Le Venezuela ferme sa frontière avec la Colombie

Le président colombien, Juan Manuel Santos, a dénoncé les expulsions des ressortissants de son pays.

Bogota craint une crise humanitaire. Selon le recensement officiel, 861 Colombiens ont été expulsés du Venezuela depuis que le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a annoncé, samedi 22 août, la fermeture indéfinie de la frontière entre les deux pays. La mesure porte sur un tronçon long de 100 kilomètres à la hauteur des villes frontières de Cucuta, en Colombie, et de San Antonio, au Venezuela.

Nicolas Maduro, qui entend « lutter contre les paramilitaires colombiens » et le crime organisé, a également déclaré l’état d’urgence dans six municipalités de l’Etat frontalier du Tachira, pour une durée prorogeable de soixante jours. Une vaste « opération de libération du peuple » (la nouvelle dénomination des opérations de police au Venezuela) a été déployée dans la zone. Les Colombiens qui, à Cucuta, s’entassent dans les centres d’accueil mis en place, disent avoir été expulsés sans ménagement. Certains d’entre eux ont vu les forces de l’ordre vénézuéliennes détruire leur maison.

C’est la première fois, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 1999 promulguée par Hugo Chavez (1999-2013), que le gouvernement vénézuélien a recours à l’état d’urgence. L’opposition accuse M. Maduro de chercher à faire diversion alors que démarre la campagne électorale pour les législatives du 6 décembre. Le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) a des raisons de craindre pour sa majorité, alors que le pays s’enfonce dans la récession et que les prix du pétrole – la principale ressource du pays – continuent de baisser.

Nicolas Maduro accuse les criminels colombiens de contribuer à la « guerre économique » menée par l’opposition pour déstabiliser son gouvernement. Lundi, le président vénézuélien s’en est pris une fois encore à l’ex-président colombien, Alvaro Uribe (2002-2010), qualifié de « très assassin chef des paramilitaires ».

Corruption généralisée

La Colombie et le Venezuela partagent une frontière de 2 219 kilomètres. Groupes armés, guérillas, paramilitaires, trafiquants de drogue et contrebandiers y sévissent depuis des années. La tension n’est pas nouvelle. Mais le problème de la contrebande a pris une ampleur inégalée depuis que le contrôle des prix et celui des changes instaurés au Venezuela stimulent un marché noir phénoménal, sur fond de corruption généralisée des deux côtés de la frontière. De l’avis des économistes, la contrebande est désormais plus rentable que le trafic de drogue. Elle contribue à aggraver la pénurie de produits de base que connaît le Venezuela.

Selon M. Maduro, quelque 120 000 Colombiens auraient immigré depuis le début de l’année, et « le Venezuela a atteint la limite ». Le chiffre est peu crédible, étant donné la crise que vit le pays pétrolier. Plus de cinq millions de Colombiens – ou de descendants de Colombiens – vivent au Venezuela (qui compte 30 millions d’habitants). La plupart sont arrivés après le choc pétrolier de 1973, les autres autour des années 2000, au plus fort du conflit colombien. Hugo Chavez avait favorisé leur nationalisation.

M. Maduro a encore répété qu’il n’est pas « anticolombien, mais antiparamilitaire». D’aucuns craignent pourtant les conséquences de ses propos. L’organisation de défense des droits de l’homme Provea a ainsi dénoncé « une dangereuse escalade xénophobe ». La lecture des réseaux sociaux vénézuéliens semble lui donner raison.

A Bogota, le président Juan Manuel Santos a condamné, mardi 25 août, pour la première fois, les expulsions en cours, après avoir joué l’apaisement dans un premier temps. « Effectuer des descentes dans les maisons, sortir de force les habitants, séparer les familles, ne pas leur permettre de sortir leurs maigres biens et marquer les maisons pour ensuite les démolir, ce sont des procédés absolument inacceptables et cela nous rappelle des épisodes amers dans l’histoire qui ne doivent pas se répéter », a-t-il lancé, alors que l’opposition « uribiste » et une partie de l’opinion publique critiquent l’attitude de M. Santos, jugé trop conciliant.

La ministre des affaires étrangères colombienne, Maria Angela Holguin, doit rencontrer son homologue vénézuélienne, Delcy Rodriguez, mercredi 26 août, afin « de chercher le moyen de rétablir la normalité, la paix et la légalité » à la frontière. L’espoir de voir la crise se résoudre rapidement est mince.

Delcas Marie, Le Monde – Source