Au Front national, on s’écrit des cartes postales avec une plume acide.
Au moment de partir en cure de repos estivale, mardi 4 août, Jean-Marie Le Pen a reçu un courrier de sa fille, présidente du FN, qui le convoque à nouveau devant le bureau exécutif du parti.
Ce conseil de discipline est prévu le 20 août et la » sanction prononcée peut aller jusqu’à la suspension provisoire, la radiation et l’exclusion pour faute grave « , prévient d’emblée Marine Le Pen. » Le procédé est abject et indigne d’un candidat à la présidence de la République « , a aussitôt réagi M. Le Pen dans un communiqué.
Déboutée trois fois par la justice, Marine Le Pen persévère. Sa stratégie de dédiabolisation du Front national passe par l’exclusion du cofondateur du parti, et elle ne peut se permettre de faiblir dans ce conflit politico-familial. Elle a donc décidé de relancer depuis le début la procédure disciplinaire à l’encontre de M. Le Pen.
- Après ses propos réitérés sur les chambres à gaz, » détail » de la seconde guerre mondiale, le patriarche avait été convoqué une première fois devant le bureau exécutif, le 4 mai.
A la fin d’une séance houleuse sous forme de thérapie de groupe, le cofondateur du FN avait été suspendu à titre provisoire et les dirigeants avaient organisé un vote par courrier des militants pour mettre fin à sa fonction de président d’honneur.
- C’était mal connaître le caractère procédurier de M. Le Pen, qui avait alors saisi en référé le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre. Le 2 juillet, la justice a d’abord annulé sa suspension, car le parti n’avait pas précisé sa durée.
- Le 8 juillet, le TGI a également suspendu le » congrès postal « , comme le surnommait M. Le Pen. Le 28 juillet, la cour d’appel de Versailles a confirmé cette décision.
- Histoire de reprendre la main, Marine Le Pen a alors dépouillé les 28 664 votes déjà reçus par courrier. Selon le parti, qui a publié les résultats le 29 juillet, 94,08 % des votants se sont prononcés pour la fin de la fonction de président d’honneur de M. Le Pen. » Le vote des adhérents renforce la légitimité du bureau exécutif pour reprendre la procédure disciplinaire « , estime un proche de la présidente.
» Ils ont l’intention maintenant de bien faire les choses. En mai, le temps politique a primé sur le temps juridique « , analyse Me Frédéric-Pierre Vos, avocat du FN. Avant même la décision de la cour d’appel, Marine Le Pen et ses proches ont commencé à se concerter pour savoir comment écarter le père malgré la justice. Très vite, ils se sont mis d’accord pour relancer depuis le début la procédure disciplinaire.
Conscients des failles juridiques qui avaient annihilé leur première tentative, les dirigeants du FN ont cette fois-ci recensé toutes les sorties médiatiques de M. Le Pen qui ont nui, selon eux, aux intérêts du FN. » Ils croient bétonner » Dans le dernier courrier adressé, Marine Le Pen dresse en quinze points un inventaire des » outrances » du président d’honneur, selon le mot d’un de ses proches.
- Il y a bien sûr ses propos sur la Shoah, tenus début avril sur BFM-TV, ses déclarations sur le maréchal Pétain, la même semaine dans Rivarol, mais aussi des faits plus récents, comme son » intrusion sur la scène de l’Opéra « ,
- lors du rassemblement traditionnel du parti le 1er mai, ou son interview le 5 mai à Europe 1, où il a dit avoir » honte que la présidente du FN » porte son nom.
Pas moins de cinq points concernent des critiques adressées à Florian Philippot, vice-président du parti, soupçonné par M. Le Pen d’être
- un » agent double « fin juillet dans Le Parisien,
- et dont les proches ont été qualifiés de » gestapettes « dans une vidéo sur Youtube.
Le FN pointe aussi ses attaques contre sa petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen, qui selon son grand-père, s’exprimant début juillet sur i-Télé,
- n’aurait » ni l’expérience, ni le gabarit « pour diriger la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
» Ils font feu de tout bois. Ils croient bétonner mais en fait ils bidonnent, car la plupart de ces griefs relèvent de la liberté d’expression de Jean-Marie Le Pen « , assure son avocat Me Frédéric Joachim. Entre intérêts politiques d’un parti qui rêve de normalisation et psychanalyse familiale, le bureau exécutif du 20 août risque donc d’être encore très tendu. Marine Le Pen sera présente. Son père n’a pas encore confirmé s’il s’y rendrait.
- Si M. Le Pen est exclu de son parti, il restera à trancher la fin de sa fonction de président d’honneur.
- Disparaîtra-t-elle avec sa radiation ?
Les deux camps s’affrontent déjà sur ce point et le feuilleton juridique n’est pas terminé puisque le FN songe encore à se pourvoir en cassation pour faire valider son idée de vote par courrier. Dans le cas contraire, le parti organisera un congrès » physique « , sans doute après les élections régionales de décembre.
Goar Matthieu, Le Monde – Titre original « Au FN, pas de trêve estivale dans le psychodrame politico-familial » Source