Média – Survivre en 100 % numérique !

On ne compte plus les sites d’information pure players (100 % numériques).

Une dizaine de sites d’envergure nationale, 112 adhérents au Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spliil), 821 selon le décompte des services de l’État (sites de journaux papier compris).

Chacun son concept pour résoudre une équation : comment atteindre la rentabilité sans vendre de papier ? « Il y a une image de la presse en ligne comme étant difficilement rentable, mais la réalité est différente. Beaucoup de nos membres ont trouvé l’équilibre financier », précise Jean-Christophe Boulanger, président du Spliil.

Médiapart, qui a atteint l’équilibre en 2010 après deux ans d’existence et affiche aujourd’hui 107.000 abonnés et 1,4 million d’euros de bénéfices, n’est donc pas un cas à part. D’autres ont prouvé que les lecteurs étaient prêts à payer pour une information en ligne de qualité. C’est notamment le cas d’Arrêt sur images, lancé en 2007 (25.000 abonnés payants), ou de De Correspondent, aux Pays-Bas (32.000 abonnés payants en deux ans d’existence).

Ces bonnes nouvelles intéressent au-delà du petit cercle des pure players, car beaucoup de sites d’information, y compris ceux adossés à un journal papier, se convertissent désormais au payant, en panachant leur offre avec des articles en accès libre. « En faisan le choix du gratuit, les entreprises de presse ont sans doute commis une erreur industrielle collective », écrivait le député Jean-Noél Carpentier dans un avis d’octobre 2014.

Le cas de Rue89 a montré que l’équilibre du modèle gratuit, malgré des audiences élevées et une assise éditoriale, pouvait être fragile. Le pure player historique du paysage français, endetté, a été racheté en 2011 par l’Obs. Tous cherchent donc d’emblée à diversifier leurs sources de revenus. Slate, par exemple, vend du contenu à Orange. D’autres négocient leur savoir-faire sous forme de formations ou de prestations de services. C’était le pari d’Owni, né de la mobilisation contre la loi Hadopi : le site gratuit et sans publicité avait tout misé sur la prestation de services aux entreprises, il a disparu après trois ans d’existence en décembre 2012, faute d’avoir trouvé l’équilibre.

Des versions papier sont également expérimentées, comme à Rue89 (entre juin 2010 et mars 2012) ou plus récemment du côté de Reporterre, le site d’information écologique fondé par Hervé Kempf, ancien spécialiste environnement du Monde. Pour les médias de taille modeste, le don reste une option viable. Reporterre a pu embaucher quatre journalistes grâce à des donateurs réguliers qui lui apportent les deux tiers de son budget mensuel de 16.000 euros (40 % viennent de fondations, 30 % de dons de lecteurs). Même équilibre chez Basra qui tire les deux tiers de ses ressources de dons, en majeure partie de fondations (44 % du budget en 2013). Le dernier tiers provient d’aides publiques et de prestations extérieures.

Chaque modèle est propre.

« Le cœur de la réussite est d’aligner un modèle de rentabilité avec un modèle stratégique éditorial », résume Jean-Christophe Boulanger. C’est vrai aussi pour les sites locaux d’info, avec une difficulté supplémentaire vu le moindre potentiel d’audience. Beaucoup d’entre eux, souvent de qualité, ont bu le bouillon. Le dernier, Marsactu, à Marseille, a été racheté le 15 avril par quatre salariés après une cessation de paiement, et prépare un nouveau départ.

Carré d’info, à Toulouse (deux salariés et 60 000 lecteurs mensuels), et le Dijonscope (cinq salariés, 125 000 visiteurs par mois avant son passage en payant), à Dijon, ont fait faillite après deux à trois ans d’existence. Il existe pourtant un espace pour ces sites, comme l’a prouvé Rue89 avec ses déclinaisons locales à Lyon, à Bordeaux et à Strasbourg.

On voit également apparaître de plus en plus de sites ultra-locaux, dédiés à un ou plusieurs quartiers. Leur modèle est davantage associatif, soutenu par des subventions publiques, en particulier venant des fonds de la politique de la Ville au service des quartiers défavorisés. Dans le secteur parisien de la Goutte d’Or, le site interassociatif « Gouttedor et vous » compte environ 10.000 visiteurs par mois.

Après l’attentat à Charlie Hebdo, le ministère de la Culture a lancé une réflexion pour un fonds de soutien à ces médias de proximité. Une enveloppe d’un million d’euros, non reconductible, leur sera distribuée à compter du 17juillet.

Erwan Manuc’h – Politis Hors série N° 62