L’union sacrée est un mirage …

Qu’avez-vous pensé de la solidarité politique autour de François Hollande le 11 janvier?

Une interview de Clémentine Autain – La liberté d’expression défendue par Ali Bongo, Viktor Orbàn ou Benyamin Netanyahou, c’est indécent. Et l’union sacrée est un mirage. L’Assemblée a voté dans la foulée la poursuite de la guerre en Irak. Or les Américains ont enchaîné les guerres et Al-Qaeda comme Daech ne cessent de progresser.

Ces guerres sans fin produisent de la radicalisation. Parallèlement, la France vend des armes à l’Arabie Saoudite et ne soutient pas les Kurdes contre Daech). Nicolas Sarkozy parle de fermeté mais touche 100000 euros pour une conférence au Qatar, pays qui finance les réseaux djihadistes.

Amedy Coulibaly est passé par la case prison…

Les « barbares » viennent de notre monde. Il faut poser la question des prisons françaises – terreau du fanatisme -, des alternatives à ces enfermements et de la réinsertion. Il faut s’attaquer sérieusement au vivre-ensemble, apporter des réponses concrètes à cette jeunesse qui se jette dans les bras des intégristes, faute d’idéal et de projection dans un avenir meilleur.

Le but des djihadistes est-il de fracturer le vivre ensemble?

Oui. Mais il est important de rappeler que les premières victimes du djihadisme dans le monde sont les musulmans. Ces fanatiques ont un projet politique de nature totalitaire et se nourrissent de la théorie du choc des civilisations.

Les incidents dans quelques collèges et lycées ont indigné, certains politiques…

La minute de silence dans les classes n’a fait l’objet d’aucune note de cadrage pour les enseignants qui, depuis la suppression des IUFM, n’ont plus de formation. La ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem a donné publiquement des recommandations hallucinantes : au lieu de suggérer d’engager la discussion, elle a affirmé qu’il y avait trop de questionnements « insupportables » de la part des élèves. Comme si les valeurs pouvaient se transmettre par autorité. Il faut se rendre compte que la promesse républicaine sonne creux, en particulier pour les jeunes.

Que pensez-vous de la garde à vue de Dieudonné?

Ce que raconte Dieudonné est d’un antisémitisme inadmissible et dangereux. Si la loi permet de le condamner, je n’irai pas le soutenir au nom de la liberté d’expression. Mais il faut faire attention à ne pas faire de lui et ses amis des martyrs et les pousser à se radicaliser encore. Il y a une crispation identitaire chez les jeunes, nourrie par la montée des injustices. J’oppose au repli identitaire, qui concerne aussi les adeptes du FN, la logique du commun. Avoir une Rolex à 50 ans n’est pas un projet transcendant. Le jour du drame, Emmanuel Macron a déclaré : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires. » C’est lamentable, comme idéal de gauche proposé à la jeunesse.

Pourquoi le Front de gauche (FdG) n’arrive-t-il pas, comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne, à emporter l’adhésion populaire?

Le désastre du plan d’austérité en Grèce et le mouvement des Indignés en Espagne ont créé deux situations particulières. La contestation du système est pour l’heure captée en France par une réponse autoritaire, celle du FN. Notre gauche n’a pas capitalisé sur le « non » au traité européen de 2005. En 2007, on n’a pas été capable d’avoir une candidature commune à la présidentielle. Nous n’avons pas réussi à prolonger l’élan des 11 % de Jean-Luc Mélenchon à celle de 2012. Nous avons une façon de faire de la politique qui ne correspond plus aux aspirations actuelles. Les références et les mots sont trop souvent ceux du passé. Face -à l’atomisation de la société, comment créer du lien entre l’intello précaire et un jeune de banlieue au chômage?

L’intello précaire vote pour le FdG mais pas le jeune de banlieue…

A gros traits, c’est ça. Et c’est un problème.

Comment trouvez-vous la dernière couverture de Charlie Hebdo?

Plutôt tendre. Le but était de tuer une rédaction. J’ai eu des débats avec Charb, pour qui j’avais beaucoup d’amitié, sur La ligne éditoriale de Charlie, qui n’est pas celle qu’on aurait développée à Regards. Mais entrer aujourd’hui dans le débat sur leur ligne éditoriale, c’est dire qu’ils l’auraient plus ou moins mérité.

On peut ne pas être d’accord et condamner l’acte…

Évidemment. Ceux qui rendent responsables de prétendus « islamo-gauchistes », qui contestaient la ligne de Charlie dans le cadre d’un débat démocratique, sont en plein délire.

Avez-vous lu Soumission de Michel Houellebecq?

J’en étais page 120 quand les attentats ont eu lieu. J’ai laissé passer deux jours et je m’y suis remis. Il y a quelque chose de l’époque dans ce livre, dont la misogynie et le racisme m’écœurent. Depuis ses débuts, je reconnais le grand talent littéraire de Houellebecq. Mais si les écrivains racontent le monde, ils participent aussi à le façonner. La sortie de son livre a écrasé les autres.

Les grands médias portent une responsabilité. D’autres auteurs racontent le monde d’un autre point de vue, comme Virginie Despentes, Karine Tuil, qui écrit sur les questions d’identité, ou Olivier Adam, Nina Bouraoui, Eric Reinhardt sur la critique du capitalisme.

Quel livre retenez-vous cette année?

J’ai beaucoup aimé Pas pleurer de Lydie Salvayre sur la guerre d’Espagne et le livre de Lola Lafon m’a bouleversée, La petite communiste qui ne souriait jamais, et son précédent, Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce. Des livres féministes où le désir de liberté est là.

Clémentine Autain, directrice de la revue Regards et figure du Front de gauche – Propos recueillis par Anne Laffeter.- Les Inrocks N°999