En reliant ses franchises européennes à une société basée au Grand-Duché, le groupe aurait évité de payer un milliard d’euros d’impôts en cinq ans.
Opération régime chez McDo.
Entre 2009 et 2013, le géant américain de la junk-food (et de l’évasion fiscale) a réussi à alléger sa feuille d’impôt d’un milliard d’euros. C’est ce que dénoncent la Fédération syndicale européenne des services publics, la Fédération européenne des syndicats de l’alimentation, de l’agriculture et du tourisme et l’Union internationale des employés de service.
« McDonald’s a délibérément diminué son exposition fiscale en Europe », notent-ils. Mais le géant de la malbouffe n’est pas le seul à maîtriser la tambouille fiscale. Actuellement, quatre « enquêtes approfondies » sur des pratiques douteuses de Starbucks, Fiat, Amazon et Apple sont menées par la Commission européenne en Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas.
Pourquoi ces multinationales échappent-elles à l’impôt, alors que les petites et moyennes entreprises sont tenues de payer rubis sur l’ongle leurs taxes ?
Parce que les traités européens assurent une totale liberté des capitaux. Et que chaque pays est in fine libre de faire du dumping fiscal.
Le Luxembourg, l’Irlande ou les Pays-Bas sont de véritables terres d’asile pour sièges sociaux et autres sociétés coquilles vides de multinationales. Aubaine. Certes, McDonald’s ne cesse de tambouriner à quel point elle verse sa dîme en France, Allemagne, Italie… Mais, pour le mastodonte du prêt à manger, tout a changé en 2009. A l’époque, la maison mère décide de créer une nouvelle société au Luxembourg : la McD Europe Franchising, dotée de 13 salariés, en lieu et place de la McD Immobilier. Sa raison d’être ? L’optimisation fiscale. Ou plutôt, comment profiter de ce nouveau régime fiscal, « Patent Box », tout juste adopté par le Grand-Duché et grâce auquel des sociétés franchisées peuvent verser des royalties à leur maison mère au titre des droits sur la propriété intellectuelle.
Certes, ce type de régime existe déjà ailleurs. Mais cette fois, les sommes ne sont plus taxées à plus de 20% mais à 5%. Une aubaine pour McDo. En quelques mois, toutes les filiales McDo franchisées et sises en Europe « payent » des redevances à McD Europe Franchising Luxembourg.
En 2009, celle-ci reçoit 590 millions d’euros. Un an plus tard, 700 millions. Au total, ce sont plus de 3,7 milliards d’euros qui prennent la route du Luxembourg, toujours au titre du paiement du droit d’utilisation de la marque McDo par les entreprises franchisées de toute l’Europe. Et, au bout du compte, McD Europe Franchising Luxembourg reverse 16 millions d’euros dans les caisses du trésor luxembourgeois. Une paille.
Si les revenus de McD Europe Franchising Luxembourg avaient été imposés dans leurs pays d’origine, la multinationale aurait dû verser 1,05 milliard d’euros supplémentaires, principalement au fisc français, sur ces cinq années.
Plainte. « Le système est connu depuis longtemps », s’agace Gilles Bombard, délégué CGT de McDonald’s Ouest parisien. « Dans les 18 restaurants de notre société, l’excédent brut d’exploitation oscille en moyenne entre 20% et 23%, ce qui est colossal en période de crise », explique le syndicaliste. Preuve que les établissements sont en bonne santé. « Pourtant, depuis dix ans, les salariés n’ont pas touché un centime de participation aux bénéfices. Et pour cause, chaque année, les restaurants affichent un étonnant déficit. »
La faute aux redevances payées à McD Europe Franchising Luxembourg. « Celle dite de « service » [l’usage de la marque, ndlr] est fixée à 5% du chiffre d’affaires, l’autre, sur le loyer, varie entre 14% et 19%, détaille Gilles Bombard. Au total, les flux financiers vers la maison mère peuvent représenter près d’un quart du chiffre d’affaires. »
Une « injustice » d’ autant plus insupportable au regard des aides d’ État engrangées chaque année par les fast-foods. Soit, pour les seules franchises de l’ ouest parisien, 1,2 million d’ aides Fillon (baisse des cotisations patronales sur les petits salaires) et 579 000 euros au titre des crédits d’impôt.
Le comité d’entreprise de la société a d’ailleurs déposé une plainte contre X en mai « pour fraude fiscale » et alerté le ministère du Travail. Pas de nouvelle depuis. « Le gouvernement traîne des pieds », confie le cégétiste. « Le sujet fiscal commence à monter en puissance dans la société civile », se réjouit toutefois le Belge Philippe Lamberts, président du groupe écologiste au Parlement européen.
Selon lui, l’urgence est de faire respecter les lois existantes, notamment celles portant sur la limitation des aides des États et sur l’obligation de coopération loyale entre les États membres. « Mais il faut aussi gagner en transparence en imposant un « reporting » pays par pays aux entreprises, ajoute-t-il. Nous l’avons obtenu pour les banques. Mais pour l’heure, le Conseil européen rechigne à l’étendre aux autres secteurs. »
Reste un autre chantier, bien plus ambitieux : la convergence fiscale. « Mais les Etats membres n’en veulent pas »
Cailhol Amandine, Libération – Titre original : « La recette luxembourgeoise de McDo pour alléger ses taxes » – Permalien