À la rue

J’aime bien venir manger le midi à l’accueil de jour de la fondation Abbé Pierre. On dépose les chiens dans le chenil. Ils ne salissent jamais, ils n’aboient pas. Je n’ai pas de chiens, mais j’aime bien qu’ils soient là. Ils sont jolis, et on leur donne le reste de nos repas ou des croquettes, quand il y en a. Les SDF aiment les animaux. En période hivernale, l’accueil de jour a changé ses horaires. On peut y rester jusqu’à 16 Heures. Ça fait du bien. On est ensemble, on discute, on boit du café, au chaud.

Aujourd’hui dimanche, je suis allée au marché. Je me suis achetée des chaussettes, 5 paires pour 3 euros. Je ne vais jamais dans les magasins. C’est trop cher. Ça fait 7 jours que je suis au Cécler (NDLR : hébergement d’urgence où on ne peut rester plus de 7 jours), Céline a donc téléphoné au 115. Ouf, ils m’ont prolongée de 7 jours. Nous sommes peu de femmes. Cinq femmes pour une cinquantaine d’hommes. Alors, moi, je me fais discrète. Pour l’instant, ils ne m’embêtent pas. Bien sûr, j’ai déjà entendu « je me la taperais bien », et je crois qu’il y en a un qui m’aime bien, il me sourit tout le temps. Moi, je ne m’attarde pas.

Depuis quelques semaines, j’ai l’impression que les gens changent de comportement face aux SDF. Ils nous parlent plus. Ça fait du bien. Malgré tout, il reste quelques personnes qui estiment que cela ne leur arrivera jamais. Mais avec tous ces licenciements, divorces ou ruptures familiales, personne n’est à l’abri.

Ce monde est de plus en plus dur, il faudrait donc devenir plus solidaire, plus humain, plus compréhensif. Heureusement qu’il y a des associations, des bénévoles. Je trouve qu’il y a de plus en plus de jeunes à la rue, sans emploi, logement ni famille. Et ces femmes qui sont restées sans travailler pour garder leur enfant. Une fois veuves, elles n’ont pas de retraite suffisante pour avoir un appartement.

Le bungalow c’est un algéco. Je n’aime pas trop cet endroit. Comme c’est le début de l’hiver, vers 21 heures, le car des restos du cœur s’arrête. On peut y prendre à l’intérieur un repas chaud.

J’ai entendu dire que les gens pensaient que les SDF ne se lavaient pas. C’est faux. À l’accueil de jour, il y a une douche pour les femmes et une pour les hommes. Aux bungalows, nous avons nos douches et nos WC, (bon, ce n’est pas très pratique l’hiver, il faut traverser toute la cour pour aller aux toilettes.)

Nous pouvons aller chercher des vêtements au marché aux puces. Des vêtements presque neufs pour un euro. Des chaussures aussi. Depuis que je suis SDF, j’ai vu une seule fois un homme très âgé, vraiment très sale, et pas rasé. Nous pouvons bénéficier de soins gratuitement, grâce à des médecins bénévoles.

Il ne faut pas rentrer dans les clichés. Nous avons notre dignité, nous nous lavons, nous cherchons du travail, mais sans logement c’est compliqué. Peu d’entre nous font la manche sans avoir quelque chose à offrir : un dessin, un peu de musique, ou comme Fred, des Origami. Moi, ça va, j’ai le RSA. Je ne me plains pas, et je ne fais pas la manche.

J’essaie avec Sybille (NDLR : salariée de la fondation Abbé Pierre, collectif pauvreté et précarité) de trouver un studio. J’ai économisé sur mon RSA pour payer la caution. J’espère qu’un propriétaire sera d’accord pour me louer un meublé. Car je n’ai plus rien. Mais, ne me jugez pas. Ma vie a été très compliquée.

J’ai bossé trente ans dans les hôpitaux. Et je me suis retrouvée seule et sans emploi. Ma propriétaire a fini par vouloir louer son studio à quelqu’un d’autre, sa nièce, je crois. Là, ça a été le vide. J’ai marché des heures dehors avec mon caddie chargé. Les associations m’ont prise en charge.

Je suis sûre, que je vous écrirai bientôt que j’ai un toit sur la tête, et alors, même si j’ai 60 ans, je chercherai du travail, de l’aide à domicile pour les personnes âgées. Je vous le redis : ça n’arrive pas qu’aux autres. Et nous sommes des gens biens. Pas pires, pas mieux que vous qui êtes en train de me lire…

Eloise Lebourg – Politis – Permalien