L’absurde réponse d’Amazon …

La publication d’une enquête du New York Times dénonçant les difficiles conditions de travail des cadres d’Amazon provoque une intense polémique aux Etats-Unis.

Immédiate, la riposte du PDG de l’entreprise

de commerce en ligne a peu convaincu.

Le PDG d’Amazon.com n’a manifestement pas apprécié l’enquête du New York Times publiée au cœur de l’été, samedi 15 août. Lu par des milliers d’internautes – depuis sa publication, il est dans le top 5 des contenus les plus lus sur le site du quotidien américain –, l’article dénonce un management brutal voire inhumain jusqu’au plus haut niveau de l’entreprise de commerce en ligne.

Basée sur le témoignage de 100 anciens cadres salariés d’Amazon, l’enquête se focalise, non pas sur les conditions de travail des “petites mains” œuvrant dans les entrepôts d’Amazon, déjà bien documentées, mais s’attache à décrire la pression phénoménale exercée sur les “cols blancs” de l’entreprise : les mails envoyés en pleine nuit suivi d’un texto “pourquoi tu ne réponds pas ?”, les performances continuellement évaluées, les sanctions en cas de mauvais résultats, la culture de la délation, etc.

La face cachée du commerce en ligne

Très rapidement après la publication de l’article, le fondateur et PDG d’Amazon.com, Jeff Bezos, a envoyé une lettre à ses 180.000 employés, publiée in extenso le 16 août sur le site Geek Wire. “Chers amazoniens”, écrit le multimilliardaire en joignant le lien vers l’article, “si vous ne l’avez pas encore fait, je vous encourage à lire attentivement ce (très long) article du New York Times. Réfutant les accusations du quotidien américain, il estime que les témoignages cités sont des cas isolés. Et invite les salariés à s’adresser directement à lui.

“Cet article ne décrit pas l’entreprise Amazon que je connais ni les amazoniens compatissants avec lesquels je travaille tous les jours, écrit encore Jeff Bezos. Mais si vous entendez parler d’histoires comparables à celles qui sont rapportées, je veux que vous en fassiez part aux services des ressources humaines. Vous pouvez aussi directement m’envoyer un mail à Jeff@amazon.com. Même si ces cas sont rares, nous ferons preuve de tolérance zéro à l’égard des gens qui manquent d’empathie.”

Dans sa lettre, le fondateur d’Amazon invite aussi ses employés à lire “le point de vue très différent d’un amazonien” et renvoie vers un post (très long aussi) publié sur le réseau social professionnel LinkedIn par un cadre du groupe.

Nick Ciubotariu, manager d’Amazon.com, y réfute presque ligne par ligne l’article de Jodi Kantor et de David Streitfeld. “Pendant mes dix-huit mois chez Amazon, je n’ai jamais travaillé un seul week-end sans le vouloir. Personne ne m’a dit de travailler la nuit. Personne ne m’a fait répondre à des courriels la nuit. Personne ne m’envoie de texto pour me demander pourquoi des courriels sont restés sans réponse”, argue-t-il.

Le coup de pub d’Amazon

Le lendemain, lundi 17 août, les auteurs de l’enquête du New York Times ont publié un nouvel article pour répondre aux ripostes des cadres d’Amazon.com. Ils y contredisent certaines assertions de Nick Ciubotariu et se réjouissent aussi de constater que leur enquête a eu pour effet de provoquer un débat sur le management de l’entreprise.

L’article relaie ainsi des témoignages d’actuels ou d’anciens salariés postés sur le site du quotidien américain et divers réseaux sociaux. “Certains défendent un management certes très exigeant mais pas inhumain, quand d’autres décrivent […] une compétition acharnée et des critères d’évaluation ‘irraisonnablement élevés’.

Au lendemain de la polémique, plusieurs sites d’information jugent maladroite la ligne de défense de Jeff Bezos et de son désormais célèbre cadre supérieur Nick Ciubotariu. Gizmodo, le site américain spécialiste des nouvelles technologies, qualifie d’ “étrange” la réaction du PDG et souligne la contradiction qui réside dans le fait de réfuter les arguments du New York Times tout en invitant les salariés à se plaindre d’éventuels comportements inhumains.

La stratégie d’Amazon

Vox pointe par ailleurs le fait que les arguments avancés sont symptomatiques de la culture d’entreprise d’Amazon.com. Il y a certainement beaucoup de cadres d’Amazon qui, bien que travaillant dur, sont très heureux de leur poste, reconnaît le site américain, mais cela n’enlève rien à la démonstration de l’enquête.

“[Tout cela] fait partie de la stratégie d’Amazon. Ils veulent  que les salariés qui ne sont pas des top performers quittent l’entreprise. Mais ils veulent aussi que les top performers y restent. Donc ils font tout pour rendre la vie des salariés peu performants misérable. […] Et c’est l’une des raisons pour lesquelles les hauts cadres de l’entreprises ne sont pas d’accord avec cette enquête : tout simplement parce qu’elle ne décrit pas leur expérience de l’entreprise.”

De son côté, dans The New Yorker, l’humoriste Andy Borowitz choisit la parodie, en imaginant un nouvel email signé Bezos et adressé à ses employés.

“Amazon va introduire un nouveau système de reporting appelé EmpathyTrack [la voie de l’empathie], par lequel chaque employé pourra secrètement noter le manque d’empathie de ses collègues […] avec une grille allant de zéro à 100 points, qui sera directement transmise à Jeff Bezos. Puis, via un autre programme appelé Next Day Purging [Liquidation du jour d’après], chaque employé dont on aura prouvé le manque d’humanité sera viré en moins de vingt-quatre heures, sur ordre de Bezos.

Auteur Lucie Geffroy – Courrier International – SOURCE