Handicap : l’accessibilité aux lieux publics, officiellement reportée

Les associations s’insurgent après l’adoption par l’Assemblée nationale d’une ordonnance accordant des délais pour les travaux.

L’accessibilité de tous les lieux publics aux handicapés, ce n’est pas pour demain. Ni même après-demain. Elle était pourtant prévue, pour hier, le 1er janvier précisément. Lundi, les députés ont acté le fait que le calendrier fixé par la loi handicap de 2005 ne pourrait pas être respecté. Ils ont adopté l’ordonnance repoussant les délais jusqu’à… neuf ans.

Les 60% de lieux publics, du restaurant aux écoles, qui ne sont pas encore accessibles aux personnes à mobilité réduite, ont désormais, selon leur nature, jusqu’à 2018, 2021, voire 2024 pour effectuer les travaux nécessaires. Une «catastrophe» pour le Collectif pour une France accessible, rassemblant près de 34 associations de défense des droits des personnes handicapées ou âgées, qui lundi, a apporté aux députés une pétition de 232 000 signatures. Explication de ces retards en cascades.

Mais pourquoi les effets de la loi de 2005 ne sont-ils pas effectifs aujourd’hui ?

En cause, un manque de suivi et des amendements mal pensés. En effet, dans la loi de 2005, tout établissement recevant du public devait effectuer des démarches pratiques pour l’accessibilité, quelle que soit sa taille. Difficile à faire pour les petites entreprises qui n’avaient pas nécessairement le budget. Conséquence : le retard s’est accumulé entre 2005 et 2015.

Pour faire face à ces retards, était adoptée par le gouvernement en septembre 2014 une ordonnance accordant des délais d’applications de la loi de 2015. Le Sénat avait déjà adopté ce texte ; les deux chambres doivent maintenant se mettre d’accord en commission mixte paritaire sur une version commune. «Cette loi a été un échec parce qu’on a mis tout le monde à la même enseigne», a analysé Ségolène Neuville, secrétaire d’État aux personnes handicapées et à la lutte contre l’exclusion.

Que prévoit l’ordonnance de 2014?

Les acteurs publics et privés qui ne se sont pas mis en conformité avec l’obligation d’accessibilité doivent déposer en mairie ou en préfecture, d’ici au mois d’octobre, un «agenda d’accessibilité programmé» (Ad’ap), dans lequel ils s’engagent à réaliser les travaux dans un certain délai.

Ce délai sera de trois ans maximum pour «80% des établissements», ceux ayant une capacité d’accueil de 200 personnes maximum. Des durées plus longues, pouvant aller jusqu’à six ans, voire neuf ans, sont prévues pour les établissements de plus grande capacité, les patrimoines comprenant plusieurs établissements et ceux qui sont «en difficulté financière avérée».

Pour les transports, les délais maximums seront de trois ans (transports urbains), six ans (interurbains) et neuf ans (ferroviaire). En déposant ces agendas, les acteurs concernés éviteront les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 en cas de non-respect des obligations d’accessibilité (45 000 euros d’amende). Mais ceux qui ne déposent pas un Ad’ap seront passibles d’une sanction de 2 500 euros et s’exposeront à des poursuites pénales.

Par ailleurs, les députés ont rendu obligatoire la formation des personnels des établissements recevant du public à l’accueil et l’accompagnement des personnes handicapées.

Pourquoi l’ordonnance pose-t-elle problème aux associations de défense des droits des handicapés ?

Pour Vincent Assante, président de l’Association nationale pour l’intégration des personnes handicapées (ANIPH), l’ordonnance est non-conforme à la loi de 2005. Il estime que cette ordonnance autorise des dérogations plutôt que de proposer de véritables mesures. Ces dérogations ne peuvent être délivrées que dans trois situations bien précises : l’impossibilité technique d’effectuer les travaux, la nécessité de protéger un patrimoine, un ratio trop important entre les recettes de l’entreprise et le coût des travaux, l’idée n’étant pas d’asphyxier les petites entreprises.

Vincent Assante avance que la loi sur la simplification de la vie des entreprises va complètement remettre en question le système des dérogations. En effet, cette loi instaure qu’après un délai de deux mois sans réponse à une demande de dérogation, cette dernière est effective. En gros, si on ne vous répond pas non, ça veut dire oui. «Vous imaginez le nombre de dossiers que la préfecture ou la mairie doit traiter ? Ça prend beaucoup plus que deux mois. Donc beaucoup de dérogations seront accordées sans aucune raison valable et sans avoir été examinées», s’insurge-t-il. Sur ce sujet, le cabinet de Ségolène Neuville annonce avoir fait passer une circulaire aux préfets leur demandant d’être particulièrement vigilants sur les questions de dérogation.

Vincent Assante réfute également la thèse selon laquelle les travaux d’accessibilité coûtent cher: «On accorde des prêts intéressants pour ça. C’est donc financièrement possible. Les personnes à mobilité réduite ne coûtent pas plus cher que l’éducation des enfants.» Selon lui, les personnes à mobilité réduite sont les victimes collatérales d’une politique qui ne voit qu’à court terme. «Aujourd’hui, on est dans la recherche du moindre coût et une vision à très court terme. Si on voyait à long terme, on verrait que l’accessibilité apporte plus de bien qu’elle ne coûte cher.»

Que vont faire les associations ?

«S’il le faut le Collectif pour une France accessible ira devant la justice européenne. Cette ordonnance est contraire à la déclaration européenne des droits de l’homme. Si rien n’est fait pour rendre les lieux publics accessibles aux personnes à mobilité réduite, on sera mis au ban de l’Europe», lance Vincent Assante.

Camille Malnory – Libération – Source

2 réflexions sur “Handicap : l’accessibilité aux lieux publics, officiellement reportée

  1. lilies02 12/07/2015 / 21h03

    C’est pas etonnant ! Rares sont les villes qui ont déjà remanié leur rues, accès, établissements pour satisfaire aux contraintes d’accessibilité.
    Mais quand on fait des projets urbains actuels on ne les prévoit pas non plus… Ça embête nos représentants politiques qui y voient une enveloppe supplémentaire alors qu’il y a des choses qui sont toutes bêtes.

    En quoi ça change quelque chose des boules blanches à la place des boules normales sur des barrières aux abords des passages piétons pour les mal-voyants ?

    Encore un sujet où je me sens visée de par le travail de mon conjoint et où je me dis que les petites mains n’ont pas de poids sur les grandes décisions!

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