Les banques, talon d’Achille de l’économie grecque

 » Choquée « , » exaspérée « , » inquiète « . Rebecca Camhi n’a pas de mots assez durs pour décrire son état d’esprit. Il y a quelques jours, …

… cette galeriste installée dans le quartier de Metaxourgeio, à Athènes, n’a pas pu payer l’un des artistes dont elle venait de vendre une toile. Elle disposait pourtant de la somme de 1 650 euros sur son compte.  » Mais comme l’artiste est à l’étranger, ma banque a refusé de faire le virement, prétextant qu’il fallait une autorisation préalable et que cela prendrait un temps indéterminé, se désole Mme Camhi. Et c’est comme ça pour tout !  »

Fuite des dépôts

Des anecdotes comme celles-ci, les Grecs en ont des dizaines à raconter. En particulier les entrepreneurs. Depuis que le contrôle des capitaux a été instauré et les retraits en liquide limités (420 euros par personne et par semaine), le 29 juillet, leur quotidien a tourné au cauchemar : virements rejetés, financements de trésorerie refusés – sans parler des prêts, que les banques n’accordent plus depuis longtemps…

 » Ces mesures seront le coup de grâce pour beaucoup de PME « , prévient Vassilis Korkidis, le président de la fédération des commerçants. Les banques sont le talon d’Achille de l’économie grecque.  » Elles ne remplissent plus leur mission, à savoir financer les entreprises et les ménages « , résume Nikolaos Georgikopoulos, économiste à la Stern Business School de l’université de New York.

A l’automne 2014, elles allaient pourtant mieux. Les  » tests de résistance  » de la Banque centrale européenne (BCE) avaient révélé qu’elles étaient à peu près solides. Il faut dire que depuis 2009, elles ont été recapitalisées sous différentes formes à hauteur de 56 milliards d’euros, selon les calculs de M. Georgikopoulos.

Le Fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) a notamment injecté 25 milliards d’euros. Depuis, les troubles politiques et les craintes de la sortie du pays de la zone euro ont nui aux quatre principaux établissements nationaux, la Banque du Pirée, la Banque nationale de Grèce, Eurobank et Alpha Bank.

La fuite des dépôts s’est accélérée – plus de 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros) ont quitté le pays depuis 2010. En raison du retour de la récession, le nombre de prêts non performants aux entreprises et ménages, qui ne seront probablement jamais remboursés, ont explosé.

De 35 % fin 2014, leur taux frôlerait aujourd’hui les 45 %, selon une source bancaire. S’ajoute à cela la bombe des crédits d’impôts différés sur l’État grec, que les banques hellènes recensent comme des fonds propres dans leurs livres de comptes. Ce que nombre d’experts, y compris au sein de la BCE, jugent discutable.

Résultat : aujourd’hui, personne n’est capable de dire ce que valent exactement les banques grecques, qui survivent grâce aux aides d’urgence ELA de la BCE. Leur besoin de recapitalisation est estimé de 10 à 25 milliards d’euros. Certaines rumeurs laissent penser que 10 milliards pourraient être injectés dès cet été, une fois l’accord entre Athènes et ses créanciers sur le troisième plan d’aide au pays signé.

D’autres sources estiment qu’il est plus prudent d’attendre la fin du  » check-up «  entamé ces jours-ci par la BCE pour mesurer leur état de santé réel. Le résultat sera connu à l’automne. Possibilité d’un  » bail-in «  Et après ? Les inconnues sont innombrables et à première vue très techniques.

Elles sont pourtant déterminantes pour l’avenir du secteur. La première est de savoir qui recapitalisera les banques. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) injectera-t-il l’argent en direct, ou le prêtera-t-il au FHSF, qui l’injectera à son tour ? Dans le premier cas, les Européens seraient directement impliqués dans la gestion des banques grecques.  » Dans le second cas, qui a les faveurs du premier ministre, Alexis Tsipras, le FHSF garderait la main « , explique l’analyste indépendant Yannis Koutsomitis. Au risque de manquer d’indépendance vis-à-vis du gouvernement…

Autre inconnue : le calendrier de la recapitalisation. Si elle a lieu après le 31 décembre, la directive européenne sur le redressement et la résolution des crises bancaires s’appliquera pleinement. Or, celle-ci prévoit la possibilité d’un  » bail-in « , c’est-à-dire une participation forcée des gros déposants (plus de 100 000 euros) au sauvetage de leur banque, comme ce fut le cas à Chypre. Sauf que, dans le cas grec, les gros déposants sont des PME déjà exsangues.  » Voilà pourquoi nous ferons tout pour que la recapitalisation intervienne avant décembre : un bail-in serait un désastre pour le pays « , confie une source bancaire.

La dernière inconnue concerne les prêts non performants des entreprises. Mardi 11 août dans la matinée, on ignorait encore le sort qui leur serait réservé. Jusque-là, le gouvernement Tsipras militait encore pour qu’ils soient regroupés au sein d’une  » bad bank « , une structure de défaisance qui les liquiderait peu à peu, tandis que les banques, libérées de ce fardeau, pourraient recommencer à prêter normalement.

Mais cela ne pourrait fonctionner que si la  » bad bank «  est très bien gérée. Ce dont doutent certains partenaires d’Athènes, qui préfèrent qu’une unité spécialisée au sein de chaque établissement prenne en charge les prêts douteux.

Reste une question clé : les quatre banques grecques survivront-elles aux prochains mois ? Grâce à ses participations au sein de la banque turque Finansbank, la Banque nationale de Grèce devrait tenir le choc – tout comme Eurobank.

Les analystes s’inquiètent en revanche du sort d’Alpha Bank et de la Banque du Pirée, plus fragiles. Devront-elles fusionner ? Etre rachetées par les plus grandes ?

Prudentes, les autorités européennes jugent que de tels rapprochements ne sont pas forcément opportuns. Ils créeraient des établissements trop grands, dits  » systémiques « , dont la taille démesurée représente elle-même un risque pour l’économie.

Dans tous les cas, dans le scénario le plus optimiste, le système bancaire grec ne sera pas remis sur pied avant le premier trimestre 2016. Pas sûr que les PME hellènes, lessivées par six ans de crise et à court de financement, tiennent jusque-là.

Charrel Marie, Le Monde – SOURCE