L’heure des peuples a sonné

Ne jouons pas avec la démocratie et la volonté des peuples, et retenons les leçons de l’histoire.

Aux États européens de ne pas accepter de devenir des protectorats de l’Allemagne

Il y a une incompatibilité entre démocratie, souveraineté et économie financière globale. Cela fait un moment que le savoir officiel dit qu’il ne faut retenir que deux des trois termes. Devinez lequel est en trop ?

L’économie financière nous est présentée depuis trente ans comme quelque chose de  » naturel  » et la souveraineté a une bonne réputation, alimentée par cette bêtise selon laquelle il y a un  » nous  » – en Espagne – où se trouvent sur un pied d’égalité un Mariano Rajoy et un chômeur des quartiers pauvres de Madrid.

Ce qui est en trop, c’est la démocratie.

Ils disent que les fonctionnaires du FMI ne supportent pas l’arrogance des autorités grecques. C’est quoi, ce truc de vouloir poser la question au peuple ? On veut revenir à l’URSS ? Ce qui caractérise les bureaucrates de la  » troïka « , c’est d’être implacables avec les faibles et obséquieux envers les forts. Il en va de leur changement de cravate et de leur hausse de salaire. L’affaire est pire si l’on pense que c’est nous qui les payons.

Pourquoi est-il possible d’ exiger de n’ importe quel employé qu’ il remplisse ses obligations, et que les seuls à y échapper soient ces pistonnés des organismes financiers internationaux ?

Qui surveille le surveillant ?

Ils insultent le gouvernement légitime grec et les entreprises de communication célèbrent  » l’intolérable mauvais comportement  » du gouvernement de Syriza. Si les banques ont pris le contrôle des médias, comment vont-elles se mettre à critiquer leurs chefs, leurs propriétaires ?

Plus préoccupant est le fait qu’ils sont en train de vider l’Europe qu’avaient pensée Spinelli et Schuman. Ne pas nous tromper Nous venons, comme toujours, de l’histoire.

L’Allemagne a cédé en 1990 son bien le plus précieux, le deutschemark, en échange de quoi la France lui concéderait la souveraineté pour se réunifier. La monnaie unique est née sous la souveraineté de la Bundesbank.

L’Allemagne essaie maintenant de forcer la sortie de la Grèce de la zone euro. Cette sortie forcerait la sortie du Portugal, laquelle forcerait celle de l’Italie qui, à son tour, entraînerait celle de l’Espagne.

Au final, encore une fois, quand la France se retrouverait seule avec l’Allemagne, Angela Merkel pourrait récupérer sa monnaie, renforcée par un marché unique à son service et un financement de ses investissements gratis, étant donné que c’est le reste de l’Europe qui l’a payé avec la très haute prime de risque. Et tout le rêve européen, ce rêve qui nous a apporté des décennies de paix interne après la terrible première moitié du XXe siècle, s’écroulerait pour faire revenir l’angoisse des années 1930.

Il ne s’agit pas de faire de sombres prédictions.

Il s’agit de ne pas nous tromper à nouveau. Ce qui est incompréhensible, c’est que l’Europe recommence à laisser les coudées franches à l’Allemagne. Cela ne se comprend qu’en raison des caractéristiques propres à l’économie financière globale, qui convertit nos pays en protectorats de l’Allemagne guidés par un intérêt collaborationniste ne bénéficiant qu’aux élites qui font partie du 1 % en train de piller le garde-manger des 99 %. C’est l’heure des peuples.

Sortir du piège de l’austérité, récupérer le pouvoir d’achat pour réactiver l’économie, en finir avec le chômage et réinventer un mode de croissance qui devra être respectueux de la nature. Etre aujourd’hui avec la Grèce, c’est être avec les repères identitaires de l’Europe. C’est le moment d’exiger que la démocratie et les droits humains supplantent la cupidité financière, pour que la nuit ne retombe pas à nouveau sur l’Europe.

En 1936, quand a éclaté le coup d’Etat militaire contre la République en Espagne, l’Europe n’a pas été à la hauteur. Et quand elle a réagi en 1939, c’était déjà trop tard. Ce qui est en train de se passer en Grèce n’est pas une plaisanterie. Nous jouons la paix du continent. Aidons la Grèce contre les hommes en gris qui, en vérité, sont ces hommes toujours vêtus de brun et de cuir qu’on connaît bien.

Juan Carlos Monedero, Politologue, essayiste et homme politique espagnol, membre du parti Podemos – Le Monde – Source