Vu du Liban. Syrie : les nouvelles incohérences de Paris

Jusqu’alors, la France intervenait en Irak, en coordination avec les membres de la coalition internationale et avec le gouvernement de Bagdad, mais refusait de le faire en Syrie pour éviter de renforcer le président syrien Bachar El-Assad.

La ligne politique de Paris sur ce dossier était la suivante : “Ni Assad ni Daech”. L’annonce d’une possibilité de frapper les positions de l’EI en Syrie témoigne-t-elle alors d’un changement de position de l’exécutif français ?

François Hollande ou le temps des choix

Fer de lance des “Amis de la Syrie” au début de la révolution, la France semble avoir de plus en plus de mal à définir une politique claire et cohérente vis-à-vis de ce conflit. Loin de combler cette lacune, le discours de M. Hollande la renforce en s’appuyant sur deux incohérences majeures. La première est d’ordre tactique et la seconde d’ordre politique.

La politique étrangère, ingrat fardeau du président Hollande

Compte tenu du fait que l’organisation djihadiste opère à cheval entre les territoires syrien et irakien, il pourrait sembler assez logique de frapper ces positions à la fois en Irak et en Syrie. Mais ce serait fermer les yeux sur une évidence : sans intervention au sol, les frappes aériennes ne suffisent pas à détruire une organisation paramilitaire, d’autant moins si celle-ci dispose d’une importante base sociale.

Au mieux, les frappes peuvent permettre d’endiguer l’EI. Au pire, elles deviennent un motif supplémentaire de recrutement pour l’EI : les sunnites se mobilisent en voyant que les grandes puissances font front commun contre l’EI et épargnent le régime Assad.

D’un point de vue tactique, la France ne semble pas avoir grand-chose à gagner en participant aux frappes contre l’EI en Syrie aux côtés des Américains et des autres membres de la coalition internationale.

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Ce revirement serait par contre extrêmement symbolique sur le plan politique. Il y a deux ans, la France était à deux doigts, selon ses dires, de bombarder le régime Assad. Aujourd’hui, des avions militaires français vont survoler le ciel syrien, probablement en coordination implicite avec Damas, pour bombarder… l’EI.

Hiérarchisation des ennemis

Comme les Etats-Unis, et malgré le discours officiel, Paris semble avoir hiérarchisé ses ennemis : la priorité est désormais de détruire l’EI, quitte à repousser à plus tard la question du départ de Bachar El-Assad. En témoigne l’évolution du choix des mots de l’exécutif français : désormais, on parle de “neutraliser Assad”, sans vraiment préciser ce que cela signifie.

“En Syrie, rien ne doit être fait qui puisse consolider ou maintenir Bachar El-Assad”, a déclaré M. Hollande. L’intervention des avions militaires français n’aurait pourtant pas d’autres conséquences que de redonner du crédit politique à M. Assad. Cette intervention ferait semblant d’ignorer que le régime continue de tuer plus de civils que toutes les organisations djihadistes réunies et qu’il est le principal responsable de la crise des réfugiés syriens.

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Même d’un point de vue réaliste, il est difficile de comprendre la pertinence de cette intervention. A moins que Paris ne cherche à modérer sa position à l’égard de Damas pour trouver un compromis politique avec les autres puissances parties du conflit. C’est ce que sous-entend le président français lorsqu’il déclare : “Donc nous considérons que nous devons parler avec tous les pays qui peuvent favoriser cette issue et cette transition [le départ de M. Assad].

Je pense aux pays du Golfe, je pense aussi à la Russie, à l’Iran, en plus de pays qui sont d’ores et déjà membres de la coalition. Mais, compte tenu de la fermeté de l’Iran et de la Russie sur ce dossier, rien n’indique que ce soit la meilleure solution pour trouver une issue à ce conflit

Texte original – Publié dans L’Orient-Le Jour

Anthony Samrani – Courrier International – SOURCE