Les élus LR (ex-UMP) cherchent une boussole

Qui est cette « boussole » recherchée. En la matière, par cet aphorisme, le journaliste de Médiapart sous entendrait que N. Sarkozy n’est plus « l’homme providentiel » des républicains ! Mais alors qui ? MC

Entre l’échéance de la primaire, la menace du Front national et l’ultra-droitisation de Nicolas Sarkozy, les parlementaires LR (ex-UMP) peinent à trouver des propositions novatrices et à créer une dynamique. Ce qui ne les empêche pas de gagner toutes les élections, font-ils remarquer.

Ils ne sont pas si mécontents que ça.

Alors que la primaire de 2016 et les dissensions de ses principaux candidats polarisent l’espace médiatique ; alors que Nicolas Sarkozy, le chef de leur parti, organise la surenchère à droite ; alors que se profile la menace d’un succès du Front national aux régionales de décembre, les parlementaires LR (ex-UMP) affichent une certaine forme d’optimisme. À les en croire, l’opposition se porterait bien. Ou du moins, « bien mieux qu’avant ».

« L’état de notre famille politique n’a jamais été aussi bon », se réjouit le député et maire de Vesoul, Alain Chrétien. Ils sont nombreux, parmi ses collègues à l’Assemblée nationale, au Sénat et au Parlement européen, à partager cet avis.

Après l’échec de la présidentielle de 2012 et l’épisode de la guerre Fillon/Copé, le parti de la rue de Vaugirard pouvait difficilement descendre plus bas. Pendant plusieurs mois, les élus de terrain, ceux que l’on entend rarement à la télévision, ont assuré le service après-vente de situations qui leur échappaient complètement. Ce sont eux qui ont dû répondre aux déceptions des électeurs qui avaient fait confiance à Nicolas Sarkozy. Eux qui ont dû s’excuser pour les batailles d’égos de leurs ténors. Eux qui ont été sommés de s’expliquer sur l’affaire Bygmalion.

De cette période, ils sont sortis groggy. Et deux ans plus tard, ils en parlent encore comme d’un « traumatisme ». « Nous sommes aujourd’hui dans un moment de convalescence, nous refermons les blessures », affirme le député du Vaucluse Julien Aubert. « Nos militants ont encore une perspective très sombre de notre mouvement, précise le député du Rhône Georges Fenech. Mais je leur dis que la réalité est différente et que les choses sont désormais totalement apaisées. »

Passés maîtres dans l’art de la méthode Coué, les parlementaires reconnaissent toutefois, à l’instar de l’eurodéputée Constance Le Grip, qu’« il y a encore beaucoup d’attente et de circonspection » chez leurs électeurs. Alors pour se donner du peps, ils se concentrent sur les conquêtes électorales. « Il y a une dynamique de victoire, souligne encore l’élue. Les dernières élections ont montré la mobilisation de nos militants. » La droite est en effet sortie gagnante des municipales, des départementales et de la plupart des scrutins partiels organisés depuis 2014.

Qu’importe si ces succès tiennent avant tout à la déconfiture du Parti socialiste, « l’essentiel ce sont les résultats », plaide le député de Corse-du-Sud Camille de Rocca Serra, qui mise, sans prendre trop de risques, sur de nouvelles victoires au mois de décembre. « Les régionales mettent la droite dans les meilleures conditions parce que nous avons réussi à nous entendre », s’enthousiasme également le sénateur de Haute-Savoie Jean-Claude Carle, rappelant que LR a réussi à monter des listes d’union avec les centristes de l’UDI, voire même avec ceux du MoDem, dans la quasi-totalité des régions. Et ce, « sans référendum », s’amuse un cadre de la rue de Vaugirard en référence à l’initiative du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis.

Les élus LR aiment se comparer.

Vous leur parlez affaires, ils répondent « Cahuzac » et « Thévenoud ». Vous leur présentez le mauvais bilan de Nicolas Sarkozy, ils lui opposent « les mensonges de François Hollande ». Vous leur rappelez que l’ex-chef de l’État avait promis de mobiliser « une armée de militants » et qu’un an après son retour, le nombre d’adhérents est en baisse, ils rétorquent « c’est pire au PS ». « Quand on se compare, on se rassure », a d’ailleurs reconnu Laurent Wauquiez sur RTL, le 23 septembre.

Quand on se compare, on évite surtout de se remettre en question.

C’est pourtant l’exercice auquel la droite devra se prêter d’ici la future présidentielle si elle veut comprendre pourquoi une partie de ses électeurs lui a préféré le FN en 2012. « Nous sommes tenus à évoluer et à proposer de nouvelles idées, affirme le député des Bouches-du-Rhône Christian Kert. La primaire va nous y aider puisqu’elle va être l’occasion d’un débat au sein de notre famille politique. » Une fois les régionales passées, l’opposition entend accaparer la lumière sur son scrutin de novembre 2016. « Toutes les attentions vont être portées sur nous », veut croire le député de la Drôme Hervé Mariton, fraîchement déclaré candidat. « La primaire est une présidentielle en amont, qui va nous permettre d’aller au devant des Français », renchérit le député et maire d’Arcachon Yves Foulon. « Nous, parlementaires, nous serons là pour réfléchir sur le fond et faire entendre la voix de notre candidat », développe également le député et maire de Coulommiers, Franck Riester.

Son collègue des Yvelines Henri Guaino semble beaucoup plus sceptique. « J’ai toujours été contre la primaire, je n’ai pas changé d’avis », grogne-t-il. Loin de considérer que le scrutin de 2016 fasse émerger des solutions miracles, l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy note surtout que « pour le moment, cela conduit tout le monde à dire n’importe quoi ». « Il n’y a qu’à regarder le débat sur les statistiques ethniques ou l’idée [de Xavier Bertrand – ndlr] de créer un “ministère de l’autorité”… » L’élu craint par ailleurs que la parole soit monopolisée par les candidats, raison pour laquelle il laisse planer le doute quant à son éventuelle participation. « S’il faut en être pour avoir une chance de se faire entendre… On verra. Ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas rester les bras ballants à attendre que ça se passe. »

Nicolas Sarkozy ne compte pas “attendre que ça se passe”, lui non plus. Alors qu’il ne cesse de répéter qu’il veut « protéger les régionales de la primaire », l’ex-chef de l’État affine en sous-main sa stratégie pour se démarquer de son principal adversaire, Alain Juppé. Convaincu que le scrutin de 2016 se jouera à droite, voire très à droite, il tente depuis plusieurs mois une drague des électeurs du FN, entraînant par l’occasion l’ensemble de son parti dans la dérive ultra-droitière qui l’a perdu lors du précédent quinquennat. Ainsi multiplie-t-il les propositions et déclarations hasardeuses, affirmant ici ou là que « les banlieues doivent arrêter de culpabiliser la France » et que « des millions et des millions » de migrants « poussent » pour venir en Europe.

Face à ce type de propos, certains parlementaires grimacent. D’autres applaudissent des deux mains. Parfois, ils font les deux en même temps, tant ils sont perdus. Bien conscients que la situation leur échappe, les élus LR sont incapables de redresser la barre. S’ils laissent faire leur patron, c’est aussi parce qu’ils n’ont bien souvent aucune contre-proposition à soumettre à ces électeurs qui « réclament davantage de fermeté, mais ne voteront jamais pour une copie du FN », pour reprendre les mots du député et maire de Vesoul, Alain Chrétien. La droitisation est une erreur, mais il faut prendre conscience que le peuple de droite veut des réponses concrètes, indique le député du Vaucluse Julien Aubert, en campagne pour les régionales en Paca, aux côtés de Christian Estrosi. En ce moment, par exemple, les gens sont littéralement hantés par les réfugiés. Ce qu’on leur propose depuis dix ans ne fonctionne pas.

La droite doit marcher sur ses deux pieds.

La base de ce parti, c’est le RPR, c’est-à-dire un électorat rural qui a du mal à se retrouver dans l’offre nationale. Nous sommes dans un système où chacun harmonise sa pensée. Dès que vous sortez des clous, vous êtes taxé de fasciste. » Ils sont nombreux, chez les parlementaires LR, à expliquer que seule une clarification du discours permettra de devancer le FN. Or, quand on leur demande de préciser leur pensée, les élus de |’opposition sont tout… sauf clairs. « Nous sommes face à des gens qui se sentent abandonnés, souligne le député et maire de Reims, Arnaud Robinet. Il faut un langage de vérité sur la situation de la France, sans pour autant tomber dans la radicalisation. » Soit. Mais encore ? « Nous avons besoin de remettre en exergue les valeurs de la République française », assure l’eurodéputée Constance Le Grip. « Il faut inverser le sens de la démocratie et mettre en place une démocratie ascendante », ajoute le sénateur Jean-Claude Carle. « Il faut casser le surmoi de la droite europhile », indique encore Julien Aubert.

Au-delà des grands concepts, on peine à comprendre comment la droite peut trouver un équilibre entre sa tradition humaniste et la course à l’échalote dans laquelle est en train de sprinter l’ex-chef de l’État. D’autant plus que, pour l’heure, ils parlent surtout dans le vide. « Nous ne sommes pas audibles car nous ne sommes d’accord sur aucune réponse, analyse Henri Guaino. La crise que traverse la droite est à l’image de la crise politique que traverse le pays. La France se radicalise et personne n’a de solution pour que cela change. On en est tous là. » « Dans le Sud, la situation est très préoccupante, s’inquiète le député des Bouches-du-Rhône Christian Kert. On sent un effritement de notre électorat. On nous explique qu’on ne nous comprend pas, que nous devrions être moins en frontal avec l’extrême droite… »

L’élu, qui « demeure persuadé qu’il y a encore une grande place pour la droite humaniste », mesure l’évolution de la situation grâce à l’école Sciences-Po d’Aix-en-Provence « où de plus en plus de jeunes sont attirés par le FN qu’ils considèrent comme un parti frais, qui propose une nouvelle façon de faire de la politique ». Pour le député du Loiret Claude de Ganay, « la droite porte une lourde responsabilité dans cette affaire ». « On tourne autour du pot dans beaucoup de domaines. C’est la première fois, en 25 ans, que je ressens autant d’exaspération. Nos électeurs n’acceptent plus la diarrhée politique historique. »

Dans un tel contexte, « ce sera impossible de banaliser une victoire du FN aux régionales », souffle Alain Chrétien, qui considère que « les partis peuvent être des carcans dans lesquels les électeurs ne se retrouvent plus ». « Une victoire du FN sonnerait le tocsin pour la droite et le centre, ajoute le député Kert. Nous devrons alors organiser des États généraux de fer pour savoir ce que l’on dit à un pays qui a choisi de franchir le Rubicon. » Après les régionales, les élus LR n’auront plus qu’une petite année pour se faire entendre. La tâche est d’autant plus ardue qu’ils restent lestés des promesses non-tenues de Nicolas Sarkozy. « Pour le moment, nous sommes encore dans l’explication de ce qu’il s’est passé lors de la dernière présidentielle », indique le député et maire d’Arcachon, Yves Foulon. « Nous essayons de faire prendre conscience aux électeurs que nous ne ferons pas les mêmes erreurs… », ajoute Constance Le Grip.

Une mission quasi impossible depuis la résurrection du Sarkozy 2012. Ainsi, face à cette difficulté supplémentaire, ils se rassurent, encore et toujours. Pas seulement en se comparant au PS, mais aussi en se répétant que « le FN n’est guère plus qu’un réceptacle de voix protestataires », un parti qui « dénonce sans jamais rien proposer », « un vote de contestation et non d’adhésion ». Ce qui ne les empêche pas de regarder, impuissants, certaines figures estampillées “ex-UMP” rejoindre les troupes frontistes. Ni de se ronger les ongles à l’idée de voir le parti de Marine Le Pen emporter une (Nord-Pas-de-Calais) voire deux (Paca) régions d’ici quelques semaines

Salvi Ellen, Médiapart – SOURCE