes a autant de succès, c’est qu’elle correspond à la montée en puissance de la prise de conscience des consommateurs. “L’univers du sexe se banalise, il répond donc aux même logiques que les milieux traditionnels, analyse Patrick Puvot, PDG de la chaîne de sex-shops Passage du Désir. On observe nous aussi une augmentation de la demande de produits responsables”. Pour autant, si l’univers se banalise, les contrôles sanitaires sont beaucoup moins exigeants:

“Il y a une vraie hypocrisie, dénonce-t-il. La douane considère les sex-toys comme étant des ‘instruments de massage’, qui n’entrent pas en contact avec les muqueuses. Même pour un capuchon de stylo, la législation est plus sévère !”

Grand ennemi des sex-toys : le phtalate, nom de cette substance qui sert à assouplir le plastique. “Si nous avons des doutes, nous faisons vérifier l’appareil par un labo indépendant, indique Patrick Puvot. Et les clients peuvent aussi opter pour des appareils en silicone, en verre et même en bois ! Mais ça, les clientes aiment moins, elles ont peur des échardes.

Des préservatifs pas toujours transparents

Côté préservatifs, si la demande de transparence est aussi de plus en plus forte, difficile encore de connaître la composition exacte des produits proposés. “Le préservatif est par définition un produit bio, issu du latex de caoutchouc naturel, précise Marc Pointel, PDG du Roi de la Capote, plus gros revendeur de préservatifs en France. Mais, même si en France, les normes sont très strictes, il n’existe pas de label bio. Les préservatifs sont considérés comme des ‘dispositifs médicaux’ et les fabricants ne sont pas tenus de détailler leur composition.”.

Alors, sans se revendiquer 100% bio, plus en plus de marques tentent de surfer sur la tendance écolo. Tandis que Sir Richard’s garantit des capotes fabriquées “sans ajout de produits chimiques”, d’autres utilisent du caoutchouc issu du commerce équitable. En France, les magasins bio commercialisent des préservatifs siglés RFSU, une norme suédoise qui se veut encore plus contraignante.

Et pour les lubrifiants, mêmes problèmes. “Nous ne commercialisons que la marque allemande BioGlide, une des seules qui affiche un label bio. Elle composée uniquement d’eau et d’épaississants, indique Marc Pointel. On me le demande de plus en plus régulièrement.” Car là aussi, les fabricants ne jouent pas toujours la transparence:

“Beaucoup de clients qui avaient utilisé une grande marque me sont revenus avec des petites irritations ou des mycoses. Je leur ai conseillé d’opter pour le bio et là, plus de problème”, raconte-t-il.

Pour l’amateur de plaisirs responsables, tout ça fait beaucoup d’informations à retenir pour quelques minutes de plaisir. “Dommage, car cela peut rebuter certaines personnes à utiliser un préservatif”, regrette Marc Pointel. D’autant plus qu’on peut être exposé à n’importe quel âge. Justement, sur le stand de Générations Cobayes, un homme d’une soixantaine d’années s’approche, l’air malicieux. Il soulève ses lunettes noires et sussure : “Et dans le Viagra, il y en a, des perturbateurs endocriniens ?” La bénévole de l’association reste sans voix. “C’est une bonne question. Les labos pharmaceutiques ne livrent pas facilement la composition de leurs produits”. Comme quoi. De nos jours, l’éco-orgasme semble encore plus difficile à atteindre que le septième ciel.

Cerise Sudry-le-Dû – Les Inrocks – Source

Pour aller plus loin : Le site de Générations cobaye