Le nécrophone, calqué sur son phonographe, qui permettrait de contacter les morts.
On a tort de considérer les scientifiques comme des ronchons blasés, insensibles à toute forme d’étrange ou de merveilleux, balayant d’un revers de la main les histoires de miracles, levant les yeux au ciel à l’évocation de fantômes, vampires ou ectoplasmes. Peut-on vraiment les réduire à ces incorrigibles sceptiques qui gratifient d’une moue dédaigneuse les récits fantasques des médiums, spirites et autres nécromanciens et charlatans du désespoir?
Pas du tout, au contraire. Seulement, ils refusent d’admettre sans preuve, il leur faut une cause pour un effet, des éléments et un protocole expérimental élaboré, du scientifiquement irréfutable! Le grand inventeur, le pape des geeks, Thomas Edison, est de ceux-là.
L’un de ses textes perdus sort des limbes de l’oubli, Le Royaume de l’au-delà. Dans ce court texte, Edison formule une nouvelle idée, une énième invention, mais plus incroyable que toutes les autres : le nécrophone. Une machine qu’il n’achèvera jamais mais dont il expose ici les principes. Elle permettrait de contacter et de converser avec les morts.
Et pourtant : « Je ne puis concevoir une chose aussi saugrenue qu’un esprit », raille l’homme de science. Et quand bien même! « Pourquoi les ‘esprits » perdraient-ils leur temps à faire parler des tables? Toute cette affaire me paraît si puérile que je ne puis la considérer comme sérieuse. » Mais magnanime : « Pour ma part, je voudrais fournir aux chercheurs spirites un appareil qui leur permettrait de travailler d’une manière strictement scientifique. »
Voici donc le nécrophone. Le fonctionnement est enfantin, à condition de suivre Thomas Edison dans sa conception un peu approximative de la vie. Pour lui, ce sont des « entités-vie », c’est-à-dire une myriade de « bonshommes » (c’est ainsi qu’il les nomme), des millions de millions de petits êtres qui constitueraient ce que nous appelons la vie et la personnalité d’un individu. Parmi toutes ces entités, une poignée d’entre elles, les plus importantes, évolueraient dans l’aire de Broca, l’une des principales zones du cerveau. Ce sont ces « bonshommes »-là qui seraient en fait ce que les bêtas nomment l’âme.
A L’heure de La mort, l’enveloppe corporelle se désagrège certes, mais ces êtres survivent ! Ainsi, d’après Edison, si l’on pouvait entendre ou voir ces entités bien trop minuscules pour être visibles même par le plus perfectionné des microscopes, nous aurions accès à la mémoire du défunt !
Le nécrophone n’est en fait qu’un prolongement du célèbre phonographe d’Edison qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, enregistrait et restituait une voix humaine et amplifiait à volonté les plus faibles des sons. Une révolution que nous ne pouvons qu’à peine concevoir depuis notre XXIe siècle numérique – certains grands scientifiques de l’époque, tellement éberlués par le prodige, accusaient les démonstrateurs du phonographe d’être des ventriloques!
L’idée d’Edison est donc de concevoir un amplificateur plus puissant encore que son phonographe. Son concept spirite-scientifique fait sinistrement écho à une autre de ses célèbres inventions, la chaise électrique. Il n’achèvera jamais son nécrophone, mais nul doute que certains esprits ont dû Le tourmenter.
Nicolas Carreau – Les Inrockuptibles N°1005 –Titre original de l’article « Deadline »
Lire Le Royaume de l’au-delà de Thomas Edison, précédé de Machines nécrophoniques par Philippe Baudouin (Jérôme Millon(, 192 pages, 18 €