Alors qu’Amnesty International souhaite se positionner en faveur de la dépénalisation de la prostitution, …
… des stars américaines s’y sont vivement opposées.
Quels sont leurs arguments ? Quelles sont les différences entre abolitionnisme et réglementarisme ? Où se situe la France dans ce débat ? Gabrielle Houbre, historienne et enseignante-chercheuse à l’université Paris 7 Diderot nous apporte quelques réponses.
Le 22 juillet 2015, un groupe d’actrices (Lena Dunham, Kate Winslet, Meryl Streep, Anne Hathaway), de réalisatrices, d’associations ou tout simplement d’anonymes ont rédigé une lettre adressée à Amnesty International. En tout, plus de 400 personnes ont demandé à l’organisation de ne pas promouvoir la dépénalisation de la prostitution, alors qu’Amnesty a publié un compte-rendu de réunion qui allait dans ce sens.
D’un côté, Amnesty considère que la pénalisation de la prostitution “renforce les discriminations à l’encontre des prostitué(es), les faisant encourir un risque plus grand de violence et de harcèlement, ainsi qu’un mauvais traitement par la police”, et les empêche d’avoir accès à un système de santé correct. De l’autre, les signataires pensent que cette dépénalisation ne “permettrait pas aux femmes de se sentir plus en sécurité”, et faciliterait le “trafic de très jeunes femmes qui viennent majoritairement des pays les plus pauvres de l’Europe de l’Est et du Sud.”
L’opposition entre les signataires de cette lettre ouverte et Amnesty est représentative d’un clivage entre deux grands courants de pensée qui dominent majoritairement le débat sur la prostitution. Pour comprendre ce qui les oppose, nous avons interrogé Gabrielle Houbre, historienne et enseignante-chercheuse à l’Université Paris 7 Diderot qui travaille sur la transidentité et la prostitution.
Deux courants majeurs s’opposent souvent dans le débat sur la prostitution, pouvez-vous nous les expliquer?
Gabrielle Houbre – Aujourd’hui, il y a principalement les abolitionnistes d’un côté et les néo-règlementaristes de l’autre. Pour les abolitionnistes, l’idée essentielle est que le corps ne doit pas être une marchandise. On se souvient du discours de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre du Droit des Femmes, qui avait répété : “Pourquoi admettre que l’on paie le corps d’une femme ?”. Ils perçoivent également la prostitution comme une domination masculine, comme une violence contre les femmes.
Y a-t-il une différence entre les abolitionnistes et celles et ceux qui s’opposent à la dépénalisation de la prostitution ?
Au sein des abolitionnistes, il y a deux courants. Les prohibitionnistes [qui souhaitent que la prostitution soit interdite ndlr], et les abolitionnistes qui tolèrent la prostitution, qui sont pragmatiques et savent bien que ça ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais ils insistent sur le fait que le corps doit échapper a la marchandisation. C’est une position morale et ça met au second plan les volontés des prostitué(es) elles-mêmes
Et les néo-règlementaristes ?
Les néo règlementaristes, eux, remettent au centre du débat la volonté des prostitué(es). Ils considèrent que le corps appartient à l’individu, donc chaque individu fait ce qu’il veut de son corps. Même si on voit évidemment les limites : quel est le choix véritable ? En tout cas, ils trouvent légitimes que des femmes puissent se prostituer librement. Quand Virginie Despentes explique qu’elle l’a fait, et que c’était une étape dans son parcours, on peut difficilement dire qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait ou qu’elle y était contrainte…
Justement, on parle parfois d’appropriation de la parole des prostitué(es) par les mouvements, et du refus de les laisser “choisir”…
Oui c’est un reproche qui est souvent formulé, surtout en ce moment. Les débats sur la prostitution sont complexes, justement parce que ça recouvre des réalités tellement différentes en fonction des personnes. C’est pour cela que j’estime qu’il vaut mieux parler des prostitutions, au pluriel. Les prostitué(es) n’ont pas qu’une seule voix!
En France, les prostitué(es) ont commencé à prendre la parole vers la fin des années 1970, notamment dans la ville de Lyon. Mais elles ont toujours du mal à se faire entendre dans le débat! Même aujourd’hui le Strass (Syndicat du Travail Sexuel) n’est pas toujours invité sur les plateaux ou dans les discussions, alors que c’est quand même ceux qui le vivent du plus près.
D’où vient cette opposition ?
Tout ce qu’on connait aujourd’hui comme opposition puise ses racines dans le 19e siècle. La France a opté, au moment du Consulat, pour le système réglementariste : il consiste à encadrer et surveiller la prostitution, en mettant en avant la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles, comme la syphilis. En 1864, l’Angleterre a importé ce système réglementariste en promulguant ses propres lois de santé [les “Lois sur les maladies contagieuses“, ndlr].
Pourtant aujourd’hui, la France n’est pas réglementariste…
Ce système est resté effectif jusqu’en 1946, où on a alors décidé de la fermeture des maisons closes. La France a alors rejoint le clan des pays dits “abolitionnistes” comme la Suède, la Norvège ou l’Irlande, par opposition aux pays réglementaristes comme les Pays-Bas ou l’Allemagne. En Europe, globalement, les pays sont majoritairement abolitionnistes.
Ces deux courants de pensées partagent-ils des idées communes ?
Dès qu’on touche à la prostitution, il n’y a jamais consensus. Mais il y a quand même des choses qui réunissent tout le monde. Tout le monde affirme qu’il faut défendre les droits et la dignité des prostituées et qu’il faut diriger la répression contre les réseaux de prostitution et la grande criminalité. Mais là où ça diffère, c’est que les gens sont pas du tout d’accord sur les moyens pour y parvenir.
Marie Turcan a recueilli les propos de Gabrielle Houbre – Les Inrocks – Source