Si la laïcité est consubstantielle de la République, sa mise en œuvre pleine et entière, au sens où elle place avant tout l’égalité des droits entre les citoyens, et donc se trouve au cœur des enjeux sociaux, résulte de choix politiques. « Il y a dans notre société trop d’inégalités et d’injustices et ce n’est pas la République en tant que principe qui est en cause », indique une députée de la république de gauche, lors de son audition devant la Commission laïcité, le 19 septembre 2003.
Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, déclare pour sa part : « Les enjeux actuels de la laïcité ne sont pas d’abord d’ordre institutionnel ou juridique, mais se situent sur le terrain de notre société fragile et dont les fragilités affectent toutes les catégories sociales. Les enjeux sont avant tout sociaux et éducatif. Notre société exalte les jeunes et la jeunesse mais elle est souvent dure à leur égard. Comme les adultes, ils mettent en relief le besoin de se projeter dans l’avenir avec une sorte d’attente confuse qui porte sur les raisons de vivre, sur notre vouloir-vivre commun » (1).
Si la laïcité ne se résume pas aux rapports de l’État et des religions, elle doit s’attacher à ouvrir l’espace démocratique et citoyen, à mettre en présence les représentations du monde, à garantir la diversité et la pluralité. Ce postulat ne signifie pas que toutes les opinions se valent mais le renouveau de la laïcité s’accompagne nécessairement d’un renouveau de la citoyenneté et de la politique.
Peut–on envisager une définition de la laïcité ?
La laïcité fait son entrée dans la Constitution en 1946 sans que le sens qui lui est donné ne soit précisé. Dans La laïcité, principe universel (2), Guy Coq explique : « Le fond de la question est que si les Constitutions ne définissent pas la laïcité, c’est parce que, aussi bien en 1946 qu’en 1958, celle-ci est un principe déjà bien clarifié dans le droit ». Nous sommes ici dans la continuité de l’esprit des rédacteurs de la Loi de 1905 qui inscrivaient dans l’article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public »(3). Assure et garantit. Deux verbes qui ont tous deux une signification essentielle.
Guy Coq en montre la différence : « Assurer la liberté, c’est se préoccuper de la protéger par des dispositions juridiques, et les appliquer. Et il s’agit d’une liberté individuelle. […] La garantie du libre exercice du culte est l’affirmation d’une liberté collective dont on annonce qu’on s’occupera des conditions qui en rendent l’effectif exercice. […]Réfléchissant sur ces formules, nous percevons la force de l’engagement qu’appelle le mot «garantit ». Cela peut expliquer la position ouverte de la République laïque sur les lieux de culte. Car, que signifierait le libre exercice du culte si le culte en question n’avait pas d’édifice pour l’exercer. »
Ainsi, « le vivre ensemble » est conditionné par l’obtention de droits individuels et collectifs dans un cadre librement consentit. On est au cœur de l’enjeu que recouvre le progrès social Cette conception de la laïcité place la femme et l’homme au centre des décisions et conjugue de manière précise le rapport entre intérêts individuels et collectifs sans jamais les opposer.
L’idée : « La République est porteuse de valeurs qui sont essentielles mais loin de constituer un référent unique pour les individus. L’identité d’un homme ou d’une femme ne peut se résumer au seul fait d’être citoyen ou citoyenne de la République française. Le corollaire de cette conception serait de faire de la laïcité une négation des religions.
« La laïcité ne doit pas non plus consister en une séparation factice, voire schizophrène, entre l’espace public et l’espace privé, cantonnant l’espace de la liberté d’opinion là où elle n’est pas visible. On demanderait ainsi à chaque individu de renier ce qui, finalement, construit son identité pour ne montrer à la société que ce qui le réunit au reste de la nation. Or ce n’est acceptable, ni du point de vue de l’individu qui ne peut accepter que ses déterminants identitaires se voient cantonnés hors de l’espace public, ni du point de vue de la République, qui ne peut, par nature, se désintéresser de ce qui se déroule dans l’espace privé. »
Faut–il modifier la loi de 1905 ?
Le ministre de l’Intérieur, président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, n’est pas le seul à envisager des modifications. De ce point de vue, il est nécessaire de connaître les motivations de chacun. Il est bien entendu évident que les rapports entre les Églises et l’État en 2005 ne se réduisent pas aux religions qui existaient en France en 1905. Il est tout à fait légitime que toutes les religions soient traitées de la même manière.
Celle dont Nicolas Sarkozy a usé pour mettre en place le Conseil français du culte musulman ne tend pas à placer cette religion sur un pied d’égalité avec les autres. Il est certes nécessaire que l’islam de France puisse désigner des interlocuteurs aux pouvoirs publics mais cela doit se faire en pleine démocratie et sans créer la confusion entre représentation de la religion musulmane et représentations du monde arabe.
Le pasteur Jean Arnold de Clermont, président de la fédération Protestante de France a, pour sa part, alerté avec pertinence sur les conséquences de la Loi de finances, votée par la majorité parlementaire actuelle, concernant le fonctionnement, les activités et le financement des associations cultuelles, issues de la Loi de 1905. Cette Loi de finances prévoit qu’une association fixe un montant plancher de revenu permettant que l’un des membres de son comité directeur puisse être salarié de la dite association. Or, fait remarquer le pasteur de Clermont, le montant de 250.000 euros prévu par cette Loi n’est atteint par aucune association protestante en France et place ainsi hors la loi toutes les associations concernées. Le respect du cadre fixé par la Loi de 1905, permettrait de résoudre cet important problème.
Il serait envisageable, qu’une nouvelle Loi de finances soit adoptée par le Parlement faisant une distinction entre associations 1901 et associations 1905.
Ce qu’une disposition réglementaire ponctuelle décide pour adapter une loi structurante de la société, une autre disposition réglementaire peut la faire évoluer en fonction des besoins qui se font jour. Celle-ci ne saurait toucher aux grands principes de la Loi de 1905, soit les articles 1 et 2.
Il en va de même pour la construction d’édifices religieux et leur entretien. La Loi de 1905 réglait les problèmes au moment où elle a été adoptée mais n’envisageait pas l’avenir. Aujourd’hui, la religion musulmane est devenue la seconde religion de France. Les dons des fidèles des différentes religions doivent, certes, être sollicités, notamment pour les construction nouvelles.
Trois possibilités d’intervention publique existent néanmoins
- Des baux emphytéotiques peuvent être signés pour l’acquisition de terrains. Un loyer symbolique peut être fixé et, au bout de 99 ans, l’édifice entre dans le patrimoine de la commune signataire du bail comme les autres édifices du culte construits avant 1905. Des églises catholiques ont bénéficié de cette possibilité.
- La Loi de finances du 29 juillet 1961, dans son article 11, dispose que les départements et les communes peuvent donner leur garantie pour les emprunts destinés à la construction d’édifices du culte.
- De nombreuses villes pratiquent la politique du projet mixte qui consiste à construire un édifice abritant un lieu de culte, une ou plusieurs salles d’exposition, un centre culturel, un musée, un foyer…
La question du droit des fidèles de voir respecter cette liberté collective qu’est la faculté de construire des lieux de culte adaptés à leurs besoins est donc parfaitement soluble dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires déjà en vigueur. Dans ces conditions, puisque la Loi de 1905, principalement dans ses articles 1, 2 et 4, est un des piliers essentiels de la laïcité en France, nous sommes opposés à sa modification.
Il convient de lever l’ambiguïté de la « non-reconnaissance des cultes »
Nous estimons nécessaire de préciser le sens donné en 1905 à cette stipulation de la Loi : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Cela ne signifie pas que la République ignore les religions. Cette formulation s’opposait à celle du Concordat de 1801 qui affirmait : « Le Gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique apostolique et Romaine est la religion de la grande majorité des Français. Sa Sainteté reconnaît également que cette même religion a retiré et attend encore en ce moment le plus grand bien et le plus grand éclat de l’établissement du culte catholique en France, et de la profession particulière qu’en font les consuls ». On comprend dès lors à quoi fait référence le fait de ne pas « reconnaître » de culte dans l’article 1 de la Loi de 1905.
La laïcité permet de faire reculer toutes les discriminations
Pour être en conformité avec l’idéal républicain, il convient de combattre fermement tous les comportements portant atteinte à l’égalité hommes-femmes, au plan social comme au plan politique. La question démocratique n’est pas distincte d’une conception moderne de la laïcité, elle en est au contraire le coeur en tant que droit du citoyen. La laïcité est d’abord et avant tout pour nous l’ouverture de droits et la garantie de l’égalité.
En conséquence, la lutte contre toutes les discriminations doit être la priorité de la République laïque. Plus que jamais, la République doit ouvrir tous les chantiers nécessaires pour mettre fin à des états de fait que certains politiques utilisent pour diviser notre peuple. La lutte contre tout racisme et antisémitisme doit être menée avec la plus grande détermination et tout écart ou banalisation de la stigmatisation de quelque population que ce soit doit être banni. L’idéal républicain ne peut souffrir une renonciation quelconque au vivre ensemble dans l’égalité.
L’enseignement doit s’approprier l’apport des religions au travers de l’histoire de l’humanité. L’éducation est le processus de formation d’individus libres et responsables. Elle concourt fortement à la formation de leur identité et de leur personnalité. Il ne s’agit pas aujourd’hui de ressusciter l’école de la Troisième République mais d’inventer une école résolument laïque, permettant l’expression de toute la pluralité, dans le respect de la République et des missions éducatives de l’institution, de façon adaptée à la maturité des individus. C’est au nom de la laïcité et parce que nous considérons que les courants religieux et philosophiques jouent un rôle dans la marche du monde, que nous sommes favorables à l’enseignement de l’histoire des religions à l’école.
Plus précisément, nous considérons que chaque matière enseignée à l’école ne peut faire abstraction de la réalité de l’apport des religions, pris dans ses dimensions complexes et contradictoires, au patrimoine de l’humanité, dans l’art, la culture en général, l’architecture, la musique. En ce sens, le bouleversement des programmes au gré des fluctuations politiques n’est pas acceptable. Visant plus que jamais la perspective d’une grande école publique favorisant l’égalité des chances, nous pensons que le maintien actuel d’écoles privées sous contrat avec l’Éducation nationale ne doit pas pénaliser les élèves en matière de qualité d’accueil et d’équipements.
II n’ y a pas d’élèves du « privé » ou du « public », il n’y a que des enfants de la République. Le contrôle public sur ces établissements doit être d’ autant plus maintenu que des cercles patronaux et des institutions très conservatrices cherchent à en récupérer certains pour sélectionner les élèves en fonction de leurs objectifs.
La laïcité est un principe universel. Loin d’être une exception française, la laïcité, sans être désignée comme telle, est vivante dans bien d’autres pays. Un des principaux défis à relever est celui du vivre ensemble. De la laïcité peut naître un brassage permettant un véritable façonnage des sociétés. La mixité dans l’égalité des droits, loin d’être un obstacle à l’unité du peuple, a une portée universelle dès lors qu’elle se fonde sur la fraternité.
- Claude Dagens, évêque d’Angoulême, accompagnateur SIF, service incroyance et foi, Université du temps libre, 3 février 2005, publié dans MF, paroles partagées, juillet 2005.
- Guy Coq, La laïcité, principe universel, questions d’époque, Le Félin, Paris 2005 p. 85-87.
- Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État (publiée au Journal officiel du 11 décembre 1905). Texte intégral en annexe.
Extrait d’un opuscule : « Débat sur la laïcité » qui s’est tenu en 2005 pour les 100 ans de la loi sur la laïcité. – Un travail collectif.
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