Brésil, le scandale des stades en faillite.

Le “modèle Fifa” prévoyait que les dépenses pharaoniques réalisées à l’occasion de la Coupe du monde 2014 seraient rentabilisées par les activités commerciales des stades. C’est loin d’être le cas.

Le scandale a fini par atteindre le sommet de la hiérarchie, et l’histoire n’est pas terminée. Quatre jours après avoir été élu pour un cinquième mandat à la présidence de la Fédération internationale de football (Fifa), le Suisse Joseph Blatter démissionnait [le 2 juin].

L’enquête menée par la justice américaine venait d’atteindre son bras droit, Jérôme Valcke, une mise en cause qui a une saveur particulière pour les Brésiliens : lors des préparatifs de la Coupe du monde 2014, il avait appelé le pays à appliquer avec plus de zèle le fameux “padrão Fifa” [modèle Fifa] sur les chantiers d’infrastructures pour la compétition, menaçant même le Brésil d’“un coup de pied au derrière”. Le modèle Fifa, on le sait désormais, était fondé sur des structures corrompues et a laissé de tristes séquelles.

Un an après le Mondial, le pays du football est l’heureux propriétaire de stades vides, tous construits à des coûts exhorbitants et criblés de dettes – contrairement à la Fifa, à qui la grande fête du foot de 2014 a rapporté 4,6 milliards d’euros de recettes. Etonnant ? Pas vraiment.

L’enquête réalisée par Veja à partir des bilans financiers des sociétés concessionnaires des stades montre que les chantiers des douze stades ont coûté au total 8,4 milliards de reais [2,4 milliards d’euros], soit 42 % de plus que le montant budgété. Aucun de ces stades n’a trouvé les sponsors, les contrats commerciaux ou la billetterie nécessaires à sa rentabilité.

Résultat : le déficit atteint près de 700 millions de reais [200 millions d’euros], dont 600 millions pour les six stades de Rio qui accueilleront les Jeux olympiques de 2016. Que l’Arena Amazônia, à Manaus, soit déficitaire, c’était prévisible et attendu. Mais le Maracanã [à Rio] ? Le Mineirão [à Belo Horizonte, dans le Minais Gerais] ?

Les groupes de sous-traitance qui ont pris la gestion de ces deux stades misaient sur l’effet Mondial selon le modèle Fifa : les gradins continueraient à se remplir de supporters séduits par ces nouvelles installations ultramodernes et par les stars évoluant sur les terrains.

Gouffres financiers

Et puis il y a eu le 7-1 [score du match Allemagne-Brésil en demi-finale]. Le supporter est resté chez lui, les stars sont parties et la cruelle réalité s’est imposée à tous. Au Maracanã, le constructeur Odebrecht, à la tête du consortium d’administration du stade, cumule depuis deux ans des pertes qui avoisinent les 150 millions de reais [43 millions d’euros]. Quand il en a pris l’exploitation, une étude précisait que l’enceinte sportive ne serait bénéficiaire qu’à partir de 30 000 spectateurs par match en moyenne ; cette année, le chiffre a tout juste dépassé les 21 000. La construction d’un centre commercial aux abords du stade, autre projet censé augmenter les recettes, ne s’est pas concrétisée.

Confrontée à un gouffre financier, l’entreprise menace depuis janvier de dénoncer le contrat qui la lie au gouvernement de l’Etat de Rio – ce qui donne de sérieuses migraines au Comité international olympique, car c’est au Maracanã que doivent avoir lieu les cérémonies d’ouverture et de clôture des JO de 2016. Odebrecht a fini par obtenir du gouverneur Luiz Fernando Pezão de revoir sa copie : le contrat initial exigeait que l’entreprise investisse 594 millions de reais [171 millions d’euros] sur les trente-cinq prochaines années – la somme a été ramenée à 20 % du montant prévu. La société aurait l’intention de maintenir la pression pour obtenir davantage. La fin des négociations n’est prévue que pour après les Jeux olympiques.

Or il est possible d’avoir une exploitation rentable des stades, l’Europe le montre. Le Real Madrid facture chaque année plus de 400 millions d’euros grâce à son stade, le FC Barcelone un tout petit peu moins.

A la bonne fréquentation des stades, favorisée par un défilé constant de stars et des championnats bien organisés, s’ajoutent les revenus issus des sponsors, des loges et des concessions commerciales. Au Brésil, c’est tout l’inverse : la billetterie est morne, les revenus complémentaires rares, une morosité à laquelle il faut ajouter la violence des groupes de supporters. “De nombreux facteurs contribuent à éloigner le public : le prix des billets, les horaires et la qualité des matchs. Mais le pire, c’est la violence”, confirme Amir Somoggi, consultant en marketing et gestion sportive.

Pour soutenir le chiffre d’affaires, il y a la vente de ce que l’on appelle les naming rights, qui permettent à une marque de payer pour s’accoler au nom d’une enceinte sportive. Cette pratique ne séduit pas encore les annonceurs brésiliens. Deux stades, l’Arena Pernambuco [dans l’Etat du Pernambouc] et le Fonte Nova, à Salvador de Bahía, ont bien accolé le nom d’un brasseur à leur enseigne pour des contrats de 100 millions de reais [29 millions d’euros] sur dix ans. Mais personne n’utilise leur nouvelle appellation.

Pire, la chaîne Rede Globo, principale détentrice des droits de retransmission des matchs, refuse ce type de publicité gratuite. “Ces accords de nommage vont bientôt prendre au Brésil, il faut y voir un investissement à long terme”, estime Paulo Remy, vice-président du constructeur WTorre, à l’origine du nouveau stade du club de Palmeiras, à São Paulo, qui a décroché le plus gros contrat du genre au Brésil : 300 millions de reais [86 millions d’euros] sur vingt ans avec un assureur.

Blanchiment d’argent

La vente du nom du stade, annoncée pour 400 millions de reais, était aussi le projet hypermédiatisé pour résoudre les difficultés du stade d’Itaquerão [à São Paulo] – lequel fait des envieux, avec le meilleur taux d’occupation du pays, 64 %. Mais les ventes de loges, trop chères, ne décollent pas, et le doux rêve des naming rights ne s’est pas concrétisé, notamment parce qu’avec le temps le nom d’Itaquerão s’est imposé jusqu’à devenir indélébile. Résultat : la trésorerie ne suffit pas à honorer les dettes de la construction, soit 395 millions de reais [114 millions d’euros].

La situation est mal engagée et sera difficile à redresser. Du côté des cadres du foot, José Maria Marin, ancien président de la Fédération brésilienne de football (CBF), est toujours en prison à Zurich et fait l’objet d’une demande d’extradition vers les Etats-Unis. Et son successeur, Marco Polo Del Nero, est dangereusement proche de ceux qu’accuse l’enquête américaine. La police fédérale brésilienne a par ailleurs ressorti un dossier qui dormait dans un tiroir, mettant en cause leur prédécesseur à la présidence de la CBF, Ricardo Teixeira, pour blanchiment d’argent, transfert illicite de devises, usurpation d’identité et falsification de documents.

Les sous-traitants mis sur la paille par l’opération Lava-Jato [littéralement, “opération Kärcher”, une enquête judiciaire sur un scandale de corruption généralisée au Brésil] maintiennent la pression pour en finir avec les pertes. Quant aux clubs, mieux vaut ne pas en parler. Pour reprendre une expression de commentateur sportif, le Brésil n’est vraiment pas dans sa meilleure phase.

Auteurs: Thiago Prado et Leslie Leitão – Veja, Hebdomadaire,Sao Paulo – Source