La Libye peu à peu gagnée par l’Etat islamique

En proie au chaos depuis 2011, le pays voit le conflit avec le groupe jihadiste s’installer sur son sol. Lundi (16 février 2015), Le Caire y a mené une attaque aérienne, en représailles à la vidéo montrant l’exécution de 21 coptes égyptiens. Vingt et un coptes égyptiens en tenue orange censée évoquer celle des détenus de Guantánamo marchent difficilement sur une plage de la Tripolitaine, région occidentale de la Libye, les mains attachées dans le dos. Vingt et un hommes entièrement vêtus de noir les poussent avant de les aligner. Les bourreaux se placent alors derrière les victimes avant de les égorger au couteau. Avant l’exécution, un homme explique en anglais les raisons de cette scène macabre : « Aujourd’hui, nous sommes au sud de Rome, sur la terre musulmane de la Libye. […] Cette mer dans laquelle vous avez caché le corps du cheikh Oussama ben Laden, nous jurons devant Allah que nous allons la mêler à votre sang. » La dernière opération de l’Etan islamique (EI) en Libye provoque l’effroi. En représailles, l’Égypte a bombardé lundi matin des positions libyennes de l’EI qui, mois après mois, est de plus en plus présent dans un pays en plein chaos, où les milices des diverses factions règnent en maîtres. Menaces. « Cette fois, j’en ai marre ! Je vais tout faire pour quitter le pays, c’est vraiment trop dangereux », s’exclame un ancien garde du corps de l’ambassadeur du Japon pourtant peu enclin à se faire intimider. Les chaînes de café et les grands hôtels sont délaissés par peur d’un attentat. L’ultime ambassade occidentale encore active, celle de l’Italie, a suspendu dimanche « ses activités en raison de l’aggravation des conditions de sécurité » et rapatrié son personnel. Dans le dernier numéro de Dabiq, son magazine anglophone, l’État islamique a déclaré la guerre au gouvernement de Tripoli, soutenu par les conservateurs religieux et une coalition de brigades nommée Aube libyenne, en qualifiant celui-ci d’«apostat». Ces menaces, le pouvoir de Tripoli préfère les occulter, conscient qu’elles nuisent à sa crédibilité dans le dossier de la restauration de la sécurité. « Derrière ces groupes qui se réclament de l’État islamique, on retrouve des anciens kadhafistes qui soutiennent le Parlement de Tobrouk », explique sans sourciller Abdoulkader Hueli, député du Congrès national général (CGN) qui soutient le gouvernement basé dans la capitale libyenne. Depuis cet automne, le CGN et le Parlement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale, se disputent politiquement et militairement la Libye. Sur le terrain militaire, les brigades d’Aube libyenne font fi du storytelling de Tripoli. La Force nationale mobile explique qu’elle est prête à agir contre « les groupes étrangers se revendiquant de l’État islamique […] et qui disent : « Nous sommes venus vous massacrer ! » » Si la capitale découvre l’EI depuis le début de l’année, plusieurs autres villes vivent déjà sous la férule des fondamentalistes. L’organisation est apparue le 30 octobre à Derna, à 285 km à l’est de Benghazi. Ce jour-là, les militants du Conseil de la Choura de la jeunesse islamiste paradent dans le centre-ville à bord de pick-up surmontés de mitrailleuses pour prêter serment au calife Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’EI. C’est la première allégeance en dehors de la zone irako-syrienne. Un mois après l’affiliation, Human Rights Watch recensait dans la ville au moins trois exécutions sommaires, une dizaine de flagellations et des repentances publiques pour ceux que les militants considèrent comme « infidèles ». Ce mois-ci, l’État islamique a annoncé coup sur coup la prise de la localité de Nofilia et le contrôle de plusieurs bâtiments stratégiques à Syrte, dont ceux des principaux médias, qui diffusent depuis les discours d’Al-Baghdadi. Nofilia et Syrte sont deux villes côtières situées à proximité des principales infrastructures pétrolières du pays. L’or noir, qui représente quasiment 90% du revenu libyen, pourrait être leur prochaine cible. Alliance. A chaque attaque du groupe extrémiste, le même schéma se répète : des jeunes radicaux, fascinés par la force militaire et médiatique de l’EI, font régner la peur et imposent des règles strictes à travers une police des mœurs et des prêches. Pour cela, ils créent des groupes ad hoc et installent des camps à proximité de leur bastion, notamment dans le Jebel Akhdar, autour de Derna. Le Sud libyen, dont les frontières sont ouvertes, leur sert de porte d’entrée et de sortie, ainsi que de source de financement. Cette expansion géographique et militaire pose la question des relations avec l’autre grand groupe jihadiste libyen, Ansar al-Charia, présent depuis la fin de la révolution, en 2011. L’an dernier, l’ONU a inscrit les branches de Benghazi et de Derna sur la liste des groupes terroristes – oubliant celle de Syrte. Mais, outre son jihadisme, l’organisation très bien structurée s’enorgueillit, contrairement à son nouveau rival, d’actions sociales : protection d’hôpitaux, distribution de nourriture aux plus pauvres, réparation de routes, etc. Militairement, Ansar al-Charia est l’allié objectif d’Aube libyenne. Une alliance qui se cristallise contre un nom : Khalifa Haftar. L’ancien général du régime kadhafiste a lancé en mai dernier l’opération « Dignité » pour se débarrasser des islamistes en Cyrénaïque, région orientale de la Libye. Il est même devenu le bras armé des institutions basées à Tobrouk, et est pressenti pour devenir le prochain ministre de la Défense. Suivant le principe « l’ennemi de ton ennemi est ton ami », Aube libyenne, bien que rejetant le jihadisme, et Ansar al-Charia font cause commune. La même logique pourrait-elle s’appliquer aux deux groupes jihadistes, surtout que de nombreux militants sont passés d’Ansar al-Charia à l’EI, perçu comme plus  «moderne » ? Mary Fitzgerald, spécialiste des mouvements islamistes en Libye, n’y croit pas : « L’État islamique et Ansar al-Charia ne sont pas affiliés en Libye. A Benghazi, Ansar al-Charia et l’EI combattent ensemble contre l’ennemi commun Haftar. Mais à cause des différences idéologiques – Ansar al-Charia est plus proche d’Al-Qaeda -, les deux groupes finiront probablement par se combattre. » Comme en Syrie. Mathieu GALTIER, Correspondant à Tripoli pour « Libération » – Permalien


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NOTEZ : Pas d’Écho du coté de BHL certainement perdu dans son « pensum suprême »  et du soutien de N. Sarkozy pour partir guerroyer contre ces « envahisseurs islamistes » détournant a son profit guerrier, les ressources pétrolifères que la France avait conquis via TOTAL, en abattant autant le peuple qu’un Kadhafi – fut-il un despote dans un pays ou la démocratie était absente, mais ou la population bien que composée d’ethnies claniques très opposées, vivait sans heurt et bénéficiait d’énormes avancées sociales aujourd’hui disparues. MC

Une réflexion sur “La Libye peu à peu gagnée par l’Etat islamique

  1. THÉOPHRASTE 19/02/2015 / 11h48

    Ce qui est en train d’advenir dans ce pays est monstrueux et toutes les responsabilités devraient être établies et internationalement reconnues. L’extension de ce chaos est redoutable pour le monde entier.

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