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Bangladesh : les ouvriers font grève, le patron allemand ferme l’usine !

Mad in Bangladesh

Dessin de Tom paru dans Trouw, Amsterdam.

Le propriétaire allemand de BEO Apparels vient d’annoncer la fermeture de ses deux usines au Bangladesh. En cause : un conflit avec ses salariés, mais aussi le contrôle exercé par ses clients occidentaux.

Le 16 février, l’usine de BEO Apparels [à Gazipur, à 50 kilomètres au nord de Dacca] est le théâtre d’une scène singulière : sous les yeux d’un acheteur étranger, des managers armés de barres de fer et de bâtons agrippent un syndicaliste par ses vêtements. Kamrul Hassan, secrétaire général de la fédération syndicale AGFW, se réfugie dans une voiture et prend des photos avec son téléphone mobile. Il l’a échappé belle.

Mais la journée ne se termine pas aussi bien pour tout le monde. Bilan de la mêlée : au moins 10 blessés de part et d’autre. Une quinzaine de jours plus tard, Ulrich Bornemann, le patron allemand de BEO Apparels, fabricant de tee-shirts, polos et pull-overs fournissant la chaîne allemande de hard discount Lidl, annonce la fermeture définitive de ses deux usines au Bangladesh. Il n’a plus de commandes.

Quelque 1 300 salariés vont se retrouver sur le carreau.

Le conflit qui oppose la direction aux représentants syndicaux de BEO Apparels illustre les difficultés quotidiennes que l’on rencontre dans ce pays à bas salaires qu’est le Bangladesh. Comment en est-on arrivé là ? Les versions divergent. Kamrul Hassan explique que, en septembre 2014, les représentants syndicaux de l’usine ont fait part à la direction de leurs craintes à propos de la sécurité et ont demandé une hausse de la rémunération des jours fériés.

Grève violente dans le textile au Bangladesh (1)

Quelques jours plus tard, 48 employés ont été licenciés. Les syndicats internationaux et les clients de l’usine ont alors fait pression pour qu’ils soient réintégrés. Dans le sobre bureau de l’AGWF, Kamrul Hassan reçoit aujourd’hui 6 des 48 personnes licenciées ainsi que 3 employés de BEO Apparels. Ils ont apporté les lettres qu’ils avaient adressées en septembre à la direction.

Avec une écriture hésitante et une orthographe incertaine, ils demandaient des armoires pour ranger leurs chaussures. Ils voulaient aussi que la chaudière à vapeur pour les fers à repasser soit déplacée car ils redoutaient une explosion. Ils sollicitaient enfin une hausse de la prime versée pour l’Aïd : ils demandaient qu’elle soit supérieure au montant habituel dans la branche et qu’elle soit accordée à tous les employés, pas seulement à ceux qui avaient une ancienneté de plus de trois mois. “La direction a d’abord refusé, se souvient Ariful Islam, chef du syndicat de l’usine. Puis ils nous ont dit qu’ils allaient refaire leurs calculs.”

Droits des travailleurs

Quand, quelques jours plus tard, la liste des personnes qui devaient toucher la prime a été affichée, les noms des nouvelles recrues n’y figuraient toujours pas. Douze employés sont alors retournés voir la direction dans l’intention de négocier. Le conflit s’est rapidement envenimé. Selon Ulrich Bornemann, les représentants syndicaux ont demandé au personnel de cesser le travail et ont même séquestré le directeur de l’usine. Voilà pourquoi les représentants syndicaux et 36 autres employés impliqués ont été licenciés sans préavis quelques jours plus tard.

Mais, dans le bureau d’AGWF, les employés racontent une tout autre histoire. Selon eux, les managers ont fait mine de vouloir appeler le directeur, mais auparavant, ils lui avaient demandé de faire comme s’il était séquestré. De plus, il n’y aurait pas eu de grève : seuls les négociateurs auraient cessé le travail, et uniquement pendant les discussions.

Ulrich Bornemann, qui vit depuis quatre ans au Bangladesh, reconnaît ne pas avoir reçu les salariés et dit ignorer leur version des faits. Mais pour Kamrul Hassan, les licenciements sont clairement un acte de représailles. “Nous avons ensuite protesté auprès de L’Accord Bangladesh”, poursuit le syndicaliste. L’Accord regroupe plus de 190 grandes entreprises occidentales du textile, pour la plupart européennes, dont Lidl.

Cette organisation a été créée après l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza, il y a deux ans [le bâtiment de huit étages qui abritait des ateliers de confection s’est écroulé le 24 avril 2013, provoquant la mort de plus de 1 100 personnes]. Sa mission : faire respecter les normes de sécurité et les droits des travailleurs dans les usines des fournisseurs. Ses membres s’engagent à ne pas travailler avec les usines jugées “non conformes”.

L’organisation avait déjà constaté plusieurs petits problèmes dans les bâtiments de BEO Apparels. Elle avait notamment requis que l’on installe un mur coupe-feu dans la pièce où se trouvait la chaudière à vapeur et que l’on éloigne les tissus facilement inflammables des sorties.

Fin octobre 2014, l’Accord a proposé à la direction de BEO Apparels et aux représentants syndicaux de se réunir. Cette réunion a rassemblé Ulrich Bornemann, un acheteur de Lidl, Kamrul Hassan, 8 employés licenciés et 2 représentants syndicaux qui travaillent encore dans l’usine. Ulrich Bornemann a refusé mordicus de reprendre les 48 salariés licenciés.

Complot

Par la suite, les 2 représentants syndicaux ont déclaré s’être fait réprimander par leurs supérieurs pour avoir participé à la réunion. Au cours des réunions organisées les semaines suivantes, l’Accord n’est pas parvenu à convaincre l’entrepreneur allemand de réintégrer ses anciens employés. Bornemann s’est dit victime d’une campagne de diffamation : ses clients ont été informés du conflit et ses commandes dégringolent.

Mais, à la mi-décembre, il a fini par céder. Il a accepté de réintégrer les ouvriers et de leur payer les salaires qu’ils n’avaient pas perçus. Mais c’est alors la direction de l’usine qui lui a donné du fil à retordre. Dans un document que Die Tageszeitung a pu consulter, 35 cadres menaçaient de démissionner sur-le-champ si les ouvriers étaient réembauchés, car ils craignaient pour leur vie. Résultat : fin janvier 2015, Bornemann s’est rétracté.

Voilà comment, le 16 février, après une réunion entre la direction de l’usine, l’Accord, les acheteurs de Lidl et le syndicat, la violence a explosé. Le lendemain, l’usine ferme “provisoirement”, comme on peut le lire sur l’avis placardé à l’intention du personnel, mais après une semaine, Ulrich Bornemann avertit par courriel ses clients et l’Accord qu’elle ne rouvrira pas.

Une heure plus tard, l’organisation fait savoir par courriel à ses membres que les usines de Bornemann ne sont “pas conformes”. A la suite de quoi l’entreprise perd encore des commandes, y compris de la part de clients qui ne font pas partie de L’Accord.

Quand les employés se rendent compte de la gravité de la situation, le 1er mars, 200 d’entre eux se rendent au bureau de l’Accord, à Dacca, pour protester contre la fermeture de l’usine. On en laisse entrer une poignée, au 12e étage d’un immeuble moderne, pendant que les autres attendent dans la rue. “Cette usine nous fait tous vivre. Qu’allons-nous devenir ?” demande une couturière.

La plupart sont convaincus que l’usine a été fermée en raison d’un complot mené par Accord et par le syndicat. “Nous n’avons pas besoin de ces fauteurs de troubles, nous n’avons pas besoin de syndicat”, se mettent-ils à crier. Dans les prochains jours, les derniers salaires seront versés. Puis Ulrich Bornemann liquidera son affaire.

Die Tageszeitung – Berlin Le journal alternatif Tageszeitung, ou Taz, est né en 1979 à Berlin-Ouest en réaction au terrorisme de la RAF. Il s’est imposé comme le quotidien de gauche des féministes, des écologistes et des pacifistes.

Source de l’article


 

(1) A Dacca, capitale du Bangladesh, des affrontements entre des ouvriers du textile en grève et la police ont fait une centaine de blessés, détérioré sept usines et trois centres commerciaux et détruit une cinquantaine de véhicules. Des milliers d’ouvriers du textile protestent depuis plusieurs jours contre les bas salaires et les pratiques patronales indignes dans un pays dont l’essentiel de la production textile est destiné aux pays occidentaux.   Source de la note.