Mardi 5 mai 2015, un peu avant 17h, les députés ont adopté la loi renseignement à l’Assemblée nationale, avec 438 voix pour, 86 contre, et 42 abstentions. Le projet de loi devra à présent passer devant le Sénat. Voici huit questions pour comprendre ce que contient cette loi, et pourquoi elle est controversée.
Je ne connais pas de terroriste, je peux quand même être surveillé ?
Oui, les services secrets ne pourront pas simplement mettre sur écoute les citoyens qui menacent de perpétrer des attaques terroristes, ou leurs proches. Le premier article de la loi renseignement stipule que le gouvernement pourra surveiller quelqu’un pour sept mot ifs différents, dont “les intérêts majeurs de la politique étrangère” ou “les intérêts économiques ou scientifiques majeurs”. Des termes très flous. Par exemple, si vous prévoyez de manifester contre les violences policières, vous pourriez tomber sous le coup de l’article “la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions” et être donc surveillé.
Pourquoi parle-t-on beaucoup de “boîtes noires” ?
A l’origine, le terme ne vient pas du gouvernement. Il a été mis en place par les médias pour donner une consistance à cette disposition très abstraite de la loi. Par “boîte noire”, on entend un dispositif qui sera fixé sur les infrastructures des opérateurs télécoms et qui va scanner toutes les données de connexion des internautes. En cas de “comportement suspect” (un terme qui n’a pas été précisément défini), les informations remonteront aux analystes du renseignement. Les services secrets ne pourront pas voir ce qu’écrivent les internautes mais récolteront toutes leurs données de connexion. “Par exemple, si vous vous connectez dix fois à un site échangiste, les renseignements le sauront”, explique Isabelle Attard, députée du parti Nouvelle Donne.
Les services secrets pouvaient-ils déjà m’espionner de la sorte ?
Oui, mais ils n’en avaient pas officiellement le droit. Les méthodes qu’utilisent les services de renseignement français pour espionner des citoyens sont, à ce jour, encore interdites par la loi. Une partie du projet de loi renseignement vise à légaliser ces pratiques. Interrogé sur France Inter, Jean-Jacques Urvoas, député PS et rapporteur du projet de loi renseignement, préfère parler de “pratiques grises” qui ne sont ”ni permises ni interdites”. Il a tout de même admis que des “IMSI-catchers” étaient déjà utilisés par la police judiciaire, malgré l’absence de régulation. Derrière ce nom barbare se cache un dispositif très intrusif, qui permet aux services secrets “d’aspirer” toutes les données d’un téléphone, à distance, mais également celles de tous les téléphones qui se trouvent dans un périmètre de cinq cents mètres. Les renseignements auront tout de même l’obligation de détruire les données inutiles à l’enquête.
Si je n’ai rien à cacher, qu’est-ce que je risque ?
Vous pourrez quand même être surveillé. Même si vous ne traînez pas dans les milieux djihadistes ni indépendantistes, ou si vous n’avez aucun projet de porter atteinte à la république. Si vous passez dans la zone couverte par un “IMSI-catcher”, vos données de communication seront récupérées. Si vous entrez dans un bâtiment surveillé par caméra ou placé sur écoute, vous serez bien évidemment sous surveillance. Et si vous souscrivez à un fournisseur d’accès à internet, vos données de connexion seront probablement scannées par les fameuses boîtes noires.
Qui va surveiller ceux qui me surveillent?
Reprenons. Un agent du renseignement veut mettre en place une écoute d’un individu suspect. Il fait alors une demande au Premier ministre. Celui-ci demande ensuite l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Il s’agit d’une nouvelle entité, qui sera spécialement créée par cette loi et remplacera la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Elle comprendra treize membres : six parlementaires, six magistrats et un expert du numérique. La CNCTR rend son avis au Premier ministre, s’ils estiment qu’il faut autoriser l’écoute ou non. Mais le Premier ministre n’a pas l’obligation d’obéir au CNCTR, c’est à lui qu’appartient la décision finale. En cas de “procédure d’urgence” demandée par les renseignements, la CNCTR n’aura pas son mot à dire, le Premier ministre sera seul décisionnaire.
Pourquoi vote-t-on si rapidement au Parlement?
Jean-Jacques Urvoas travaille sur ce projet de loi depuis 2012, date à laquelle Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, lui avait commandité une étude à la suite des attentats perpétrés par Mohammed Merah. Le calendrier de la loi renseignement s’est ensuite accéléré au lendemain des attentats terroristes des 7 et 9 janvier à Paris, lorsque Manuel Valls et le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve ont annoncé un durcissement des contrôles en ligne (malgré le fait que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly n’aient pas utilisé Internet pour s’organiser). Le gouvernement a ainsi décidé de faire passer ce projet de loi en « procédure d’urgence » au Parlement, c’est à dire qu’il n’y aura qu’une seule lecture à l’Assemblée nationale (vote le 5 mai prochain) et au Sénat.
Pourquoi les journalistes et les avocats sont plus protégés que les autres?
Journalistes, magistrats, avocats et parlementaires bénéficieront d’un régime spécial. Des dispositions ont été prises pour protéger ces professions attachées au respect du secret professionnel (que ce soit le secret des sources pour les journalistes ou le secret de l’enquête ou de l’instruction). Ainsi, la procédure d’urgence, qui veut que l’autorisation de contrôle soit uniquement délivrée par le Premier ministre (sans demander l’avis de la CNCTR), ne s’appliquera pas pour ces professions.
Que faire si je me sens surveillé ?
Si vous vous sentez espionné, la loi sur le renseignement vous permettra de saisir la CNCTR. “Mais évidemment, si vous êtes écouté pour une raison valable, si c’est une menace pour la république et les libertés, on ne vous le dira pas”, a indiqué Jean-Jacques Urvoas. En revanche, si l’écoute n’a pas lieu d’être, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements pourra saisir le Conseil d’Etat. Et si ce dernier estime lui aussi que votre surveillance n’était pas justifiée, il ordonnera la suppression des données collectées. Par contre, aucun moyen pour vous de savoir comment vous avez été surveillé, ni de connaître le contenu des données interceptées
Marie Turcan, Adrien Franque – Les Inrocks Web – Source