Le FN au cœur d’une enquête pour fraude

Le Front national est visé par une vaste enquête européenne pour fraude, qui devrait déboucher sur des poursuites judiciaires en France. En effet, pas moins de 29 assistants des 23 députés européens du parti d’extrême droite sont suspectés de bénéficier de rémunérations versées par le Parlement européen, tout en travaillant exclusivement pour le FN sur le territoire français.

Parmi les cas suspects, on trouve trois membres du cabinet du président d’honneur du FN, Jean-Marie Le Pen – dont son directeur Guillaume L’Huillier –, et cinq proches de la présidente du parti, Marine Le Pen, parmi lesquels deux de ses conseillers spéciaux, Bruno Bilde et Julien Odoul. Alerté de ces soupçons, le président du Parlement européen, l’allemand Martin Schulz, a donc saisi lundi 9 mars l’Office européen antifraude, l’OLAF, et alerté dans le même temps la ministre française de la justice, Christiane Taubira, de faits pouvant s’apparenter à un financement illicite de parti politique.

En vertu de ses compétences judiciaires, le parquet national financier devrait être rapidement saisi de ce dossier.  » Grosse caisse «  Cela faisait plusieurs mois déjà que les services financiers du Parlement européen nourrissaient des doutes à l’égard des pratiques du Front national. A la fin du mois de février, ces mêmes services ont eu connaissance du nouvel organigramme de la direction du FN. Ils ont constaté que, sur les 82 personnes occupant des fonctions officielles dans cet organigramme, vingt étaient des assistants d’élus au Parlement européen – quatre étant des assistants  » accrédités « , donc censément basés dans les institutions à Bruxelles ou Strasbourg, et seize des assistants  » locaux « , c’est-à-dire implantés dans les circonscriptions.

En poursuivant leurs investigations, les services financiers ont même découvert que neuf autres assistants  » locaux «  bénéficiaient également d’un contrat de travail les rattachant au siège du FN. N’apparaissant pas dans l’organigramme officiel du FN, leurs cas n’ont pas été soumis à l’OLAF, mais ont été en revanche révélés aux autorités judiciaires françaises. Le statut des députés européens prévoit à l’article 33 alinéa 2 que  » seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés  » par le budget du Parlement européen.  » Ces dépenses ne peuvent en aucun cas couvrir les frais liés à la sphère privée des députés.

 » L’article 43 précise que les salaires versés aux assistants par le Parlement «  ne peuvent servir directement ou indirectementà financer des contrats établis avec des groupes politiques du Parlement ou des partis politiques « . Il apparaît que parmi les vingt assistants locaux dénoncés à l’OLAF, dix ont conclu un contrat de travail qui indique comme adresse d’exécution le 78, rue des Suisses, à Nanterre, soit l’adresse du siège du Front national. C’est également le cas des neuf autres assistants d’élus au Parlement européen n’apparaissant pas dans l’organigramme et signalés à la justice française.

Le salaire le plus élevé pour un assistant s’élève à 10 535 euros par mois. La masse salariale globale des 20 assistants parlementaires dont le cas vient d’être soumis à l’OLAF représente 1 500 000 euros par an, ce qui équivaudrait à un préjudice global de 7 500 000 euros pour la totalité de la législature en cours. Un montant supérieur si l’on y ajoute les neuf autres contrats suspects signalés à la justice française…

Dès la révélation de l’affaire par Le Monde.fr, lundi 9 mars en début de soirée, Marine Le Pen a réagi sur Twitter :  » Le président du Parlement européen sort la grosse caisse (…). Une plainte sera déposée contre lui pour dénonciation calomnieuse. « 

De son côté, la députée FN du Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen, a accusé Martin Schulz, mardi 10 mars, sur France Info, d’ » appliquer  » les ordres de Manuel Valls. «  La presse s’est emparée avec beaucoup de gourmandise de cela « , avant de souligner que  » l’enquête n’a même pas encore commencé. Pas grave, on connaît le procédé : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! « .

 » M. Schulz est un militant politique. Lors des européennes, il avait fait un certain nombre de meetings contre le Front national, a souligné Mme Maréchal-Le Pen. Il a appliqué à la lettre les ordres de M. Valls qui, hier, expliquait qu’il fallait que les élites se mobilisent contre le Front national.  »  » C’est de l’acharnement politique évidemment, en pleine période électorale « , selon l’élue du Vaucluse, dont le parti arrive en tête des sondages pour les départementales des 22 et 29 mars.

Le fait d’être assistant d’un parlementaire européen et  » en même temps conseiller de Marine Le Pen sur des questions très techniques, je ne vois absolument pas en quoi cela est incompatible « , a-t-elle conclu.

Sur son compte Twitter, le vice-président du Front national, Florian Philippot, a aussi accusé Manuel Valls d’être à l’origine de cette saisie et d’avoir sollicité le président du Parlement, Martin Schulz, pour  » monter une affaire bidon « .  » Dans le fond, Schulz a raison. Nos assistants ne travaillent pas pour l’Union européenne mais contre elle « , a ironisé le député européen, dont plusieurs assistants seront eux-mêmes concernés par les enquêtes à venir

Davet Gérard, Le Monde – Permalien