Les Notaires contre la « future » Loi Macron

Pour la première fois de leur histoire, notaires, avocats, huissiers vont manifester ensemble le 10 décembre. Objet de leur ressentiment : la loi Macron, qui prévoit de réformer les professions réglementées du droit. Pierre-Luc Vogel, nouveau président du Conseil supérieur du notariat (CSN), réclame le retrait pur et simple de cette réforme afin qu’elle soit confiée à la Chancellerie.

LE FIGARO. – Vous allez manifester mercredi contre la loi Macron. Qu’espérez-vous obtenir ?

Pierre-Luc VOGEL. – Nous demandons le retrait de la réforme concernant les professions du droit de la loi Macron. Le 10 décembre, toutes les professions juridiques vont manifester avec leurs collaborateurs. C’est une première historique ! Rien que pour notre profession, 10.000 emplois sont menacés. À une époque où il y a tant de chômage, ce texte fourre-tout, mal écrit, et sur lequel il n’y a pas eu de concertation réelle et sérieuse met en péril 4.600 entreprises, représentant 47.000 emplois.

Pourquoi Bercy s’immisce-t-il dans nos professions ?

Le droit n’est pas une marchandise. Notre interlocuteur, c’est la Chancellerie. Même au sein de la majorité actuelle, ce texte ne fait pas l’unanimité. S’il n’est pas retiré, nous irons au combat parlementaire. Nous ne lâcherons rien ! La loi Macron vise à mettre de la concurrence dans une profession qui a des rémunérations élevées (19.000 euros par mois en moyenne, selon l’Insee).

Votre opposition sera-t-elle comprise de l’opinion ?

Ces rémunérations ne sont plus d’actualité et s’entendent brutes avant remboursement des emprunts, souvent lourds, contractés par les notaires pour acheter leur étude. À l’Assemblée, une consœur de Cherbourg a détaillé précisément ses revenus : après impôt, remboursement d’emprunt et salaires de ses collaborateurs, il lui reste 3.000 euros nets par mois dans sa poche. Et elle travaille de 8 heures à 22 heures ! Nous ne sommes ni des rentiers ni des nantis.

Les Français ont retenu que les « frais de notaire » allaient baisser. Est-ce le cas ?

D’abord, ce terme est impropre. Il s’agit de frais d’acquisition dont la majeure partie est constituée d’impôts qui, d’ailleurs, viennent d’augmenter de 0,7 %. Pour notre rémunération, elle est dans la plupart des cas en dessous du coût de revient, puisqu’aujourd’hui 60 % de nos actes sont réalisés à perte. Si l’on tient vraiment compte de nos coûts, les prix devraient augmenter.

Aux Pays-Bas, une réforme similaire à celle prévue par la loi Macron a été engagée en 1999. Non seulement les prix n’ont pas baissé pour les consommateurs, mais plus personne ne veut faire les petits actes de la vie courante. Résultat, les concitoyens ont perdu en proximité, en service, et n’ont rien gagné en pouvoir d’achat.

Aux États-Unis, un tiers des actes donne lieu à un contentieux en justice, contre seulement 1 sur 1 100 en France. À New York, deux journalistes ont même réussi à se faire établir un titre de propriété de l’Empire State Building !

Les notaires garantissent aux Français la sûreté de leurs titres de propriété et autres actes juridiques.

En Grande-Bretagne, il n’y a pas de promesse de vente : la vente peut être annulée quinze jours avant la signature, ce qui oblige à prendre une assurance en plus, payante bien sûr ! Les Français n’ont rien à gagner de cette réforme.

La loi veut encourager l’arrivée de jeunes notaires, en leur laissant la liberté de s’installer où ils veulent. Pourquoi y êtes-vous hostile ?

Un confrère qui vient d’acheter son étude et s’est lourdement endetté verrait un jeune s’installer en face de lui sans rien payer ? Ce serait de la concurrence déloyale et conduirait à des banqueroutes personnelles. Notre droit de présentation (droit de vendre la clientèle, NDLR) vient d’être rappelé par le Conseil constitutionnel. S’il était mis à mal, nous réclamerions à l’État une indemnisation qui pourrait s’élever à 8 milliards d’euros. Bercy est dans le déni depuis le début sur ce sujet, mais ferait bien d’être prudent !

Alors que l’âge moyen des notaires atteint 48 ans, Bercy alerte sur un « mur démographique ». Allons-nous manquer de notaires ?

Il n’y a pas de file d’attente chez le notaire ni de rendez-vous à deux mois ! La densité en France est de 14 notaires pour 100 000 habitants, bien au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 7,5. Néanmoins, preuve de notre bonne volonté, nous avons proposé, en accord avec la Chancellerie, la création de 300 nouveaux offices et l’accueil de 1 000 nouveaux notaires dans un délai très court de deux à trois ans.

En revanche, si la loi persiste à instaurer la liberté d’installation, tous les jeunes iront dans les grandes métropoles, et l’on créera des déserts juridiques comme il existe déjà des déserts médicaux.

En conclusion, cette réforme n’a aucun fondement économique. Nos professions sont un simple outil de marchandage avec Bruxelles : le gouvernement a promis de les réformer, afin d’obtenir en échange un délai sur le déficit budgétaire. C’est pour cela qu’il va si vite. Quitte à bâcler une réforme déjà mauvaise à tout point de vue !

Pierre-Luc Vogel : Titre original de l’article « Les Français n’ont rien à gagner de la loi Macron » – Le Figaro du 05 novembre 2014 – Permalien