Le peuple de France s’est constitué de l’apport des immigrations : hier, à l’image du résistant FTP-MOI Missak Manouchian -mort pour ses idéaux républicains et de justice sociale-, de ces étrangers qui ont écrit son histoire, et encore aujourd’hui, à l’image de ce jeune Albanais sans papiers nommé « premier apprenti de France ». En tournant le dos à cet héritage républicain, le FN n’est-il pas en train de défaire l’exception française issue de la Révolution et du Conseil national de la Résistance ?
Nicolas Lebourg La France a effectivement opté pour le droit du sol en 1889. Mais, à la classique définition de la nation de Renan en 1882 (un patrimoine que nous enrichissons et sur lequel nous faisons un plébiscite quotidien), déjà d’aucuns répondaient que, pour recevoir un héritage, il faut avoir des ancêtres communs.
Avec l’historien Abderahmen Moumen, on a montré, à partir du camp de Rivesaltes (où sont passés les républicains espagnols, puis les juifs, gitans, harkis, immigrés clandestins), qu’il existe une rencontre entre une demande sociale soucieuse de canalisation économique, politique et biologique des groupes minoritaires, et une offre étatique de gestion technocratique des flux humains. La cohésion sociale réclame que les « indésirables » soient repoussés à la périphérie, mais aussi que leurs conditions de vie soient inférieures à celles des couches sociales certes les plus paupérisées mais nationales.
L’unitarisme est le cœur de la culture française depuis plusieurs siècles et, pour parodier Renan, l’antiracisme et la laïcité sont des combats de tous les jours. Dire que le FN ne correspond pas aux valeurs républicaines est donc une chose, mais quand on cite celles-ci on s’arrête bien souvent soit au légalisme soit au verbalisme incantatoire. Il faut faire vivre la République comme référent éthique, ce que paraît avoir compris la ministre de l’Éducation nationale à la suite du 11 janvier, mais aussi comme ascenseur social méritocratique et solidaire, et là on ne voit guère de chemins ouverts.
Joël Gombin L’héritage est toujours complexe et sujet à interprétations. On ignore souvent que le droit du sol, appuyé sur la conception dite « ouverte » de la nationalité de Renan, repose sur la volonté de revanche en Alsace-Moselle et appuie donc la pulsion nationaliste… N’idéalisons pas le passé : on a connu des épisodes, parfois très violents, de conflits au sein de la classe ouvrière entre Français et étrangers, comme lors du massacre des ouvriers italiens d’Aigues-Mortes en 1893.
Il n’en reste pas moins qu’en effet, la France a su bâtir un cadre institutionnel, juridique, économique et social qui a permis à notre pays de s’ajuster à sa vocation naturelle de pays traversé par les migrations. Aujourd’hui, la capacité de notre pays à assurer cette intégration semble parfois rencontrer ses limites. L’enjeu me semble alors plus d’inventer des modalités de conception de la nationalité adaptées à un monde de plus en plus mobile, que de vouloir se replier sur un droit du sang contraire à notre tradition et notre imaginaire nationaux.
Valérie Igounet De par son histoire, ses marqueurs et son patrimoine idéologique, le FN ne se situe pas dans cette filiation historique. Il n’incarne aucunement les valeurs républicaines.
Par contre, il les revendique et brouille les cartes. D’autres acteurs politiques participent à cette entreprise. Plus que jamais, le FN veut s’imposer comme le défenseur de principes républicains comme la liberté d’expression, la laïcité, l’égalité, etc. Il dit adopter un discours de synthèse, une ligne « nationale républicaine ».
L’article 2 des statuts du Rassemblement Bleu Marine fait ainsi référence « à la souveraineté du peuple français et au respect des valeurs de la République française ». Par ailleurs, il faut rappeler certaines déclarations d’hommes politiques comme celle de Nicolas Sarkozy, au printemps 2012 : « Le FN est compatible avec la République. »
Extrait d’un débat organisé par le quotidien L’Humanité. Entretiens croisés réalisés par Pierre Chaillan – Source de l’article