« Les politiciens créent des problèmes là où il n’y en a pas. Et les médias, ils nous parlent des terroristes, mais en vrai, c’est eux qui nous terrorisent ».
Dans les quartiers nord d’Aulnay-sous-Bois, de nombreux jeunes ne sont pas Charlie. Tout en défendant les thèses « complotistes », ils témoignent d’un quotidien fracturé par l’exclusion sociale.
Le week-end dernier, au marché Vieux pays dans le centre-ville d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), les habitants étaient médusés. Ils venaient de découvrir le parcours des frères Belhoucine, deux complices présumés d’Amedy Coulibaly, installés à Aulnay depuis quelques années.
Mehdi Belhoucine, le cadet âgé de 23 ans, suspecté d’avoir accompagné en Turquie l’épouse d’Amedy Coulibaly, Hayat Boumeddiene, était agent municipal, employé par la mairie pour assurer un soutien scolaire aux enfants de 10 à 14 ans. Tout comme son aîné, Mohamed, ancien élève de l’Ecole des Mines d’Albi. L’un et l’autre ont cumulé des contrats
à durée limitée de 2010 à 2014. En juin dernier, Mohamed a été condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis, pour des activités cyberjihadistes. Sa peine de prison couvrant la durée de sa détention provisoire, il n’est pas retourné en cellule. Il aurait quitté la France et l’on ignore où se trouve son frère cadet.
Dans le quartier des Etangs, cité des 3000, au nord d’Aulnay-sous-Bois, Anis, Issam et Achir (1), âgés de 23 à 27 ans, suivent en direct les avancées de la lutte antiterroriste. « Il y a quelques jours, il y a eu des perquisitions dans plusieurs foyers des 3000, avec des policiers cagoulés armés de fusils à pompe de la taille de ma petite sœur » Ils disent ne rien savoir de ces perquisitions; des frères Belhoucine, non plus : « Tout ce qu’on sait, c’est quAulnay, c’est magnifique. Mais ici, c’est un putain de quartier sensible. »
Chaque jour, en bas de leurs immeubles, ils font le point sur les attentats parisiens, décortiquent les dernières informations glanées sur internet : « Franchement, c’est un coup monté. C’est trafiqué tout ça. On a vu la vidéo de Coulibaly, pourquoi on n’a pas vu celle des frères Kouachi? Et le gars, il oublierait sa carte d’identité dans la voiture ? », attaque Issam.
Achir, employé à la mairie, embraie tout en tirant sur un gros joint : « C’est le Mossad qui a organisé ça, avec l’aide des soldats français. En vrai, les frères Kouachi ont été tués au Yémen. Et on est que 10 % de la population à le savoir. Ils veulent qu’Israël devienne le maître du monde. En réalité, tout le monde est contre la religion musulmane. Et là, ils font monter le degré de haine et de rejet contre notre religion. D’ailleurs, quand Lassana (Bathily) a sauvé les otages, on n’a pas insisté pour dire qu’il était musulman. »
Un peu stone, il ponctue : « La liberté d’expression s’arrête là où la vérité commence. Mais on va se réveiller, on va vous niquer. » En quelques minutes, le débat s’est transformé en transe « complotiste », et le nombre de participants s’est multiplié par quatre.
Une voiture passe, le conducteur jette à l’assemblée : ‘Je suis Charlie Coulibaly. » Les jeunes saisissent l’aubaine : « Dieudonné, c’est n’importe quoi. Quand il vanne les Juifs, eux, ils ont le droit de ne pas être contents. En revanche, quand on insulte le Prophète, il ne faudrait plus rien dire. On est contre Charlie. Et comme on est libre en France, on a le droit de le dire. »
Malik, 25 ans, fait une mise au point : « En même temps, on est tous contre le terrorisme. Notre religion, ce n’est pas de tuer, c’est d’aider son voisin. Et même le jihad, ce n’est pas ça. Le jihad, c’est un combat avec soi-même. Le combat qui va te pousser à faire du bien aux autres. Les frères Kouachi, ils ont dit qu’ils vengeaient le Prophète. Ils n’ont rien compris, wallah ! »
Pour comprendre ce qu’on ressent vraiment, il faut écouter IAM, préconise Issam. T’écoutes leur chanson La Fin de leur monde, tout est dit sur ce qu’on pense, et sur ce qu’on pense. » Malik embraie, de mémoire, sur un extrait des Illusions perdues : « Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.’ La vérité, c’est Balzac qui la détient. Et Thomas Sankara aussi. Bref, il faut écouter les anciens. »
Ex-étudiant en droit, Malik est lancé : « Les politiciens créent des problèmes politiques là où il n’y en a pas. Ils utilisent la force d’un élément extérieur pour pouvoir l’utiliser à leur propre avantage. C’est de l’aïkido. Et puis les médias, ils nous parlent des terroristes, mais en vrai, c’est eux qui nous terrorisent! On dirait qu’ils cherchent le choc des civilisations. Alors que l’identité de la France, c’est le pluralisme. » Il poursuit : « Le vrai problème, c’est l’emploi. Moi, par exemple, le droit j’adorais, mais j’ai dû arrêter pour chercher un travail que je n’ai jamais trouvé. Et aujourd’hui, sans travail, les gens ne se mélangent pas et ne se connaissent plus. »
Les voix se font désormais plus douces et timides. « Quand j’étais petit, je rêvais d’être pilote de ligne, balance soudainement Anis. Mais à l’école on m’a vite fait comprendre que ce n’était pas la peine d’espérer, à cause de mon nom de famille. » Sans formation ni emploi, il s’ennuie. « Pour le moment, on va dire que… je suis à la retraite. »
Discriminations à l’embauche, impossibilité d’accéder à une bonne éducation, fractures sociales, tous tiennent à en témoigner. Issam enchaîne : « On était tous au collège Christine-de-Pisan, là, à 50 mètres. C’est l’école classée la plus nulle d’Ile-de-France, mais nous, on l’a tous aimée. Et puis, j’ai connu des professeurs, c’était des merveilles. »
Chahine, un grand frère, intervient : « A notre époque, le CPE venait nous chercher dans les cages d’escàliers. Aujourd’hui, les petits fument leur joint devant le proviseur. Les profs, c’est plus pareil. » Malik l’apostrophe : « La vérité, c’est qu’ils sont tellement mal payés. Qu’on leur paie des heures supplémentaires et vous verrez, l’école ça changera. »
Depuis des années, les enfants de la cité des 3000 additionnent périodes de chômage et contrats précaires à la mairie d’Aulnay ou à l’aéroport Charles-de-Gaulle, à quatre stations de RER. Depuis les attentats, leur avenir s’est encore assombri.
Chahine raconte : « Ça fait deux semaines que j’ai commencé à travailler pour la mairie en tant que gardien de stade. Je dois signer mon contrat mais ils me demandent d’attendre. Ils disent qu’ils veulent vérifier mon casier judiciaire. Et moi, j’ai un casier. Ça sent la patate. » « On a des casiers judiciaires parce que c’est trop dur de vivre ici. Mais nous, tout ce qu’on veut, c’est avoir un travail pour pouvoir rentrer chez nous le soir, heureux. » Tous redoutent que les révélations sur les frères Belhoucine viennent gâcher leurs relations avec la Mairie. Chahine conclut : ‘J’espère qu’ils ne vont pas tout mélanger »
Otivia Müller – Les Inrocks N°999
- les prénoms ont été modifiés
Trafic d’influence ? En tous cas vivons loin de la duplicité des cultes …
Dénonçons le pseudo cultuellement correct, le communautarisme, pour l’unité des peuples, l’huile sur le feu n’arrangera personne, ce n’est pas pour autant oublier, c’est construire en connaissance de cause. MC