«Traître !» Depuis qu’il dénonce l’attaque de la Gay Pride de Jérusalem le 30 juillet (un mort, cinq blessés) et l’attentat du lendemain au cours duquel un bébé palestinien a été brûlé vif à Douma (Cisjordanie), … Lire la suite
Suite de l’article … le président israélien, Reuven «Ruby» Rivlin, (75 ans) est devenu l’ennemi de certains de ses anciens amis. Plusieurs cadres régionaux du Likoud, le parti dont il est issu, ont mis en doute sa santé mentale. Avant de s’excuser, un «likoudnik» important a même écrit qu’il «devrait être interné».
Sur les sites d’extrême droite et sur les pages Facebook des partisans du Prix à payer, ce courant à l’origine des attaques terrorisant les villages palestiniens de Cisjordanie, ce natif de Jérusalem est aussi traité de «président des Arabes et des homos» et de «petit youpin honteux aux ordres des Arabes». Des posts relativement modérés comparés à ceux qui le soupçonnent «d’aimer se faire sodomiser par les Arabes»…
Ancienne figure de l’aile droite du Likoud, partisan de la poursuite de la colonisation et opposé à une solution du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États vivant côte à côte, Reuven Rivlin n’est pas un gauchiste. Du moins, pas aux yeux des observateurs normaux. Parce que pour les extrémistes de droite, le «valet des Arabes» a déjà franchi le pas. Ce qui explique pourquoi il est visé par des menaces de mort et pourquoi le Shabak (la Sûreté générale israélienne) a renforcé sa sécurité ces derniers jours.
Quant à l’Unité 433, l’équivalent du FBI avec beaucoup moins de moyens, elle a ouvert une enquête après que le Président eut officiellement déposé plainte. Son département «cyber» cherche notamment à déterminer qui se cache derrière le pseudonyme d’«Ashericko», un internaute qui diffuse sur Twitter et sur les réseaux sociaux des messages insultants pour le chef de l’Etat et pour le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou.
Ashericko n’en est pas à son coup d’essai. Il y a quelques années, lui et un certain «Oshri», opérant à partir de New York, avaient déjà diffamé Tzipi Livni, alors ministre de la Justice. «Benyamin Hitleryahou» Cette fois, ils diffusent, via YouTube, des vidéos montrant Rivlin et Nétanyahou en uniformes nazis. Dans le cadre de cette campagne, les deux hommes ont été rebaptisés «Ruby Hitlerin» et «Benyamin Hitleryahou». Leurs photos sont accompagnées de discours prononcés façon Troisième Reich. «Je suis un suceur de bouteilles et un juif hypocrite qui a la haine de soi», proclame le faux Rivlin. «Quand des Juifs sont assassinés, je m’en fiche ? Je préfère sucer les Arabes. Sieg Heil ! Sieg Heil !»
Le fait d’excités ? Sans aucun doute. Mais il suffit de lire les sites appropriés, les blogs et les dialogues sur les pages Facebook dédiées pour comprendre qu’Ashericko n’est pas isolé. Que ceux qui pensent comme lui sont nombreux. Et motivés. En tout cas, les services de sécurité israéliens ont tiré la leçon de l’assassinat en novembre 1995 du Premier ministre Yitzhak Rabin. Car à l’époque, le leader travailliste avait également été caricaturé en nazi, et on sait ce que cela a donné. «Il suffirait d’un type aussi fanatisé qu’Yigal Amir [l’assassin de Rabin, ndlr] pour que l’on replonge dans le drame», dit-on à Jérusalem.
Lundi, c’est dans cette atmosphère délétère que le Shabak a arrêté Meïr Ettinger (24 ans), la figure de proue de cette frange d’exaltés sévissant depuis des années en Cisjordanie occupée et à Jérusalem. L’opération s’est déroulée moins de vingt-quatre heures après que le cabinet restreint israélien eut autorisé les services de sécurité à utiliser contre les extrémistes juifs les mêmes méthodes spéciales que celles visant les Palestiniens. A savoir, la détention administrative, la pression psychologique et les interrogatoires «renforcés».
La mise à l’ombre d’Ettinger n’est pas vraiment liée à l’enquête sur l’attentat de Douma. En fait, les enquêteurs le soupçonnent – mais sans avoir réussi à le démontrer jusqu’à présent – d’avoir inspiré les auteurs de l’incendie volontaire qui avait, en juin, partiellement détruit l’église de la Multiplication, un important lieu saint chrétien établi sur la rive du lac de Tibériade. Le 11 juillet, trois suspects ont été arrêtés dans le cadre de cette affaire. Mais pas leur chef, ni les rabbins qui les inspirent.
Quant à l’avocat de Meïr Ettinger, il affirme que son client aurait été interpellé pour «faire plaisir à l’opinion publique. Pour soigner les relations publiques des services de sécurité et du gouvernement». Que le fait que le jeune homme ait commenté l’incendie de l’église sur son blog ne signifie pas qu’il soit l’auteur de ce méfait. Ou son commanditaire. Symbole vivant Avec sa grosse kippa tricotée qui lui mange la moitié du crâne, ses papillotes courant sur une grande partie de son visage et ses fines lunettes cerclées d’acier, Ettinger ressemble presque à un intellectuel. Il écrit beaucoup sur son blog qu’abrite le site Hakol hayehoudi («La voix juive»). Il passe en tout cas pour une figure centrale du «jihadisme juif» et l’on ne compte plus ses démêlés avec la justice : des arrestations en série rapidement suivies d’une remise en liberté faute de preuve.
Banni de Cisjordanie et de Jérusalem pour un an en raison de ses activités dans le Prix à payer, Meïr Ettinger résidait dans un appartement de Safed (nord d’Israël) au moment où il a reçu sa convocation au commissariat le plus proche. Pour ses admirateurs, le jeune homme est un symbole vivant puisqu’il est le petit-fils de Meïr Kahane, ce rabbin new-yorkais qui avait fondé la Jewish Defense League aux Etats-Unis, avant de s’installer en Israël pour y diriger Kach, un parti fascisant qui prônait entre autres l’expulsion des Arabes. Elu député à la Knesset en 1984, son élection a ensuite été invalidée en raison de ses provocations et de ses propos racistes. Il a été assassiné en 1990 à New York par un islamiste. Quant à son parti, il reste théoriquement interdit en Israël, mais sur le terrain – et surtout dans les colonies de Cisjordanie-, il est toujours actif.
Plusieurs organisations et groupuscules s’en réclament d’ailleurs ouvertement telles Kahana hai («Kahane vit») et Lehava. Lorsqu’ils lancent des opérations punitives anti-palestiniennes en Cisjordanie, certains activistes du Prix à payer portent un tee-shirt jaune arborant le portrait de Kahane imprimé en noir. Les autorités israéliennes justifient l’arrestation du petit-fils de Kahane par le fait qu’il aurait élaboré un plan de déstabilisation de l’État baptisé «HaMered» («la révolte»).
Un projet selon lequel des cellules du Prix à payer, créées clandestinement ces derniers mois en Cisjordanie, auraient multliplié les attaques visant les villages palestiniens afin de provoquer des troubles, d’enflammer le Proche-Orient et, à terme, d’entraîner la disparition de la démocratie israélienne au profit d’un «royaume juif» basé sur les principes de la Torah. Délirant. Car si l’on visualise bien Meïr Ettinger crapahutant de nuit sur les chemins de Judée-Samarie (la Cisjordanie occupée) pour aller incendier une mosquée, il faut se forcer pour l’imaginer prenant le pouvoir à Jérusalem, même si l’intéressé s’en croit capable.
Pourtant, le petit-fils de Kahane a foi en son plan. «Il existe un grand nombre de Juifs, beaucoup plus que ce que l’on pense, et dont le système de valeur est différent de celui de la Cour suprême et du Shabak», écrit-il sur son blog. «Ils ne se sentent pas liés par les lois de cet Etat, mais par des lois éternelles, les vraies lois.» Celles que lui et ses amis du Prix à payer et des Jeunes des collines, quelques milliers de colons vivant en marge de la société israélienne, rêvent d’appliquer un jour, lorsqu’ils auront créé leur improbable «royaume» biblique.
Nissim BEHAR Correspondant à Tel-Aviv Liberation – SOURCE