Grèce. La victoire de Tsipras, diversement jugée

En France comme en Europe, la gauche livre une lecture à géométrie variable de la réélection d’Alexis Tsipras en Grèce, entre les socio-démocrates qui saluent sa conversion au réalisme, et les anti-libéraux affirmant que Syriza reste un allié contre l’austérité.

Les Grecs ont-ils validé « la politique de réformes et d’austérité », que le jeune Premier ministre a dû accepter sous la contrainte à Bruxelles le 13 juillet, comme l’affirme le quotidien « Le Monde » en manchette dans son édition de mardi ? Ou bien la troisième victoire électorale de Tsipras en huit mois représente-t-elle « un encouragement à renforcer la gauche anti-libérale en Europe », comme titre mardi « l’Humanité », le journal proche du PCF ?

Loin d’être théorique, le débat est à gauche l’une des principales lignes de fracture voire un obstacle de fond à l’unité, à la « maison commune »…réclamée ces derniers jours par l’exécutif et le Parti socialiste en France face à la menace du Front national.

Le président du Parlement européen, le social-démocrate rhénan Martin Schulz, qui envisageait avant l’accord du 13 juillet « la fin de Syriza » et « un gouvernement de technocrates », a appelé deux fois dimanche soir Alexis Tsipras, pour le féliciter, puis pour s’étonner qu’il reconduise son alliance avec les souverainistes de droite d’ANEL faute de majorité absolue.

« Si Alexis Tsipras veut rejoindre la famille sociale-démocrate, à laquelle idéologiquement il appartient, bienvenue », a expliqué lundi matin sur France Inter M. Schulz, enjoignant le nouveau gouvernement grec à mettre en œuvre des réformes (lutte contre le clientélisme…) afin d’attirer des investisseurs étrangers en Grèce.

La victoire de Syriza fait « plaisir » au Premier ministre Manuel Valls, réformiste convaincu, qui y voit la victoire de « ceux qui assument leurs responsabilités « sur ceux » qui nient la réalité ». Une allusion directe aux composantes du Front de gauche qui ont reçu il y a dix jours à la Fête de l’Humanité l’ex-ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, en quête d’une alternative au nouveau plan de rigueur imposé à la Grèce.

François Hollande a, lui, annoncé dès dimanche soir qu’il se rendrait en Grèce prochainement. Le président a aussi vu dans la réélection de M. Tsipras « un message important pour la gauche européenne qui, avec ce résultat, confirme que son avenir se trouve dans l’affirmation de valeurs de progrès, de croissance mais aussi de réalisme ».

– « Comme la corde soutient le pendu » –

« Depuis dimanche, François Hollande détourne le message des Grecs », tempête le secrétaire national du PCF Pierre Laurent, l’un des seuls soutiens européens présents à Athènes vendredi soir pour le dernier meeting d’Alexis Tsipras, avec le leader anti-libéral espagnol Pablo Iglesias (Podemos).

François Hollande « fait mine de croire que l’accord qu’il a contribué à imposer aux Grecs cet été est désormais accepté, voire souhaité par Alexis Tsipras », poursuit M. Laurent, président du Parti de la gauche européenne. « François Hollande continue donc de soutenir Alexis Tsipras comme la corde soutient le pendu ».

Autre composante du Front de gauche, le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon reste à l’heure des amours déçus pour « Alexis »: « Le succès obtenu malgré tout par Tsipras prouve à quel point il bénéficiait d’une assise populaire pour une rupture. Avoir accepté le mémorandum (ndr: du 13 juillet) reste donc un gâchis », analyse Eric Coquerel, un proche de M. Mélenchon.

Bon gré, mal gré, l’ex-candidat du Front de gauche à la présidentielle s’est rallié à l’analyse du leader espagnol de Podemos: il faut continuer de soutenir le soldat Tsipras, qui a perdu « une bataille mais pas la guerre » contre l’austérité, en attendant qu’il trouve d’autres alliés en Europe.

Dimanche, Pablo Iglesias, lui-même candidat aux élections générales, a relayé sur son compte Twitter le message d’un de ses proches: « Nouvelle victoire pour Syriza. Le peuple grec persiste et signe: sa dignité vaut plus que milles chantages. Félicitations ».

En Grande-Bretagne, le nouveau président du Parti travailliste, le très à gauche Jérémy Corbyn, n’a pas réagi à la victoire de Syriza, même si la « gauche radicale » le compte au rang de ses alliés.


Titre original « Grèce: à gauche, des lectures à géométrie variable de la victoire de Tsipras » Courrier International – Source